LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Philippe X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 5 avril 2013, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction d'exercer toute profession commerciale, et a ordonné une mesure d'affichage ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 avril 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, Mme Ract-Madoux, conseiller rapporteur, Mme Nocquet, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de Mme le conseiller RACT-MADOUX, les observations de la société civile professionnelle BOUZIDI et BOUHANNA, Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SASSOUST ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1741 et 1750 du code général des impôts, 50 de la loi n° 52-401 du 14 avril 1952, 121-1 et 121-3 du code pénal, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de fraude fiscale et, en répression, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, a prononcé à son encontre l'interdiction d'exercer toute profession commerciale pour une durée de cinq ans, a ordonné l'affichage de la décision en mairie pour une durée de deux mois et sur l'action civile a déclaré l'exposant entièrement responsable du préjudice subi par la partie civile et a prononcé la solidarité dans la limite de la période de prévention avec le paiement de l'impôt fraudé dû par la SARL Becomo Construction Domus ;
"aux motifs que le prévenu demande à la cour, par les conclusions du 7 mars 2013 précitées, et auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé des moyens et arguments du prévenu, d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de prononcer sa relaxe en rejetant les demandes de solidarité fondées sur les dispositions de l'article 1745 du CGI, contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, subsidiairement de dire et juger n'y avoir lieu au prononcé d'une telle solidarité ; que sur le fond, le prévenu expose en substance que Mme Y... était la seule signataire des déclarations de TVA et le PV signés par elle ; que le prévenu n'est pas l'auteur matériel des déclarations de TVA ayant servi de support à la réalisation de l'infraction, ce qui est confirmé par Mme Y... ; qu'en outre, pour retenir le dirigeant dans les liens de la prévention de fraude fiscale, les juges du fond doivent préciser les actes fautifs caractérisant la gestion et établir la participation personnelle du prévenu dans la gestion de la société quant à l'organisation de la fraude, ainsi que dans l'existence de dissimulations volontaires de sommes sujettes à l'impôt ; que M. X... n'a jamais été destinataire des lettres des 6 juillet 2006, 16 juillet 2007 et 16 septembre 2008 adressées à l'expert comptable Birling, en charge de l'entreprise lors de la vérification ; que sur la peine de la solidarité, elle a été qualifiée par la Cour de cassation de peine complémentaire facultative, n'étant pas une conséquence de droit de la décision pénale définitive ; que le Conseil constitutionnel exerce un contrôle restreint, limité à l'erreur d'appréciation sur la nécessité et la proportionnalité de la peine prévue par le législateur, le juge national disposant d'un pouvoir de pleine juridiction pour apprécier et le cas échéant moduler les peines ; que ne disposant que de la faculté d'ordonner ou non la solidarité sans pouvoir en moduler le quantum sous la forme d'un pourcentage, le juge pénal est privé de la faculté de moduler la peine indemnitaire au comportement du prévenu, ce qui est incompatible avec l'article 6 de la CRDH ; que sur le fond, il résulte des éléments de la procédure qu'un contrôle fiscal a été opéré quant à la SARL Becomo Constructeur Domus, portant sur les exercices 2006, 2007 et partie 2008, contrôle qui a permis de relever un montant important de TVA éludée ; que le gérant de droit de ladite SARL est M. X... et qu'à ce titre, il était tenu de veiller à l'établissement d'une comptabilité complète et fiable et d'établir en conséquence les déclarations fiscales ; qu'en substance, le prévenu n'a pas contesté la réalité du montant de TVA éludée et qu'il a indiqué qu'il ne pouvait assurer le suivi de l'entreprise dont il avait laissé la charge à la secrétaire, sa concubine, ainsi qu'au comptable ; que de telles explications de la part d'un gérant de droit sont inopérantes au vu de la jurisprudence constante et des obligations incombant aux gérants de droit quant à la gestion des sociétés commerciales et quant aux obligations comptables de ces dernières ; qu'en l'espèce, ainsi que l'a exactement relevé le premier juge, il s'agit de pratiques volontaires qui ont duré plus de deux années et qui avaient pour seul but de créer artificiellement de la trésorerie à la SARL Becomo ; que, d'autre part, le prévenu déclare à la barre de la cour « qu'il n'était pas au courant » des pratiques de sa concubine en la matière, ce qui constitue la négation de ses obligations personnelles en sa qualité de gérant ; qu'il n'est pas inutile de relever qu'après la déconfiture de la SARL Becomo, M. X... a trouvé un emploi salarié auprès d'une nouvelle entreprise créée par sa concubine Y..., avec même objet social et quasiment la même dénomination ; que le prévenu ne peut d'ailleurs invoquer une délégation complète de ses droits et devoirs de gérant à une salariée de l'entreprise ; qu'il n'est d'ailleurs pas démontré ni même allégué que cette dernière disposait des moyens nécessaires pour faire usage d'une telle délégation de pouvoirs ; qu'enfin, il n'a tenu aucun compte des alertes émanant de l'expert comptable Birling ; que, dès lors, le jugement déféré mérite entière confirmation quant à la culpabilité ;
"1°) alors que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; qu'en l'espèce, pour déclarer M. X..., gérant de la SARL Becomo Construction Domus, coupable de fraude fiscale, la cour d'appel a relevé que si le prévenu soutient qu'il ne pouvait assurer le suivi de l'entreprise, et notamment de la comptabilité, dont il avait laissé la charge à la secrétaire, sa concubine, laquelle établissait les déclarations fiscales, de telles explications de la part d'un gérant de droit sont inopérantes « au vu de la jurisprudence constante et des obligations incombant aux gérants de droit quant à la gestion des sociétés commerciales et quant aux obligations comptables de ces dernières » ; qu'en l'état de ces énonciations, parfaitement inopérantes au regard des prescriptions de l'article 121-1 du code pénal, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la participation personnelle du prévenu à l'établissement des déclarations fiscales litigieuses, a privé sa décision de toute base légale ;
"2°) alors qu'il n'y a point de délit sans intention de le commettre ; qu'en l'espèce, pour rejeter le moyen de défense du prévenu, qui faisait valoir qu'il n'était pas au courant des pratiques de sa concubine, laquelle établissait seule les déclarations de TVA, la cour d'appel a relevé que ce moyen « constitue la négation de ses obligations personnelles en sa qualité de gérant », et qu'après la déconfiture de la société Becomo, le prévenu a trouvé un emploi salarié dans une entreprise créée par sa concubine ; u'en l'état de ces énonciations qui ne démontrent pas en quoi M. X..., quelles qu'aient été ses obligations en qualité de gérant, avait effectivement connaissance des agissements litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale" ;
Attendu que M. X... est poursuivi, en sa qualité de gérant de droit de la société Bemoco construction domus, pour s'être abstenu de déposer les déclarations de TVA requises ;
Attendu que, pour dire ces faits établis, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments, notamment intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D' où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1741 et 1750 du ode général des impôts, 50 de la loi n° 52-401 du 14 avril 1952, 111-3 et 131-27 du code pénal, 161-II-2° de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, qui déclare M. X... coupable de fraude fiscale, a prononcé à son encontre l'interdiction d'exercer toute profession commerciale pour une durée de cinq ans, à titre de peine complémentaire ;
"alors que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ; qu'en l'état des dispositions de l'article 1750 du code général des impôts, dans sa version applicable en 2008, date des faits visés à la prévention, la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité commerciale ne pouvait être prononcée que pour une durée maximale de trois ans ; que, dès lors, en prononçant à l'encontre de l'exposant l'interdiction d'exercer toute profession commerciale pour une durée de cinq ans, à titre de peine complémentaire, la cour d'appel a violé l'article 111-3 du code pénal, ensemble le principe de non-rétroactivité de la loi pénale ;
Vu l'article 111-3 du code pénal ;
Attendu que , selon ce texte, nul ne peut être puni d' une peine qui n'est pas prévue par la loi ;
Attendu qu'après avoir déclaré M. X... coupable de fraude fiscale pour la période du 1er janvier 2006 au 31 juillet 2008, l'arrêt le condamne à cinq ans d' interdiction d' exercer toute profession commerciale;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi une peine complémentaire d'une durée supérieure à celle prévue par l'article 1750 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, la cour d'appel a méconnu les texte et principe ci-dessus rappelés ;
D' où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 61-1 et 62 de la Constitution, 1741 et 1750 du code général des impôts, 50 de la loi n° 52-401 du 14 avril 1952, 111-3, 112-1 et 131-27 du code pénal, de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, des articles 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné l'affichage de la décision entreprise sur le panneau de la commune de Luemschwiller pendant deux mois ;
"alors que nul ne peut être puni d'une peine non prévue par la loi à la date à laquelle les faits ont été commis ; que les dispositions de l'article 1741, alinéa 4, du code général des impôts prévoyant l'affichage de la décision condamnant le prévenu du chef de fraude fiscale ont été abrogées par la décision du Conseil constitutionnel, en date du 10 décembre 2010, tandis que les faits visés à la prévention, commis de courant 2006 à 2008, sont antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 29 décembre 2010 édictant à nouveau ces sanctions ; qu'ainsi, en ordonnant l'affichage de la décision de condamnation, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu les articles 61-1 et 62 de la Constitution, ensemble l'article 111-3 du code pénal ;
Attendu, d'une part, qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l' article 61-1 précité est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d' une date ultérieure fixée par cette décision ;
Attendu, d'autre part, que nul ne peut être puni, pour un délit, d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;
Attendu que l'arrêt ordonne l'affichage de la décision rendue à l'encontre du prévenu, par application des dispositions de l'article 1741, alinéa 4, du code général des impôts ;
Mais attendu que ces dispositions ont été déclarées contraires à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 10 décembre 2010, prenant effet à la date de sa publication au Journal officiel de la République française, le 11 décembre 2010 ;
D'où il suit que la cassation est également encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 5 avril 2013, d'une part, par voie de retranchement, en ses dispositions ayant ordonné l'affichage de la décision, d'autre part, en ses dispositions ayant condamné M. X... à cinq ans d'interdiction d'exercer toute profession commerciale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
FIXE à trois ans la durée de cette interdiction professionnelle;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze juin deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;