LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 5 février 2013), que le 2 septembre 1993, les locaux de la société Erdi France, propriété de Henri X... et son épouse Simone Y..., ont été détruits par un incendie volontaire ; que durant sa garde à vue le 4 septembre 1993, Mme Z..., comptable de la société Erdi France, a reconnu en être l'auteur ; que par acte du 22 novembre 1995, Mme Z... a consenti à son fils M. A..., la donation de la nue-propriété de parcelles de terres indivises et d'une maison d'habitation avec garage et terrain attenant ; que par jugement du 20 mars 2007, confirmé par arrêt du 24 juin 2008, elle a été condamnée par le tribunal correctionnel d'Evry, notamment à verser une indemnité de 400 000 euros aux époux X... ; qu'exerçant l'action paulienne, les époux X... ont assigné Mme Z... et M. A... en « annulation » de la donation ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que Mme Z... et M. A... font grief à l'arrêt d'avoir déclaré inopposable aux époux X... la donation consentie le 22 novembre 1995, alors, selon le moyen, que la créance invoquée par le demandeur à l'action paulienne doit être antérieure à l'acte attaqué ; que s'agissant d'une créance de somme d'argent, elle doit être liquidée à la date de cet acte ; que, dès lors en décidant que les époux X... pouvaient se prévaloir d'une créance indemnitaire liquidée par un jugement du 20 mars 2007 pour attaquer un acte de donation du 22 novembre 1995, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que les faits qui ont donné naissance à la créance des époux X... étaient antérieurs à l'acte de donation, la cour d'appel en a exactement déduit qu'à la date de cet acte, Mme Z..., auteur de l'incendie volontaire, connaissait dans son principe l'existence de son obligation ; que la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Attendu que Mme Z... et M. A... font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que le demandeur à l'action paulienne doit prouver la fraude à ses droits commise à la date de l'acte attaqué ; que le 22 novembre 1995, date de l'acte de donation, Mme Z... ne pouvait pas avoir conscience de porter préjudice à Henri X... qui était mis en examen pour complicité de l'infraction pénale pour laquelle elle était poursuivie ; qu'en ne caractérisant pas la fraude commise en 1995 par Mme Z... au préjudice de Henri X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, que dès l'enquête préliminaire Mme Z... s'était reconnue l'auteur de l'incendie et que l'immeuble incendié était également la propriété de Simone X..., la cour d'appel a retenu qu'en transférant sans contrepartie la nue-propriété du bien qui constituait l'essentiel de son patrimoine, Mme Z... savait qu'elle devenait insolvable, privant ses créanciers du principal de leur gage général sur son patrimoine ; qu'elle a ainsi caractérisé la fraude à leurs droits ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Z... et M. A... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme Z... et de M. A... ; les condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix septembre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Brouchot, avocat aux Conseils, pour Mme Z... et M. A...
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR déclaré inopposable aux époux X... l'acte de donation du 22 novembre 1995 souscrit par Mme Arlette Z... au profit de son fils, M. Philippe A..., portant sur la nue-propriété de biens immobiliers ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE, ainsi que l'ont pertinemment dit les premiers juges, si à la date de la donation du 22 novembre 1995, M. et Mme Henri X... ne disposaient pas, à l'encontre de Mme Z..., d'une créance certaine, liquide et exigible, les faits qui ont donné naissance à leur créance sont antérieurs à cet acte ; qu'à la date de cet acte, Mme Z... connaissait dans son principe, l'existence de son obligation puisqu'elle savait et avait reconnu être l'auteur du dommage, et elle était à même, par ses fonctions au sein de l'entreprise, d'en prendre la mesure ; qu'en transférant sans contrepartie la nue-propriété du bien qui constituait l'essentiel de son patrimoine, Mme Z... savait qu'elle devenait insolvable ainsi que l'ont démontré les vaines tentatives d'exécution de la condamnation civile prononcée par la juridiction pénale, privant ses créanciers du principal de leur gage général sur son patrimoine ; que s'agissant d'une libéralité ne nécessitant pas la démonstration de la complicité du cocontractant, le tribunal a fait une exacte application des dispositions de l'article 1167 du code civil ; que le jugement entrepris doit être confirmé ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE sur le fond, en application des dispositions de l'article 1167 alinéa 1 du code civil, les créanciers peuvent attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits ; qu'ainsi, l'acte susceptible d'être attaqué sur le fondement de cette action paulienne, doit provoquer un appauvrissement du débiteur ou porter atteinte au droit de gage général du créancier, lequel doit disposer d'une créance au jour de l'acte litigieux, et dans des conditions qui portent préjudice à ce dernier, en créant une situation d'insolvabilité chez le débiteur, ou en aggravant son insolvabilité préexistante ; qu'en l'espèce, en suite du jugement du tribunal correctionnel d'Evry en date du 20 mars 2007, qui a déclaré Mme Z... coupable, entre autres, du délit de dégradations volontaires par incendie du bien d'autrui, en l'occurrence