LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- La société Côté jardin,- La société Sojuor, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 10 mai 2012, qui a déclaré la première irrecevable et a débouté la seconde de ses demandes après relaxe de M. Marc X... du chef de tentative d'escroquerie ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 19 mars 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, Mme Nocquet, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire LABROUSSE, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général BOCCON-GIBOD ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur la recevabilité du pourvoi de la société Côté jardin, contestée en défense :
Attendu que la publication de la clôture de la liquidation de la société Côté jardin, le 27 novembre 2012, n'a pas eu pour effet de mettre fin à sa personnalité morale, qui subsiste aussi longtemps que ses droits et obligations à caractère social, notamment ceux liés à l'instance en cours, n'ont pas été liquidés ;
D'où il suit que le pourvoi de cette société, formé le 14 mai 2012, antérieurement à la clôture des opérations de liquidation, est recevable ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 63-1, 63-4, 385, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt a annulé le procès-verbal de garde à vue de M. X... du 13 janvier 2011, relaxé celui-ci des fins de la poursuite, débouté la société Sojuor, partie civile, de l'ensemble de ses prétentions et déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la SCI Côté jardin ;
"aux motifs qu'il ressort du procès-verbal de garde à vue du prévenu en date du 13 janvier 2011 que ni son droit de garder le silence ni celui de pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat pendant le déroulement de cette mesure ne lui ont été notifiés de telle sorte qu'il a été contrevenu aux prescriptions de l'article 6 paragraphe 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'il convient dès lors d'annuler ce procès-verbal de garde à vue ; que si les écoutes téléphoniques litigieuses n'ont pas été recueillies au cours de la garde à vue, il a cependant été procédé à leur audition au cours de cette mesure en présence de M. X... invité à s'expliquer sur ce sujet, si bien que ces seuls éléments de preuve à charge contre le prévenu doivent également être écartés ; qu'il échet, en conséquence, de débouter la SCI Sojuor de ses prétentions de partie civile ;
"1) alors que les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne sont pas méconnues lorsque les déclarations faites lors d'un interrogatoire de police sans assistance d'un avocat ne sont pas incriminantes et ne sont pas utilisées pour fonder la condamnation ; que ni l'absence de notification du droit au silence ni l'absence d'un avocat pendant la garde à vue ne peuvent justifier, à elles seules, l'annulation d'une garde à vue en l'absence de déclarations incriminantes de la personne et utilisées pour décider de la culpabilité ; qu'en conséquence les juges du fond ne peuvent annuler les procès-verbaux d'auditions de garde à vue sans constater que leur contenu est incriminant pour le prévenu et susceptible de fonder une déclaration de culpabilité ; qu'en annulant le procès-verbal de garde à vue de M. X... en raison de l'absence de la notification du droit de se taire et de l'absence d'un avocat, la cour d'appel a méconnu les dispositions susvisées ;
"2) alors qu'en s'abstenant de s'expliquer sur le contenu de l'audition de M. X... pour déterminer si elle présentait un caractère incriminant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Attendu que, pour faire droit à l'exception de nullité des procès-verbaux d'audition en garde à vue du prévenu, prise de la violation du défaut de notification du droit de se taire et du droit de bénéficier d'un avocat, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à s'expliquer sur le caractère incriminant des déclarations annulées, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 63-1, 63-4, 385, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt a annulé le procès-verbal de garde à vue de M. X... du 13 janvier 2011, relaxé celui-ci des fins de la poursuite, débouté la société Sojuor, partie civile, de l'ensemble de ses prétentions et déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la SCI Côté jardin ;
"aux motifs qu'il ressort du procès-verbal de garde à vue du prévenu en date du 13 janvier 2011 que ni son droit de garder le silence ni celui de pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat pendant le déroulement de cette mesure ne lui ont été notifiés de telle sorte qu'il a été contrevenu aux prescriptions de l'article 6 paragraphe 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'il convient, dès lors, d'annuler ce procès-verbal de garde à vue ; que si les écoutes téléphoniques litigieuses n'ont pas été recueillies au cours de la garde à vue, il a cependant été procédé à leur audition au cours de cette mesure en présence de M. X... invité à s'expliquer sur ce sujet, si bien que ces seuls éléments de preuve à charge contre le prévenu doivent également être écartés ; qu'il échet, en conséquence, de débouter la SCI Sojuor de ses prétentions de partie civile ;
