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19/03/2014 | FRANCE | N°13-14795

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 19 mars 2014, 13-14795


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 894 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par deux actes du 4 août 1994, Antoine X... et son épouse, Marcelle Y..., ont vendu, d'une part, un immeuble à une SCI Grande Rue, d'autre part, une maison d'habitation, dont ils conservaient le droit d'usage et d'habitation, et des locaux commerciaux à une SCI JPB ; qu'ils sont décédés, elle le 12 décembre 2005, lui le 5 janvier 2006, en laissant leurs deux enfants, MM. Jean et

André X... ;
Attendu que, pour dire que les ventes ont un caractère...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 894 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par deux actes du 4 août 1994, Antoine X... et son épouse, Marcelle Y..., ont vendu, d'une part, un immeuble à une SCI Grande Rue, d'autre part, une maison d'habitation, dont ils conservaient le droit d'usage et d'habitation, et des locaux commerciaux à une SCI JPB ; qu'ils sont décédés, elle le 12 décembre 2005, lui le 5 janvier 2006, en laissant leurs deux enfants, MM. Jean et André X... ;
Attendu que, pour dire que les ventes ont un caractère fictif et constituent des donations déguisées, de sorte que M. Jean X... doit rapporter aux successions l'intégralité des libéralités dont il a bénéficié et que les peines du recel successoral doivent lui être appliquées, l'arrêt se borne à relever que l'absence de réclamation d'un quelconque paiement par les vendeurs démontre que ces derniers n'avaient pas entendu procéder à titre onéreux mais bien consentir une libéralité, par personnes morales interposées, à leur fils Jean, voire à leur petit-fils Pascal, tous deux seuls associés par moitié au sein des deux SCI auxquelles les époux X... ont vendu fictivement tous leurs immeubles puisque seule une somme de 90 000 francs a été payée au titre de la vente de biens d'une valeur totale de plus de 1 200 000 francs et que ce paiement infime est très insuffisant pour démentir le caractère fictif de la vente ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les vendeurs avaient ou non agi dans une intention libérale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a ordonné le rapport aux successions de ses parents par M. Jean X... d'une somme de 15 435, 23 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 janvier 2006, et dit que les intérêts échus et dus au moins pour une année entière produiront eux-mêmes, à compter du 22 avril 2010, et par période annuelles, intérêts au taux légal, l'arrêt rendu le 7 janvier 2013, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ;
Condamne M. André X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. André X... et le condamne à payer à MM. Jean et Pascal X... ainsi qu'aux SCI Grand rue et JPB la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour MM. Jean et Pascal X... et les sociétés Grande Rue et JPB
PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir constaté le caractère fictif des ventes conclues le 4 août 1994 entre les époux X... et les SCI Grande Rue et JPB, dit que ces ventes fictives étaient constitutives de donations déguisées et ordonné en conséquence le rapport à la succession de la valeur des biens immobiliers eux-mêmes, ensemble appliqué les peines du recel successoral à la somme devant être ainsi rapportée ;
AUX MOTIFS D'ABORD QUE la fraction des prix de vente des immeubles en cause devant être réglée au comptant, soit la somme totale de 90. 000 francs, a bien été payée (arrêt p. 8 et p. 9, deux premiers §) ; qu'en revanche, les soldes des prix de vente n'ont jamais été réglés par la SCI Grande Rue et la SCI JPB (arrêt pp. 9, 10 et 11, trois premiers §) ;
AUX MOTIFS ENSUITE QUE l'absence de réclamation d'un quelconque paiement par les vendeurs démontre que ces derniers n'avaient pas entendu procéder à titre onéreux mais bien consentir une libéralité, par personnes morales interposées, à leur fils Jean, voire à leur petit-fils Pascal, tous deux seuls associés par moitié au sein des deux SCI auxquelles ils ont vendu fictivement tous leurs immeubles puisque seule une somme de 90. 000 francs a été payée au titre de la vente de biens d'une valeur de plus de 1. 200. 000 francs ; que ce paiement infime, qui apparaît, comme le souligne André X..., n'avoir été réalisé que pour des motifs de preuve, est très insuffisant pour démentir le caractère fictif de la vente ; qu'en outre, les deux SCI ont été constituées le même jour entre les mêmes associés, Jean X..., désigné dans les actes constitutifs comme étant entrepreneur de maçonnerie, et Pascal X..., alors âgé de 22 ans, dont la profession n'est pas précisée, ont toutes deux établi leurs statuts le 16 avril 1994, ont été enregistrées le 29 avril suivant et immatriculées le 10 mai 2006 au registre du commerce et des sociétés ; que la SCI Grande Rue s'est domiciliée, dès le 16 avril 1994, au 104, Grande Rue à Bonny-sur-Loire tandis que la SCI JPB s'est domiciliée à la même date de la même rue et qu'il est dès lors constant que ces deux sociétés n'ont été constituées qu'en vue de devenir propriétaires des immeubles situés à ces deux adresses qu'ils n'ont acquis que quatre mois plus tard ; que Jean et Pascal X... n'exposent pas pourquoi ils ont jugé utile de constituer deux SCI distinctes, bien que strictement composées des mêmes associés égalitaires, tous deux cogérants, pour procéder le même jour à deux acquisitions de biens immobiliers situés dans la même rue et appartenant aux mêmes propriétaires et qu'il sera relevé que les deux SCI n'ont pas acquis d'autres biens immobiliers, sauf à préciser que la SCI JPB a, en 2001, acheté, moyennant le prix de 4. 