LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 873 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en matière de référé, qu'estimant que le droit de préférence dont elle était titulaire, stipulé dans un contrat de franchise conclu entre la société Comptoirs modernes union commerciale et la société Le Merre Distri (la société Le Merre), avait été violé lors de la cession du fonds de commerce de celle-ci à la société Distribution Casino France (la société Casino), la société Carrefour proximité France (la société Carrefour), venant aux droits de la société Comptoirs modernes union commerciale, a obtenu, par arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 juin 2012, que cette vente lui soit déclarée inopposable et qu'elle soit substituée dans les droits de la société Casino, l'arrêt valant vente à son profit ; qu'ayant constaté que le fonds était exploité par des gérants salariés de la société Casino, la société Carrefour a fait assigner la société Le Merre en référé pour obtenir la cessation du trouble manifestement illicite résultant du refus de restitution des locaux par celle-ci et son expulsion sous astreinte ainsi que celle de tous occupants de son chef ;
Attendu que pour rejeter ces demandes, l'arrêt retient l'existence d'une contestation sérieuse portant sur l'inopposabilité de l'arrêt du 13 juin 2012 à la société Casino et à ses bailleurs ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'existence d'une contestation sérieuse ne fait pas obstacle aux pouvoirs du juge des référés de prescrire les mesures propres à faire cesser un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 octobre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Le Merre Distri aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Carrefour proximité France la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un octobre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la société Carrefour proximité France
II est fait grief à l'arrêt attaqué, statuant en référé, D'AVOIR infirmé l'ordonnance attaquée et débouté la société CARREFOUR PROXIMITE France de l'ensemble de ses prétentions
AUX MOTIFS QUE la demande présentée à titre principal par CARREFOUR tendait à obtenir l'expulsion du fonds et des locaux qui l'abritaient, de la société LE MERRE DISTRI, comme mesure pour mettre fin au trouble résultant de l'inexécution de l'arrêt du 13 juin 2012 ; qu'ainsi que le soutenait CARREFOUR, la société LE MERRE DISTRI était sa seule contractante et était seule tenue à l'exécution de l'arrêt du 13 juin 2012 ; qu'il n'en demeurait pas moins que poursuivant une action aux fins d'obtenir la jouissance effective d'un droit à rencontre de LE MERRE DISTRI seule, CARREFOUR ne pouvait porter atteinte aux droits personnels de tiers parfaitement identifiés, sans appeler ceux-ci en cause, afin qu'ils puissent assurer la défense de leurs intérêts et que les décisions à intervenir puissent leur être juridiquement opposables ; qu'il était constant que depuis septembre 2010, le fonds de commerce était exploité, non par LE MERRE DISTRI, mais par CASINO, et ce en vertu d'un droit propre résultant de l'acte de cession de ce fonds qui n'avait pas été déclaré nul, mais simplement inopposable à CARREFOUR dans ses rapports avec LE MERRE DISTRI ; que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 juin 2012 ayant été rendu de façon non contradictoire à l'égard de CASINO, toutes les mesures qu'il ordonnait lui étaient juridiquement inopposables ; que l'acte de cession du fonds contenait une clause aux termes de laquelle CASINO, se disant parfaitement informée du litige et de la procédure en cours, renonçait à toute action et mise en cause de LE MERRE DISTRI dans l'hypothèse où, sur demande de CARREFOUR, la cession viendrait à être remise en cause ; que cette clause ne concernait cependant que les rapports de LE MERRE DISTRI et CASINO entre elles, et CARREFOUR ne pouvait s'en prévaloir dès lors qu'elle n'était pas partie à l'acte qui la contenait ; que, par ailleurs, les locaux dans lesquels le fonds était exploité étaient occupés par CASINO, en vertu d'un droit propre, résultant de la signature d'un nouveau bail du 3 septembre 2010 à son bénéfice personnel et direct ; que CARREFOUR ne pouvait prétendre remettre en cause, en référé, l'existence et la validité de ce bail et ses conditions d'exécution, en se fondant sur l'arrêt du 13 juin 2012, en vertu duquel elle devrait être cessionnaire du fonds et du droit au bail constituant un élément de celui-ci, tel qu'il existait antérieurement, dès lors que cet arrêt, comme d'ailleurs le présent arrêt, n'était pas opposable aux bailleurs ; qu'il n'entrait pas dans les pouvoirs du juge des référés d'apprécier le niveau de la mauvaise foi des divers intervenants, telle qu'alléguée par CARREFOUR, ni d'en tirer quelque conséquence que ce soit ; que seule LE MERRE DISTRI était tenue par les termes de l'arrêt du 13 juin 2012 et quand bien même le défaut d'exécution de celui-ci constituerait pour CARREFOUR un trouble manifestement illicite, la réparation de celui-ci ne pouvait être dirigée qu'à l'encontre de celle-ci ; que les mesures sollicitées dans la présente procédure en référé en vue de le faire cesser, en ce qu'elles remettaient en cause les droits de CASINO et des bailleurs, en l'absence de ces derniers et alors que l'arrêt du 13 juin 2012 ne leur était pas opposable, se heurtaient à une contestation sérieuse ; que l'ordonnance entreprise devait donc être infirmée en toutes ses dispositions, ce qui privait de fondement toute demande de liquidation d'astreinte et toute mesure conservatoire s'y rapportant ;
1° ALORS QUE l'existence d'une contestation sérieuse ne met pas obstacle à ce que soient ordonnées en référé les mesures propres à faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en refusant d'ordonner les mesures sollicitées par la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, au motif qu'elles se heurteraient à une contestation sérieuse, la cour d'appel a violé l'article 873 du code de procédure civile ;
2° ALORS QUE si la substitution du bénéficiaire d'un pacte de préférence qui avait été violé a été ordonnée dans les droits du cessionnaire d'un fonds de commerce, le maintien dans les lieux du cédant ou de tout occupant de son chef constitue un trouble manifestement illicite ; qu'en refusant d'ordonner l'expulsion de la société LE MERRE DISTRI ou de tout occupant de son chef, au motif qu'une telle mesure porterait atteinte aux droits de la société DISTRIBUTION CASINO et de ses bailleurs qui n'avaient pas été appelés à la cause, la cour d'appel a violé l'article 873 du code de procédure civile ;
3° ALORS QUE l'expulsion du cédant ou de tout occupant de son chef s'impose comme mesure propre à faire cesser le trouble manifestement illicite, né de la vente d'un fonds de commerce réalisée en violation du pacte de préférence dont le bénéficiaire a été substitué dans les droits du cessionnaire ; qu'en refusant de faire droit aux demandes de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, aux motifs inopérants que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE pouvait se prévaloir d'un acte de cession du fonds de commerce en cause et d'un droit au bail, ce qui lui conférait des droits propres, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873 du code de procédure civile ;
4° ALORS QUE la décision qui ordonne, à titre de sanction de la violation d'un pacte de préférence, la substitution du bénéficiaire de celui-ci dans les droits du cessionnaire d'un fonds de commerce, est opposable à ce dernier ; qu'en énonçant que l'arrêt du 13 juin 2012 n'était pas opposable à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE qui n'en avait pas fait tierce-opposition et tandis qu'il était constaté par ailleurs que cette dernière était parfaitement au fait de la violation du pacte de préférence à laquelle elle avait concouru, la cour d'appel a violé les articles 1351 du code civil et 873 du code de procédure civile.