"alors que l'annulation d'une mesure de garde à vue ne peut entraîner que l'annulation des actes subséquents dont elle est le support nécessaire et non des actes antérieurs ; qu'il résulte des pièces de la procédure et des constatations des juges que les enregistrements téléphoniques ont été réalisés antérieurement au placement en garde à vue de M. X... ; qu'en annulant cependant lesdits enregistrements, au motif que ces enregistrements ont été écoutés par M. X... pendant sa garde à vue, tandis que ces enregistrements ne pouvaient pas être affectés par l'annulation de la garde à vue qui était postérieure et qui n'était pas leur support nécessaire, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés" ;
Vu les articles 174 et 802 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte des dispositions combinées de ces textes que, lorsqu'une irrégularité constitue une cause de nullité de la procédure, seuls doivent être annulés les actes affectés par cette irrégularité et ceux dont ils sont le support nécessaire ;
Attendu que, pour relaxer M. X... et débouter la société Sojuor de ses demandes, l'arrêt, après avoir annulé ses déclarations recueillies en garde à vue, énonce que les enregistrements téléphoniques litigieux, s'ils ont été réalisés par la partie civile antérieurement, ont été écoutés en présence du prévenu gardé à vue, de sorte que, constituant des éléments de preuve à charge, ils doivent également être annulés ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la régularité de ces enregistrements ne pouvait être affectée par l'annulation des auditions du prévenu en garde à vue, qui sont postérieures, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Et sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 2, 3, 419, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, ensemble violation du principe du contradictoire ;
"en ce que l'arrêt a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la SCI Côté jardin ;
"aux motifs que s'agissant de la SCI Côté jardin qui n'est pas mentionnée à la prévention, sa constitution de partie civile doit être déclarée irrecevable ;
"1) alors qu'un moyen ne peut être soulevé d'office qu'après avoir permis aux parties d'en débattre ; qu'en l'absence de toute contestation de la recevabilité de la constitution de partie civile de la SCI Côté Jardin, la cour d'appel ne pouvait pas soulever d'office l'irrecevabilité d'une telle constitution sans inviter les parties civiles à s'expliquer sur ce moyen ;
"2) alors qu'en outre, en application de l'article 2 du code de procédure pénale, tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction sont recevables à se constituer partie civile ; qu'une partie civile ne peut donc être déclarée irrecevable qu'en l'absence de préjudice résultant de l'infraction ; qu'en déclarant la société SCI Côté jardin irrecevable au motif inopérant qu'elle « n'est pas mentionnée à la prévention », la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
"3) alors que la déclaration de constitution de partie civile se fait soit avant l'audience au greffe soit pendant l'audience par déclaration consignée par le greffier ou par le dépôt de conclusions et qu'en déclarant irrecevable la constitution de partie civile de la société Côté jardin parce qu'elle n'est pas « mentionnée à la prévention » la cour d'appel a derechef méconnu les textes susvisés" ;
Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale, ensemble l'article 423 du même code ;
Attendu qu'il résulte des deux premiers de ces textes que le juge ne peut relever d'office l'irrecevabilité d'une constitution de partie civile sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations ;
Attendu que, par jugement du 14 juin 2011, le tribunal correctionnel, après avoir déclaré M. X... coupable de tentative d'escroquerie, l'a condamné à indemniser la société Côté jardin du préjudice subi ;
Attendu que, statuant sur l'appel du prévenu, les juges ont, d'office et sans avoir invité les parties à présenter leurs observations, déclaré irrecevable la constitution de partie civile de cette société, au motif qu'elle n'était pas mentionnée à la prévention ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, par un motif au surplus inopérant, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est derechef encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les troisième et quatrième moyens de cassation proposés :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 10 mai 2012, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy , à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de M. X..., de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze mai deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;