000 francs, une parcelle de terrain en friche attenante à son immeuble ; qu'il est en conséquence avéré que les deux SCI n'ont été crées que pour dissimuler à André X... la transmission gracieuse de la propriété des biens des époux Antoine X... et que les ventes fictives opérées le 4 août 1994 au profit de ces deux personnes intermédiaires constituent des donations déguisées et seront ainsi qualifiées ;
ET AUX MOTIFS ENFIN QU'aux termes de l'article 843 du Code civil, tout héritier doit rapporter à ses cohéritiers ce qu'il a reçu du défunt, par donation entre vifs, directement ou indirectement, et ne peut retenir ces dons à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale, ce qui conduit à ordonner le rapport, par Jean X..., aux successions de ses parents, des donations déguisées qui lui ont été consenties ; qu'aux termes de l'article 858 du Code civil, le rapport ne peut être exigé en nature mais est dû, par l'héritier, à hauteur de la valeur du bien donné à l'époque du partage d'après son état à l'époque de la donation ; qu'il résulte de l'expertise judiciaire que les immeubles donnés avaient une valeur de 497. 400 euros lors des opérations d'expertise, cette valeur tenant compte de leur état au moment de la donation sans qu'il n'y ait lieu de déduire de ce prix des travaux d'entretien, de réparation ou d'amélioration effectués après 1994 en l'absence de preuve d'un quelconque d'un paiement de ces travaux opéré par les appelants ; que cependant, Monsieur André X... forme ses demandes en raisonnant comme si son frère était seul titulaire des parts des deux SCI mais que Jean et Pascal X... sont associés par moitié au sein de chacune d'elles ; qu'il apparaît dès lors nécessaire que les parties concluent, soit sur le caractère fictif de l'association de Pascal X... au sein de ces sociétés, soit sur l'existence de donations déguisées consenties par les époux Antoine X..., d'une part à leur fils cadet, d'autre part à leur petit-fils, à hauteur du pourcentage des parts dont chacun d'eux est détenteur au sein de chaque SCI ; qu'à supposer qu'il soit bénéficiaire d'une donation déguisée, Pascal X..., qui n'est pas héritier des défunts, n'aurait pas à rapporter les avantages reçus à la succession de ses grands-parents mais que pourraient en revanche lui être appliquées les règles relatives à la réduction des libéralités ;
ALORS QUE, D'UNE PART, la qualification de donation déguisée présuppose l'intention libérale du prétendu donateur, laquelle doit être établie par le cohéritier qui se prévaut de la simulation ; que ne pouvant donc être présumée, l'intention libérale ne saurait s'inférer de l'attitude purement passive et dès lors nécessairement équivoque du prétendu donateur qui n'a pas réclamé le paiement du prix de vente qui lui était normalement dû, cette donnée étant notamment impropre à établir que dès la conclusion de la vente requalifiée en donation déguisée, les donateurs avaient été animés par l'intention libérale de dispenser irrévocablement leur acquéreur du paiement du prix ; qu'en déduisant l'intention libérale des de cujus de la seule absence de réclamation des sommes qui leur étaient dues au titre de la fraction des prix de vente devant faire l'objet d'un paiement différé et échelonné, la cour viole les articles 894 et 1315 du Code civil, ensemble l'article 12 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, dès lors que le supposé donataire était ici, non point Monsieur Jean X... lui-même, mais deux sociétés civiles immobilières dont il n'était que l'associé à parts égales avec son propre fils, l'intention libérale, qui seule autorisait la requalification des ventes elles-mêmes en donation déguisée, devait être préalablement caractérisée, non seulement à l'égard de Monsieur Jean X..., mais également à l'égard de Monsieur Pascal X... ; que dès lors, en qualifiant les ventes de fictives, sans avoir préalablement tranché sur le caractère également fictif des sociétés en cause, ni sur le point de savoir si les de cujus avaient été également animés d'une intention libérale à l'égard de leur petit-fils Pascal X..., cette question étant expressément réservée à la faveur des dispositions avant-dire droit qui assortissent l'arrêt attaqué, la cour ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 894 du Code civil ;
ET ALORS QUE, ENFIN, ayant elle-même constaté qu'une partie des prix de vente, à hauteur de la somme totale de 90. 000 euros, avait été effectivement payée, ce dont il résultait que la donation déguisée, à supposer l'intention libérale établie, n'avait pu porter que sur les deniers supposés avoir fait l'objet d'une dispense de remboursement et non sur les biens immobiliers eux-mêmes, la cour ne pouvait, sauf à refuser de tirer les conséquences de ses propres constatations, estimer que les ventes elles-mêmes étaient fictives et constitutives de donations déguisées, sauf à violer de nouveau l'article 894 du Code civil, ensemble l'article 12 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir ordonné à Jean X... le rapport aux successions de ses parents de l'intégralité des libéralités dont il a pu bénéficier au titre des ventes requalifiées en donations déguisées, ensemble appliqué les peines du recel successoral à l'intégralité de ces rapports ;
AUX MOTIFS QU'il est avéré que les deux SCI n'ont été crées que pour dissimuler à André X... la transmission gracieuse de la propriété des biens des époux Antoine X... et que les ventes fictives opérées le 4 août 1994 au profit de ces deux personnes intermédiaires constituent des donations déguisées et seront ainsi qualifiées ; qu'aux termes de l'article 843 du Code civil, tout héritier doit rapporter à ses cohéritiers ce qu'il a reçu du défunt, par donation entre vifs, directement ou indirectement et ne peut retenir ces dons à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale, ce qui conduit à ordonner le rapport, par Jean X..., aux successions de ses parents, des donations déguisées qui lui ont été consenties ;
ET AUX MOTIFS ENCORE QUE la sanction du recel successoral est applicable même lorsque, comme en l'espèce, les défunts ont participé à la fraude en opérant une vente fictive destinée à procurer un avantage à l'un de leurs héritiers et que l'argument de Jean X... de la libre volonté de ses parents est en conséquence inopérant ; que Jean X... reconnaît d'ailleurs partiellement l'entente avec ses parents en faisant valoir que son frère s'est toujours montré « ingrat » envers ces derniers auquel lui-même a seul apporté un soutien moral et financier, ce qui justifierait que lui ait été consenti un traitement plus favorable ; que cette argumentation aurait pu être admise si Jean X... n'avait pas tenté de tromper son frère mais que l'existence d'un recel successoral est désormais incontestable, Jean X... n'ayant jamais déclaré les libéralités dont il a bénéficié mais en ayant au contraire toujours contesté la réalité, y compris dans ses écritures devant la cour et dans sa production de pièces non probantes, en tentant de les cacher par la conclusion de ventes fictives au profit de sociétés qu'il n'a créées que dans le but de rompre, en accord avec ses parents, l'égalité du partage ; que les peines du recel successoral seront en conséquence appliquées aux libéralités dont il doit le rapport ;
ALORS QUE la dispense de rapport peut être tacite, pourvu qu'elle s'infère de la volonté non équivoque du donateur d'avantager l'un de ses héritiers au détriment des autres ; que si la donation déguisée n'est pas par elle-même et en raison du seul déguisement nécessairement dispensé de rapport, il en va autrement lorsqu'il est avéré que le déguisement a été réalisé dans l'intention de cujus de rompre l'égalité du partage ; qu'en l'espèce, à suivre la cour en son raisonnement, « les deux SCI n'ont été crées que pour dissimuler à André X... la transmission gracieuse de la propriété des biens des époux Antoine X... » (arrêt p. 12, § 3), « les défunts ont participé à la fraude en opérant une vente fictive destinée à procurer un avantage à l'un de leurs héritiers » (arrêt p. 13, § 5) et Jean X... aurait dissimulé les libéralités litigieuses « en tentant de les cacher par la conclusion de ventes fictives au profit de sociétés qu'il n'a créées que dans le but de rompre, en accord avec ses parents, l'égalité du partage » (arrêt p. 13 in fine) ; que de l'intention ainsi souverainement appréciée des de cujus eux-mêmes de rompre l'égalité du partage s'inférait nécessairement la dispense de rapport, de sorte qu'en considérant comme rapportables, à défaut de stipulation expresse, les donations déguisées supposées résulter des ventes litigieuses, qu'ainsi la cour viole l'article 843 du Code civil, ensemble l'article 12 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 13-14795
Date de la décision : 19/03/2014
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

DONATION - Donation déguisée - Intention libérale - Caractérisation - Nécessité - Applications diverses - Vente fictive

DONATION - Rapport à la succession - Conditions - Intention libérale du défunt - Caractérisation nécessaire SUCCESSION - Rapport - Libéralités rapportables - Conditions - Intention libérale du défunt - Caractérisation nécessaire

Prive de base légale sa décision la cour d'appel qui retient que des ventes fictives constituent des donations déguisées sans rechercher si les vendeurs avaient ou non agi dans une intention libérale


Références :

article 894 du code civil

Décision attaquée : Cour d'appel d'Orléans, 07 janvier 2013

Sur la nécessité de caractériser l'intention libérale, à rapprocher :1re Civ., 8 juillet 2010, pourvoi n° 09-12491, Bull. 2010, I, n° 170 (cassation partielle)


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 19 mar. 2014, pourvoi n°13-14795, Bull. civ. 2014, I, n° 42
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2014, I, n° 42

Composition du Tribunal
Président : M. Savatier (conseiller le plus ancien faisant fonction de président et rapporteur)
Avocat général : M. Jean
Avocat(s) : Me Blondel, SCP Odent et Poulet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2014:13.14795
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