un immeuble appartenant à M. et Mme X..., et a accueilli la constitution de partie civile de ces derniers en condamnant la défenderesse au paiement de la somme de 400.000 euros à titre de dommages et intérêts, confirmé sur ces points, par la cour d'appel de Paris en son arrêt en date du 24 juin 2008, M. et Mme X... sont bien titulaires à l'encontre de Mme Z... depuis cet arrêt, d'une créance certaine, liquide et exigible, étant précisé par ailleurs que les pourvois en cassation formés par Mme Z... et Mme X... à l'encontre de la précédente décision, ont été rejetés par la Cour de cassation dans son arrêt en date du 17 juin 2009 ; qu'étant constant que l'acte de donation litigieux est en date du 22 novembre 1995, soit antérieur de plus de douze années au titre des époux X..., il ressort des décisions pénales précitées, et surtout des déclarations de Mme Z... recueillies dans le cadre de l'enquête menée par les services de police de Versailles à la suite de l'incendie, que celle-ci a reconnu être l'auteur de cet incendie dès le 4 septembre 1993, ce qu'elle ne conteste nullement ; qu'ainsi, si à la date de la donation litigieuse, M. et Mme X... ne disposaient pas à l'encontre de Mme Z... d'une créance certaine, liquide et exigible, il est constant que les faits ont donné naissance au droit de créance des demandeurs sont antérieurs à l'acte attaqués ; que le principe de la créance de M. et Mme X... ayant existé avant la conclusion dudit acte, l'action paulienne engagée par ceux-ci est recevable, étant relevé que le fait que, M. X... a lui-même aussitôt été mis en cause dans la perpétration de cet incendie en qualité de complice, mis en examen, renvoyé devant le tribunal correctionnel de ce chef, puis relaxé par le tribunal correctionnel en 2007, puis la cour d'appel en 2008, est indifférent à l'existence de ce seul principe de créance, dès lors d'une part que Mme Z... s'est reconnue dès l'enquête préliminaire l'auteur de cet incendie, et d'autre part, que l'immeuble incendié était également la propriété de Mme X... qui elle, n'a en aucun cas été mise en cause dans la perpétration de ce délit ; qu'en ce qui concerne l'acte de donation du 22 novembre 1995, lequel portait sur la nue-propriété de parcelles de terres indivises et surtout d'une maison d'habitation avec garage et terrain attenant sise à Garons, qui s'avère la résidence principale de Mme Z..., laquelle s'est aux termes de cet acte réservé l'usufruit de ces biens, il constitue, s'agissant d'un acte gratuit, indéniablement en lui-même un acte d'appauvrissement puisqu'aucune contrepartie n'est reçue par la donatrice ; que par ailleurs, outre le fait que Mme Z... ne justifie nullement qu'elle disposait alors d'autres actifs saisissables suffisants pour faire face à un passif, il ressort d'un procès-verbal de tentative de saisie vente délivré le 4 août 2010 à la demande de M. X..., que la défenderesse elle-même a précisé qu'elle ne disposait d'aucun bien meuble de valeur ou saisissable ; que la situation d'insolvabilité de Mme Z... à la date de l'acte litigieux est manifeste au vu notamment du montant important de la dette compte-tenu de la nature du bien détruit, et confirmée par la procédure d'exécution menée ensuite des décisions pénales intervenues et demeurée infructueuse ; que l'insolvabilité de Mme Z... caractérise le préjudice porté par cet acte d'appauvrissement aux créanciers, constitué par la disparition d'actifs sur lesquels ils pouvaient poursuivre le recouvrement de leur créance ; que par cet acte de donation, compte-tenu de sa situation, Mme Z... ne pouvait ignorer qu'elle portait préjudice à ses créanciers, caractérisant ainsi, s'agissant d'un acte à titre gratuit, une intention de nuire ; qu'à cet égard, la défenderesse ne peut valablement soutenir que par cet acte de donation, elle a « voulu organiser les choses » en cas de décès, pour assurer à son fils lequel est handicapé, « une petite stabilité dans la mesure de ses moyens », alors que cette donation a été faite en avance d'hoirie, que son fils est semble-t-il son enfant unique, que le bien immobilier donné, qu'elle avait acquis seulement le 24 juin 1991, lui appartenait en propre, et qu'elle s'en est réservé l'usufruit ; que les conditions de mise en oeuvre des dispositions précitées de l'article 1167 du code civil étant ainsi dûment réalisées, et alors que la sanction de l'action paulienne est l'inopposabilité de l'acte frauduleux au créanciers agissant, il y a lieu de déclarer inopposable à M. et Mme X... la donation en date du 22 novembre 1995 ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la créance invoquée par le demandeur à l'action paulienne doit être antérieure à l'acte attaqué ; que s'agissant d'une créance de somme d'argent, elle doit être liquidée à la date de cet acte ; que, dès lors en décidant que les époux X... pouvaient se prévaloir d'une créance indemnitaire liquidée par un jugement du 20 mars 2007 pour attaquer un acte de donation du 22 novembre 1995, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE le demandeur à l'action paulienne doit prouver la fraude à ses droits commise à la date de l'acte attaqué ; que le 22 novembre 1995, date de l'acte de donation, Mme Z... ne pouvait pas avoir conscience de porter préjudice à M. X... qui était mis en examen pour complicité de l'infraction pénale pour laquelle elle était poursuivie ; qu'en ne caractérisant pas la fraude commise en 1995 par Mme Z... au préjudice de M. X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil.