LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'après avoir versé diverses prestations aux ayants droit de Hans X..., décédé à la suite d'un accident, la Caisse nationale suisse d'assurances (la SUVA) a donné mandat à la société civile professionnelle d'avocats Ertlen-Bigey-Saupe-Perret (la SCP) d'exercer un recours subrogatoire contre les prétendus responsables de l'accident ; que son action ayant été déclarée prescrite, elle a recherché la responsabilité de la SCP, lui reprochant d'avoir commis une erreur dans l'appréciation du point de départ du délai de prescription ;
Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :
Attendu que la SUVA fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la SCP aux sommes de 619 691,61 francs suisses au titre du préjudice correspondant à l'indemnisation des ayants droit de Hans X... et de 12 264,55 euros au titre du préjudice correspondant aux frais liés au procès engagé contre les responsables de l'accident, alors, selon le moyen :
1°/ que la réparation du préjudice doit être intégrale ; qu'en n'indemnisant que la perte de chance subie par la SUVA de gagner son procès à l'encontre des responsables de l'accident ayant entraîné le décès de Hans X..., qu'elle a évaluée à 80 %, après avoir pourtant relevé que les fautes commises par les différentes entreprises ayant eu en charge les travaux de réfection du hangar étaient certaines, comme était certain le lien de causalité entre ces fautes et le préjudice économique subi par les ayants droit de Hans X... dont elle a constaté l'existence, de sorte que l'action engagée par la SUVA à l'encontre des responsables de l'accident n'était, en réalité, affectée d'aucun aléa, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1147 du code civil ;
2°/ qu'en appliquant le taux de 80 % pour fixer le préjudice subi par la SUVA à la suite des frais de justice qu'elle a dû verser aux responsables de l'accident, liés à sa condamnation aux dépens et au frais non compris dans les dépens par les décisions ayant déclaré son action prescrite cependant qu'il résultait de ses constatations que les chances de succès de son action sur le fond étaient certaines de sorte que si M. Ertlen n'avait pas commis de faute, elle n'aurait pas été condamnée à payer ses frais, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu que l'issue d'une instance n'étant jamais certaine, il appartient aux juges du fond de reconstituer la discussion qui n'a pu s'instaurer devant une juridiction par la faute d'un auxiliaire de justice ; qu'ayant, dès lors, à bon droit retenu que le préjudice de la SUVA devait s'analyser en une perte de chance d'obtenir gain de cause en justice, la cour d'appel a souverainement estimé que les chances de succès de son action en responsabilité pouvaient être évaluées à 80 % ; que le moyen, qui en sa deuxième branche manque en fait, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Vu le principe de la réparation intégrale du dommage sans perte ni profit pour la victime et les articles 93 du règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971 et 74 de la loi fédérale suisse du 6 octobre 2000 ;
Attendu que pour condamner la SCP à payer à la SUVA la somme de 619 691,61 francs suisses au titre du préjudice correspondant à l'indemnisation des ayants droit de Hans X..., l'arrêt, après avoir relevé que la victime était décédée le 9 août 1983, laissant une veuve âgée de 44 ans et deux enfants âgés de 15 et 14 ans, retient, d'une part, que les revenus du ménage avant décès s'élevaient à 80 000 francs suisses par an et que le solde disponible pour la famille, après déduction des dépenses personnelles de la victime fixées à 20 %, s'élevait à 64 000 francs suisses par an, d'autre part, qu'après le décès, la veuve et les enfants ont perçu des rentes de l'ordre de 2 200 francs suisses par mois, soit 26 400 francs suisses par an, pour en déduire que la perte annuelle de revenus est de 37 600 francs suisses par an ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'évaluation du préjudice résultant de la perte de revenus subi par le conjoint et les enfants de la victime ne pouvait comprendre la rente versée par la SUVA, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la SCP Ertlen-Bigey-Saupe-Perret à payer à la Caisse nationale suisse d'assurances l'équivalent en euros de la somme de 619 691,61 francs suisses, avec application du taux de change en vigueur au 4 juin 2004, au titre du préjudice correspondant à l'indemnisation des ayants droit de Hans X..., l'arrêt rendu le 14 novembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la société Ertlen-Bigey-Saupe-Perret aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Ertlen-Bigey-Saupe-Perret et la condamne à payer à la Caisse nationale suisse d'assurances la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils, pour la Caisse nationale suisse d'accident
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR condamné la SCP Ertlen Bigey Saupe Perret à verser à la Suva les sommes de 619.691,61 francs suisses au titre du préjudice correspondant à l'indemnisation des ayant-droits de M. X... et 12.264,55 euros au titre du préjudice correspondant aux frais liés au procès engagés contre les responsable de l'accident ;
AUX MOTIFS QUE sur la faute, l'avocat est tenu d'une obligation de diligence quant aux actes procéduraux et au respect des délais ; qu'il a également une obligation de conseil ; qu'il ressort d'un courrier du 12 avril 1995 que Me Ertlen était déjà mandaté à cette date par la Suva pour engager une action civile contre les responsables de l'accident, et qu'il a informé son client qu'ils pouvaient agir jusqu'au 31 décembre 1995 ; que l'acte introductif d'instance a été délivré le 18 décembre 1995 ; que le tribunal de grande instance de Mulhouse puis la cour d'appel de Colmar, ont jugé que le délai de prescription de dix ans courait à compter du 6 juillet 1985, et que l'action engagée le 18 décembre 1995 était donc prescrite ; qu'il faut donc constater que Me Ertlen a commis une erreur d'appréciation sur le point de départ du délai de prescription, et que cette erreur a eu pour conséquence l'irrecevabilité de l'action de ses clients ; que sa faute est ainsi établie ; qu'elle n'est d'ailleurs pas contestée ; sur le préjudice, et le taux de perte de chance, la Suva a perdu une chance d'obtenir gain de cause en justice ; que ce préjudice est indemnisable à condition que la chance de gain ait été réelle et sérieuse ; qu'il convient donc de déterminer les chances de succès de l'action en responsabilité que souhaitait engager la Suva ; qu'une étude réalisée par l'Apave, organisme de contrôle, en janvier 1984, a mis en évidence diverses anomalies techniques, notamment insuffisance des renforcements prévus sur le long pan G pour la phase de levage, profilés trop faibles prévus pour certaines barres et mis en oeuvre pour d'autre barres ; que l'Apave a également souligné qu'avant tout début de levage, il fallait absolument s'assurer que la désolidarisation des pieds de poteaux par rapport à leurs supports était effectivement réalisée ; que les deux experts désignés par le juge d'instruction de Mulhouse, Jean Y... et Georges Z... ont plus précisément caractérisé dans leur rapport de 1989 une série de manquements à l'encontre des divers intervenants, en particulier : pour le cabinet d'études Ammann et Bacher : une grossière erreur de conception lors de l'édification du hangar en 1979, une sous-estimation du poids de ce hangar, des taux de contraintes trop élevés pour les éléments de la charpente, un manque de réaction lors du cisaillement des boulons et du flambage d'un élément d'une poutre de renfort provisoire, pour les établissements Jakem : le non décèlement de l'erreur de conception du hangar, le renfort maladroit d'une barre et l'absence de renfort des trois autres barres, l'absence de vérification lors du changement de boulons rompus, pour l'aéroport : absence de services techniques capables de contrôler, ordre donné de poursuivre le levage, pour l'entreprise Losinger : fautes lourdes ayant consisté à persister dans le levage du hangar malgré la résistance opposée par les poteaux, à ne pas réagir après la rupture des boulons, à dépasser les valeurs maximales prévues lors des efforts de levage, à ne pas respecter les mesures de sécurité ; que ces experts ont conclu que chaque acteur avait sa part de responsabilité ; qu'il peut être tiré de ces éléments d'ordre technique que plusieurs fautes ont été commises, contribuant ensemble à la production du dommage ; que chacun des responsables d'un même dommage est condamné à le réparer en totalité, sans qu'il y ail lieu à l'égard de la victime de tenir compte d'un éventuel partage de responsabilité, n'affectant que les rapports entre les divers responsables et non l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée ; que pour ces motifs, et ceux des premiers juges que la cour adopte, il y a lieu de considérer que les chances de succès de l'action en responsabilité de la Suva étaient réelles et sérieuses ; qu'au vu des justificatifs produits, elles peuvent être évaluées à 80 % ; que sur le montant du préjudice, la Suva exerce un recours subrogatoire au titre des prestations versées à l'épouse et aux enfants de Hans X..., décédé dans l'accident ; que ce recours ne peut être accueilli que dans la limite du montant auquel le préjudice de ces ayants-droits aurait été évalué par les juridictions françaises ; que le décès du parent actif engendre pour le conjoint survivant et les enfants un préjudice économique dont le processus d'évaluation consiste à rechercher la perte annuelle pour les survivants et à la répartir entre eux en fonction de la durée pendant laquelle ils pouvaient normalement y prétendre ; que le préjudice économique des consorts X... doit être calculé en fonction des éléments suivants, qui ressortent des justificatifs produits : victime décédée le 9 août 1983, laissant une veuve âgée de 44 ans et deux enfants âgés de 15 et 14 ans, les revenus du ménage avant décès s'élevaient à 80.000 francs suisses par an, si l'on chiffre les dépenses personnelles de la victime à 20 %, le solde disponible pour la famille s'élevait à 64 000 francs suisses par an ; qu'après décès, la veuve et les enfants ont perçu des rentes de l'ordre de 2.200 francs suisses par mois soit 26.400 francs suisses par an ; que la perte annuelle est de 37.600 francs suisses par an ; qu'il convient d'attribuer 70 % de cette perte à la veuve soit 26.320 francs suisses et 15 % à chaque enfant soit 5.640 francs suisses ; qu'après capitalisation, le préjudice de la veuve aurait pu être chiffré à (26.320 x 26,45 1) = 696.190,32 francs suisses, celui de l'ainé des enfants à (5.640 x 6,528) = 36.817,92 francs suisses, celui du cadet des enfants à (5.640 x 7,377) = 41.606,28 francs suisses ; qu'il faut appliquer à ce montant total de 774.614,52 francs suisses le taux de 80 % retenu au titre de la perte de chance ; qu'ainsi, le préjudice de la Suva doit être chiffré à l'équivalent en euros de la somme de 619.691,61 francs suisses avec application du taux de change en vigueur au 4 juin 2004, date de l'arrêt ayant confirmé la prescription de l'action ; que le jugement déféré doit donc être réformé sur le montant du préjudice ; que la Suva réclame par ailleurs te montant des frais liés au procès engagé contre les responsables de l'accident ; qu'elle chiffre ce préjudice à la somme de 15.330,69 euros correspondant, selon justificatifs produits, aux condamnations supportées par elle au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ; qu'il convient d'appliquer également à cette somme le taux de 80 % évoqué ci-dessus, et donc de chiffrer ce poste de préjudice à 15.330,69 x 80 % = 12.264,55 euros ;
ALORS, 1°), QUE la réparation du préjudice doit être intégrale ; qu'en n'indemnisant que la perte de chance subie par la Suva de gagner son procès à l'encontre des responsables de l'accident ayant entraîné le décès de M. X..., qu'elle a évaluée à 80 %, après avoir pourtant relevé que les fautes commises par les différentes entreprises ayant eu en charge les travaux de réfection du hangar étaient certaines, comme était certain le lien de causalité entre ces fautes et le préjudice économique subi par les ayant-droits de M. X... dont elle a constaté l'existence, de sorte que l'action engagée par la Suva à l'encontre des responsables de l'accident n'était, en réalité, affectée d'aucun aléa, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1147 du code civil ;
ALORS, 2°), QU'en appliquant le taux de 80 % pour fixer le préjudice subi par la Suva à la suite des frais de justice qu'elle a dû verser aux responsables de l'accident, liés à sa condamnation aux dépens et au frais non compris dans les dépens par les décisions ayant déclaré son action prescrite cependant qu'il résultait de ses constatations que les chances de succès de son action sur le fond étaient certaines de sorte que si Me Ertlen n'avait pas commis de faute, elle n'aurait pas été condamnée à payer ses frais, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
ALORS, 3°), QUE la réparation du préjudice doit être intégrale ; qu'en déduisant, pour fixer le préjudice économique subi par les ayant-droits de M. X..., qui constituait l'assiette du recours de la Suva, des revenus de ces derniers les rentes qui leur avaient été servies par la Suva à la suite du décès M. X..., lesquelles n'avaient d'autre objet que d'indemniser la famille de ce décès et qui, par suite, si elles devaient être déduites, ne pouvaient l'être qu'une fois le préjudice économique évalué, la cour d'appel a violé l'article 1382 et le principe de la réparation intégrale.