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12/06/2014 | FRANCE | N°13-13951

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 12 juin 2014, 13-13951


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 16 janvier 2013), que M. X..., engagé le 1er juin 2006 en qualité de conseiller en déménagement par la société Wincanton Mondia, devenue société Rhenus logistics Alsace, a démissionné le 30 août 2009 avec effet au 30 septembre suivant en faisant valoir qu'il était victime de harcèlement moral ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la démission s'analysait en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail p

roduisant les effets d'un licenciement nul et de le condamner en conséquence à pa...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 16 janvier 2013), que M. X..., engagé le 1er juin 2006 en qualité de conseiller en déménagement par la société Wincanton Mondia, devenue société Rhenus logistics Alsace, a démissionné le 30 août 2009 avec effet au 30 septembre suivant en faisant valoir qu'il était victime de harcèlement moral ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la démission s'analysait en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul et de le condamner en conséquence à payer au salarié diverses sommes, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en vertu de la décision du Conseil constitutionnel transposée dans la loi du 3 janvier 2003, le salarié doit établir la matérialité des éléments de fait précis qui permettent de présumer qu'il a été personnellement victime d'un harcèlement moral ; qu'en retenant les deux attestations émanant de M. Y... et de Mme Z..., selon lesquelles « M. A..., « faisait régner un climat de peur, par un harcèlement incessant auprès du personnel : remarques déplacées sur la tenue, sur l'âge, sur le fait de discuter entre collègues ou de simplement ne pas être à son poste de travail... » ; « le directeur se permettait de supprimer les RTT définis au départ et de les transformer en 1/ 2 heure de travail en moins une fois le matin et une fois le soir, tout cela par un simple mail... » ; « Vous ne pouvez pas vous imaginer le comportement de M. A... envers les salariés placés sous sa direction, le nombre de démissions et départs anticipés à la retraite. Personnellement, j'ai démissionné sans autre travail pour éviter de faire l'irréparable... », la cour d'appel, qui reconnaît que ces attestations sont dépourvues de « précisions » mais qui en déduit « que M. X... en était nécessairement victime » en tant que membre du personnel, substitue, en violation directe des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, une présomption générale à l'obligation faite au salarié d'établir la matérialité d'éléments de fait précis ;
2°/ qu'en retenant une « confortation » apportée par le troisième témoignage émanant de M. B... sans s'expliquer sur la circonstance que celui-ci était « actuellement en procès » avec l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale tant au regard de l'article 1315 du code civil que de l'article L. 1154-1 du code du travail ;
3°/ que la cour d'appel, qui se fonde sur une prétendue détérioration générale des conditions de travail due aux propos tenus par M. A... à l'égard des « personnes placées sous sa direction sans autre précision », ne pouvait, sans faire preuve de partialité et sans violer par conséquent les articles 12 et 14 du code de procédure civile ainsi que l'article 6 de la CESDH, décider que les témoignages contraires de treize autres membres du personnel décrivant ces mêmes conditions de travail ne permettaient pas de combattre les éléments fournis par le salarié parce qu'ils seraient « imprécis et non circonstanciés » ;
Mais attendu que, appréciant la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient fournis, la cour d'appel, après avoir estimé que les attestations produites par le salarié établissaient par leur concordance et leur cohérence l'existence de faits matériels laissant présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral, à savoir des propos blessants et humiliants proférés de manière répétée à l'encontre du salarié émanant d'un supérieur hiérarchique, a retenu, sans faire preuve de partialité, que les témoignages produits par l'employeur, qui ne fournissaient aucun élément sur les relations entre le salarié et son supérieur, ne permettaient pas de renverser la présomption de harcèlement moral ; que dès lors, elle a pu décider que le harcèlement était caractérisé ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Rhenus logistics Alsace aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Rhenus logistics Alsace et condamne celle-ci à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Rhenus logistics Alsace

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la démission de Monsieur X... s'analyse en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul et, en conséquence, d'AVOIR condamné la société RHENUS LOGISTICS ALSACE à lui verser les sommes de 1. 449, 45 € à titre d'indemnité légale de licenciement, 2. 229, 91 € d'indemnité compensatrice de préavis complémentaire, outre 223 € au titre des congés payés y afférents, 13. 379, 46 € à titre de dommages-intérêts, ainsi que 2. 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et d'AVOIR condamné la société RHENUS LOGISTICS ALSACE à rembourser à Pole Emploi les indemnités de chômage éventuellement versées à Monsieur X... dans la limite de six mois de salaires. AUX MOTIFS QUE « sur la démission du salarié : que la démission du salarié motivée par des griefs à l'égard de l'employeur produit soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul si les faits invoqués le justifiaient, soit d'une démission non équivoque dans le cas contraire ; qu'à hauteur d'appel, le salarié invoque l'existence d'un harcèlement moral à l'origine de sa démission qui dès lors s'analyserait en un licenciement nul ; qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du nouveau Code du travail, le harcèlement moral se caractérise par des " agissements répétés (...) qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses le salarié conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel " ; qu'en cas de litige, en vertu de l'article L. 1154-1 du nouveau Code du travail, le salarié est juste tenu d'établir " des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ", à charge ensuite pour l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement ; que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est motivée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce que le salarié produit tout d'abord une attestation de témoin de Monsieur Christian Y..., ancien salarié de l'entreprise qui relate que le directeur de l'entreprise, Monsieur A..., " faisait régner un climat de peur, par un harcèlement incessant auprès du personnel : remarques déplacées sur la tenue, sur l'âge, sur le fait de discuter entre collègues ou de simplement ne pas être à son poste de travail... " ; que ce témoin ajoute que : " le directeur se permettait de supprimer les RTT définis au départ et de les transformer en 1/2 heure de travail en moins une fois le matin et une fois le soir, tout cela par un simple mail... " ; que Monsieur Y... poursuit son attestation en exposant les faits de harcèlement moral dont il aurait été lui-même victime ; qu'en second lieu que Monsieur X... produit le courriel que Madame Valérie Z..., ancienne salariée de l'entreprise, a adressé à son conseil le 31 mai 2010 et dans lequel elle déclare que : " Vous ne pouvez pas vous imaginez le comportement de Monsieur A... envers les salariés placés sous sa direction, le nombre de démissions et départs anticipés à la retraite. Personnellement, j'ai démissionné sans autre travail pour éviter de faire l'irréparable " ; qu'en troisième lieu que le salarié fait état du témoignage de Monsieur Daniel B..., autre salarié de l'entreprise qui affirme que : " Monsieur A..., directeur du département déménagement s'est permis à plusieurs reprises de me faire, ainsi qu'à mon collègue Francis X..., des remarques blessantes et humiliantes à nos égards. Ces remarques étaient verbales ou téléphoniques, quelques fois devant témoins avec des menaces de sanctions... " ; que ce témoin précise que Monsieur A... leur disait qu'ils avaient de la chance d'avoir du travail à 50 ans, qu'ils pourraient être remplacés par des personnes payées au SMIC et que s'ils travaillaient ainsi, ils n'avaient qu'à travailler pour la " sécu " ; que certes que Monsieur Y... et Madame Z... témoignent de ce que le harcèlement moral de Monsieur A... visait le personnel ou les personnes placées sous sa direction sans autres précisions ; que cependant que Monsieur X... en était nécessairement victime puisqu'il est constant qu'il était placé sous les ordres de Monsieur A... ; Qu'en outre que ces témoignages sont confortés par celui de Monsieur B... qui met nominativement Monsieur A... en cause ; que par leur concordance et leur cohérence, ils établissent l'existence de faits matériels laissant présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral, à savoir des propos blessants et humiliants proférés de manière répétée à l'encontre de Monsieur X... émanant d'un supérieur hiérarchique ; que l'employeur entend renverser la présomption de harcèlement moral qui pèse sur lui par la production de 13 attestations de salariés ou d'anciens salariés de l'entreprise (Messieurs Yamin C..., Mardon D..., Nicolas E..., Christophe F..., Patrick G..., Alexandre H..., Benoit I..., Michel J..., Franck K... et Mesdames Emmanuelle L..., Catherine M..., Nathalie N..., Valérie O...) ; que ces personnes attestent d'une manière très générale qu'il régnait un bon climat dans l'entreprise et qu'ils n'avaient jamais été témoin ni de pressions ni d'agressions verbales ou physiques à l'égard de quiconque ; que cependant que leurs témoignages imprécis et non circonstanciés ne permettent pas de combattre les éléments fournis par le salarié ; qu'en particulier ils ne fournissent aucun élément sur les relations entre Monsieur X... et Monsieur A... ; qu'il ne peut être exclu que ces personnes n'aient pas été témoins des faits de harcèlement moral que d'autres salariés ont pu personnellement constater ; que la présomption d'harcèlement moral à l'encontre de Monsieur X... n'est donc pas renversée ; que ce harcèlement moral est à l'origine de la démission du salarié qui ne pouvait plus supporter une telle situation ; qu'il s'ensuit que le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a dit et jugé " que la démission de Monsieur X... Francis est considéré comme la rupture de son contrat de travail à la charge de l'employeur et analysée en tant que licenciement abusif en l'absence de toute cause réelle et sérieuse " ; que, statuant à nouveau, il convient de relever que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat en ne prenant pas les mesures nécessaires pour empêcher et/ ou interrompre cette situation de harcèlement moral émanant d'un de ses cadres ; que la démission de Monsieur X... étant le résultat d'un harcèlement moral non combattu par l'employeur, elle s'analyse en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul conformément aux dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail ; qu'en revanche que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à payer au salarié les sommes de 2229, 91 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 223 € brut au titre des congés payés y afférents et 13 379, 46 € à titre de dommages et intérêts pour la rupture du contrat de travail, montant qui correspond à l'équivalent de ses six derniers mois de salaire ; sur les autres dispositions du jugement entrepris : que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur, partie perdante, à payer au salarié la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance ; qu'à hauteur d'appel, l'équité commande que l'employeur soit condamné à payer au salarié la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; qu'il supportera les dépens d'appel » ; ALORS, D'UNE PART, QU'en vertu de la décision du Conseil Constitutionnel transposée dans la loi du 3 janvier 2003, le salarié doit établir la matérialité des éléments de faits précis qui permettent de présumer qu'il a été personnellement victime d'un harcèlement moral ; qu'en retenant les deux attestations émanant de Monsieur Y... et de Madame Z..., selon lesquelles « Monsieur A..., " faisait régner un climat de peur, par un harcèlement incessant auprès du personnel : remarques déplacées sur la tenue, sur l'âge, sur le fait de discuter entre collègues ou de simplement ne pas être à son poste de travail... " ; " le directeur se permettait de supprimer les RTT définis au départ et de les transformer en 1/ 2 heure de travail en moins une fois le matin et une fois le soir, tout cela par un simple mail... " (p. 4 al. 4) ; " Vous ne pouvez pas vous imaginez le comportement de Monsieur A... envers les salariés placés sous sa direction, le nombre de démissions et départs anticipés à la retraite. Personnellement, j'ai démissionné sans autre travail pour éviter de faire l'irréparable " (al. 7), la Cour d'appel, qui reconnaît que ces attestations sont dépourvues de « précisions » mais qui en déduit « que Monsieur X... en était nécessairement victime » en tant que membre du personnel, substitue, en violation directe des articles 1152-1 et 1154-1 du Code du travail, une présomption générale à l'obligation faite au salarié d'établir la matérialité d'éléments de fait précis ; ALORS, D'AUTRE PART, QU'en retenant une « confortation » apportée par le troisième témoignage émanant du sieur B... sans s'expliquer sur la circonstance que celui-ci était « actuellement en procès » avec l'employeur (conclusions p. 8), la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale tant au regard de l'article 1315 du Code civil que de l'article L. 1154-1 du Code du travail ; ALORS, DE TROISIEME PART, QUE la Cour d'appel, qui se fonde sur une prétendue détérioration générale des conditions de travail due aux propos tenus par Monsieur A... à l'égard des « personnes placées sous sa direction sans autre précision » (p. 4 al. 10), ne pouvait, sans faire preuve de partialité et sans violer par conséquent les articles 12 et 14 du Code de Procédure Civile ainsi que l'article 6 de la CESDH, décider que les témoignages contraires de 13 autres membres du personnel décrivant ces mêmes conditions de travail ne permettaient pas de combattre les éléments fournis par le salarié parce qu'ils seraient « imprécis et non circonstanciés » (p. 5 al. 4) ;


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 13-13951
Date de la décision : 12/06/2014
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 16 janvier 2013


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 12 jui. 2014, pourvoi n°13-13951


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP de Nervo et Poupet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2014:13.13951
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