LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er décembre 2011), que M. X..., engagé le 14 août 2008 par la société de droit danois Kim Johansen Kvistgaard en qualité de chauffeur routier, a saisi le conseil de prud'hommes pour contester la prise d'acte de sa démission par son employeur et obtenir sa requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'il a attrait devant le juge français la société Kim Johansen transports dont le siège social est en France ; que cette société a soulevé l'irrecevabilité de la demande et l'incompétence de la juridiction prud'homale ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de rejeter le contredit et de retenir la compétence du conseil de prud'hommes alors, selon le moyen, que, sauf exceptions expressément prévues dans le cadre du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, chaque fois que la compétence dépend d'une question de fond, le juge est tenu de trancher au préalable cette question de fond en se référant à la loi applicable telle que déterminée par les règles de conflit de lois, et notamment au regard de l'article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 applicable en l'espèce ; qu'en retenant qu'il existait une relation de travail entre la société Kim Johansen Transports et Monsieur X... sans déterminer au préalable au regard de quelle règle de conflit cette qualification pouvait être retenue et la relation de travail identifiée, les juges du fond ont violé les articles 5 et 19 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le contrat de travail écrit conclu entre le salarié et la société mère danoise ne faisait pas obstacle à ce que la société Kim Johansen transports puisse être qualifiée d'employeur, dès lors que le salarié était en mesure d'apporter la preuve qu'il était sous la subordination de cette société française, et constaté que les ordres de mission confiés au salarié ont été exécutés dans le cadre d'une relation de subordination et donc d'un contrat de travail liant ces deux parties, la cour d'appel, devant laquelle seule était discutée l'existence de ce lien de subordination entre la société française et le salarié, a, en retenant la compétence du conseil de prud'hommes, fait une juste application des dispositions de l'article 19 du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Kim Johansen transports aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Foussard, avocat aux Conseils pour la société Kim Johansen transports
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a rejeté le contredit et maintenu le jugement ayant retenu la compétence du Conseil de prud'hommes de BOBIGNY ;
AUX MOTIFS QUE « la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS étant un employeur français tandis que M. X... est de nationalité allemande ; que ce dernier invoque à juste titre les dispositions du règlement CE n° 44/2001, qui remplace la convention de Bruxelles, applicables au litige ; que conformément à l'article 19 de ce règlement c'est donc à bon droit que M. X... a attrait la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS devant le "tribunal de l'État où cet employeur a son domicile" » (arrêt, p. 4, al. 7) ;
ALORS QUE, si les juges du fond ont l'obligation, lorsque c'est nécessaire, de trancher la question de fond dont dépend la compétence, ils ne peuvent le faire qu'en se prononçant, dans le dispositif de leur décision, qui est seul décisoire, sur la question de fond ; que faute de procéder de la sorte, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 77 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a rejeté le contredit et maintenu le jugement ayant retenu la compétence du Conseil de prud'hommes de BOBIGNY ;
AUX MOTIFS QU' « qu'il résulte des pièces et conclusions des parties que la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS KVISTGAARD A/S est une société de transports routiers de droit danois ayant notamment pour filiale, en France, la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS ; que M. X... a conclu avec la société danoise un contrat de travail signé le 14 août 2008 aux termes duquel il était embauché en qualité de chauffeur effectuant des trajets destinés à l'export au sein de l'Union européenne ; qu'en cas d'arrêt de travail de M. X... pour cause de maladie, ce contrat prévoyait l'application de la législation sociale danoise ; que le 27 août 2009, M. X... n'a pas accompli la mission qu'il devait réaliser, que par un courriel du lendemain, son épouse a adressé à la responsable de la société française un certificat médical, en se plaignant, en ces termes, du harcèlement que celle-ci faisait subir à M. X... : "II n'a pas dormi depuis deux semaines, exceptée une ou deux heures (à) l'occasion (...) Je sais que vous êtes le patron mais traiter les gens décemment rend la vie plus facile (...)" ; que par courriel du 28 août 2009, la société française, sous la plume de Marylene Z..., a écrit à l'épouse de M. X... : "nous vous confirmons par la présente que votre mari a démissionné hier (...) Il a refusé une mission et a quitté la société. Si aujourd'hui il est malade nous ne pouvons qu'être désolés pour lui mais il a quitté son travail, il n'est plus l'un de nos employés, il n'a donc plus rien à faire dans notre société et doit s'adresser aux administrations de santé allemandes (...) Nous avons entendu votre mari parler négativement des autres chauffeurs non allemands. Le récent cas que nous avons eu est celui-ci : votre mari a demandé à notre dispatcheur que seul ses collègues allemands soient autorisés à utiliser son camion à Beaune. N'est-ce pas du racisme. En tant que responsable de la société nous ne pouvons pas accepter que les conducteurs laissent rouler leurs engins, 5, 6, 7 heures. Cela serait un véritable désastre pour l'environnement (...) Peut-être si vous saviez ce à quoi nous devons faire face chaque jour, vous comprendriez mieux (...)" ; que par lettre datée du 27 août 2009, la société danoise, la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS, a écrit à M. X... : "Par la présente nous vous confirmons que vous avez démissionné de votre travail à Paris le jeudi 27 août 2009. (...) Le manager du bureau de Paris chez la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS, Marylène Z..., a accepté votre démission le même jour" ; que dans des échanges ultérieurs, la société danoise ¿qui versait ses salaires et délivrait ses bulletins de paye à M. X... depuis le début du contrat conclu avec elle exposait à celui-ci qu'elle ne paierait pas ses "jours d'arrêt maladie" puisqu'il avait démissionné et lui rappelait : "vous avez contracté avec KIM JOHANSEN et non pas KIM JOHANSEN FRANCE, ce qui signifie que vous n'avez pas besoin d'envoyer des fax et des lettres à la société française"; que c'est dans ces conditions que M. X... a attrait la société française KIM JOHANSEN TRANSPORTS devant le conseil de prud'hommes de Bobigny, à raison du lieu du siège social de cette société, afin de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et condamner la société à lui payer diverses indemnités en conséquence ; que la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS ayant soulevé l'incompétence de la juridiction saisie, au motif qu'elle n'était liée par aucun contrat de travail avec M. X..., le conseil de prud'hommes a estimé au contraire, dans le jugement présentement frappé de contredit, qu'il existait, entre elle et le demandeur, un lien de subordination caractéristique du contrat de travail ; que la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS prétend qu'elle n'avait aucun lien de droit avec M. X... alors que ce dernier était lié par contrat de travail écrit, conclu avec la société mère danoise, laquelle, de surcroît, acquittait le salaire et délivrait les bulletins de paye de M. X... ; que M. X... soutient que son activité l'a en réalité amené à n'être en relation qu'avec la filiale française, la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS, dont le siège social est à TREMBLAY EN FRANCE (93) ; que cette société lui adressait ses ordres de mission, la quasi-totalité des missions s'effectuant, de plus, selon lui, au départ de l'aéroport de ROISSY ; qu'il est dès lors fondé à attraire la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS devant la juridiction prud'homale française du lieu de son siège social, en application des dispositions de l'article 19 du règlement CE n° 44/2001 ; que le contrat de travail écrit conclu entre M. X... et la société mère danoise de la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS ne fait pas obstacle à ce que cette dernière société puisse être qualifiée d'employeur de M. X..., dès lors que M. X... est en mesure d'apporter la preuve qu'il était sous la subordination de cette société française ; qu'il n'est pas contestable ¿ainsi qu'il résulte d'ailleurs de la lettre susvisée de la société danoise à M. X... datée du 27 août 2009 que la société française KIM JOHANSEN TRANSPORTS est couramment dénommée "bureau" cette appellation correspondant à l'implantation géographique, en France, de la société danoise, à travers une entité juridique distincte d'elle-même ; qu'en outre, les courriels versés aux débats (de Morten Quist Hammer à M. X... des 3 et 4 juin 2008) démontrent qu'avant de signer son contrat avec la société danoise, M. X... avait répondu à une demande d'emploi de chauffeur pour faire "partie du bureau de Paris" ; que, même s'ils ne sont pas complètement lisibles, les ordres de mission produits par M. X... mentionnent clairement que les disques des routiers doivent être envoyés, une fois par semaine, au "bureau" ; que cette précision tend à corroborer l'argumentation de M. X... selon laquelle il tenait bien ses ordres de mission de la société française qui, par la lecture des disques, contrôlait son travail, alors qu'aucun élément n'est produit par la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS de nature à établir que M. X... recevait ses ordres de mission, comme elle le prétend, de sa société mère danoise ; qu'il résulte, de plus, du rappel des faits ci-dessus, que les arrêts de travail étaient adressés par le salarié à la responsable de la société française constituant ce bureau ; que l'échange de courriel précité entre l'épouse de M. X... et la responsable de la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS traduit la connaissance ainsi que le pouvoir de contrôle et d'appréciation dont cette dernière disposait, quant au travail de M. X... ; que ces mêmes courriers démontrent que cette responsable avait également qualité, sans habilitation préalable de la société danoise, ¿comme celle-ci le reconnaît dans sa lettre à M. X... datée du 27 août 2009¿ pour recevoir la démission du salarié, prétendument donnée par M. X... ; qu'enfin, il n'est pas établi que M. X... se soit jamais adressé à la société mère danoise pour l'exécution des missions qui lui étaient confiées par le « bureau parisien », la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS ; qu'il résulte des énonciations précédentes que les ordres de missions confiés à M. X... par la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS ont été exécutés par M. X... dans le cadre d'une relation de subordination et, donc, d'un contrat de travail, liant ces deux parties ; que la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS étant un employeur français tandis que M. X... est de nationalité allemande, ce dernier invoque à juste titre les dispositions du règlement CE n° 44/2001, qui remplace la convention de Bruxelles, applicables au litige ; que conformément à l'article 19 de ce règlement c'est donc à bon droit que M. X... a attrait la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS devant le tribunal de l'Etat où cet employeur a son domicile» ;
ALORS QUE, sauf exceptions expressément prévues dans le cadre du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, chaque fois que la compétence dépend d'une question de fond, le juge est tenu de trancher au préalable cette question de fond en se référant à la loi applicable telle que déterminée par les règles de conflit de lois, et notamment au regard de l'article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 applicable en l'espèce ; qu'en retenant qu'il existait une relation de travail entre la société KIM JOHANSEN TRANSPORTS et Monsieur X... sans déterminer au préalable au regard de quelle règle de conflit cette qualification pouvait être retenue et la relation de travail identifiée, les juges du fond ont violé les articles 5 et 19 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000.