LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Didier X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 19 janvier 2012, qui, pour harcèlement moral, l'a condamné à 15 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 décembre 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, M. Beauvais, conseiller rapporteur, Mme Guirimand, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller BEAUVAIS, les observations de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT et BOUCARD, de la société civile professionnelle DELVOLVÉ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MATHON ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3 et 222-33-2 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. X...coupable de harcèlement moral à l'encontre de M. C..., et l'a condamné à une amende de 15 000 euros ainsi qu'à payer à la partie civile une somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que, suivant l'article 222-33-2 du code pénal, le harcèlement moral est constitué par le fait d'agissements répétés subis ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, de compromettre son avenir professionnel ; qu'il apparaît que M. X...a voulu se séparer d'un secrétaire général qui ne lui convenait pas, arguant d'une divergence des vues et incompatibilités diverses et variées ; que successivement, il a multiplié les procédures vexatoires, disciplinaires et judiciaires pour arriver à ses fins ; qu'au mépris des dispositions du règlement intérieur de la chambre des métiers, M. X...a, en premier lieu, écarté sans raison valable M. C... des premières parties des réunions du bureau auxquelles il avait voix consultative, la confidentialité évoquée n'ayant en l'espèce aucun fondement ; que si il appartenait au président de la chambre de diligenter éventuellement toute procédure utile, il lui était néanmoins fait en obligation de respecter les décisions de justice en la matière ; que nonobstant l'avis négatif du conseil de discipline de la commission paritaire national du personnel administratif des chambres des métiers en date du 6 juin 2007, M. C... a été révoqué le 17 juillet 2007 ; que l'ordonnance du juge administratif de Rouen du 29 août 2007, suspendant cette mesure, est sans ambiguïté puisqu'elle a ordonné de placer M. C... dans une position régulière au regard des règles statutaires ; que M. X..., à compter de cette décision, a clairement manifesté sa volonté par de multiples agissements d'écarter son secrétaire général de ses véritables fonctions ; que notamment, le président de chambre a placé M. C... sous l'autorité et la tutelle d'un directeur de la coordination des services M. Y..., recruté quelques jours avant l'ordonnance du 29 août 2007 pour remplir en fait les fonctions de secrétaire général ; qu'à compter de sa réintégration début octobre 2007, M. C... a été exclu des diverses réunions ou assemblées générales au mépris du règlement intérieur de la chambre et a été privé de toute activité correspondant à son poste, attitude caractérisant de la part du prévenu une volonté vexatoire dans le but d'éliminer définitivement un agent qui lui déplaisait ; qu'au surplus, M. X...a multiplié les mesures humiliantes destinées à rabaisser M. C... dans une position intenable au sein de la chambre des métiers : éviction de son bureau, privation du badge d'accès et à tous les services, interdiction de contacts avec les chefs de service, mise à disposition d'un matériel obsolète ou inadapté ; qu'un grand nombre d'agents de la chambre des métiers ou d'élus du bureau ont confirmé cette situation ; que par ces agissements, M. X...a violé délibérément la décision de justice du 29 août 2007, qui a par ailleurs été confirmée ultérieurement par le Conseil d'Etat le 5 mars 2008 ; qu'il convient enfin de rappeler que le tribunal administratif a annulé le 10 juillet 2008 les décisions des 20 mars 2007 et 17 juillet 2007 relatifs à la suspension et à la révocation de M. C... ; qu'ayant conscience que sa position envers M. C... ne pouvait être légalement fondée, M. X...a proposé sans succès lors de l'assemblée générale du 17 octobre 2007, le transfert des fonctions de secrétaire général sur le poste du directeur général en charge de la coordination des services détenu par M. Y...; que par ailleurs, M. X..., responsable d'un établissement public d'Etat et devant à ce titre conserver un comportement approprié, s'est répandu à l'intérieur ou à l'extérieur de la chambre des métiers en propos non vérifiés sur l'alcoolisme supposé du secrétaire général ou sur des malversations alléguées ; qu'il apparaît que l'attitude de M. X...a dégénéré en conflit personnel se manifestant ouvertement par des propos auprès de divers interlocuteurs démontrant la volonté du président de " virer " le secrétaire général, suivant le terme rapporté par les témoins ; que M. X...a déposé plusieurs plaintes pénales sans succès dont une sans l'aval du bureau de la chambre (plainte du 6 janvier 2008) ; que suite à la décision du tribunal administratif du 10 juillet 2008 annulant les décisions des 20 mars et 17 juillet 2007 relatif à la suspension et à la révocation de M. C..., le préfet a rappelé au président son obligation de réintégration du secrétaire général dans ses fonctions ; que face à cette obligation, M. X...a usé à nouveau de divers subterfuges pour se débarrasser du secrétaire général ; qu'il l'a d'abord sommé de prendre des vacances puis a argué d'invectives et menaces de sa part pour le suspendre de ses fonctions ; qu'enfin, il tentait à nouveau une procédure de révocation devant le bureau qui n'a pas abouti, face à l'opposition de ses collègues et en l'absence d'éléments probants ; qu'en outre, il y a lieu de noter qu'un audit de la chambre des métiers demandé par le préfet a conclu que M. C... avait fait l'objet de harcèlement ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, M. X...par la multiplication des mesures vexatoires, injustes et inappropriées et en violation des dispositions règlementaires ou des décisions de justice, s'est rendu coupable à l'égard de M. C... du délit de harcèlement moral ;
" et aux motifs a les supposer adoptes des premiers juges que : « dès janvier 2006, M. X...exprimait sa volonté de se séparer d'un secrétaire général qui ne lui convenait pas ; que dans cette optique, il jouait sur deux registres ; que d'une part, il engageait en 2006 une stratégie d'isolement de M. C..., l'écartant d'abord des réunions du bureau puis au fil des procédures, le privant de travail et le coupant de ses collègues ; que d'autre part, il mettait en oeuvre procédures disciplinaires et pénale, ces actions confinant à l'acharnement dès lors qu'elles étaient poursuivies dans des conditions irrégulières, ce qui était patent en 2008 ; qu'à compter de 2007, il multipliait les mesures vexatoires, injustes et inappropriées, tendant à discréditer aux yeux de son entourage ce collaborateur en place depuis plusieurs années :- il lui retirait irrégulièrement ses attributions de supérieur hiérarchique, lui interdisant d'exercer sa fonction de directeur des services et des relations humaines, le subordonnant à celui qui avait de fait pris sa place, l'affectant à des missions plus ou moins fictives qui, de toute façon, ne correspondaient pas à sa qualification ;- il l'isolait et le coupait de ses collègues de travail ;- il lui retirait les instruments de travail efficaces nécessaires à l'accomplissement de ses missions et l'empêchait d'accéder librement à son lieu de travail ; qu'à l'automne 2007 puis durant l'été 2008, nonobstant les décisions de justice, il refusait de réintégrer M. C... dans ses fonctions, préférant en dernier lieu initier une nouvelle procédure disciplinaire, qu'il était finalement contraint d'abandonner compte tenu de l'opposition de ses collègues et de l'absence d'éléments probants ; que M. X...ne peut se dédouaner en arguant de l'accord du bureau ; qu'en effet, si celui-ci suivait initialement le président, les élus prenaient leurs distances dès 2007 ¿ ils se montraient hostiles à une procédure pénale et manifestaient une franche opposition à compter de 2008 ; qu'au lieu d'en tenir compte, M. X...en venait à violer le règlement intérieur de la CMA pour continuer seul ses actions contre M. C... ; qu'il ne peut non plus s'abriter derrière le fait qu'il serait contenté de suivre les avis des juristes de l'APCM ; que d'une part, il ne pouvait ignorer qu'il ne respectait pas le règlement intérieur de la CMA, notamment en 2008 ; que d'autre part, à supposer qu'il ait reçu de mauvais conseils, il ne pouvait qu'être alerté par les censures successives :- du conseil de discipline de la commission paritaire nationale du personnel administratif des chambres de métiers en juin 2007 ¿ des juridictions administratives à compter d'août 2007 ¿ de la tutelle préfectorale, notamment en novembre et décembre 2007 ; qu'accessoirement, s'agissant de la demande, pour le moins tardive d'audition du préfet Z..., elle n'apparaît pas utile et sera rejetée comme dilatoire, la défense ayant eu tout le loisir de citer le préfet comme témoin, ainsi qu'elle l'a fait pour Mmes A...et B...; qu'enfin c'est bien M. X...qui dénigrait M. C... en usant à son encontre auprès des tiers de termes aussi infamants que non démontrés ¿ alcoolique, incompétent, ne faisant pas son travail ¿ et en rapportant qu'il aurait eu un comportement insultant et vulgaire en juillet 2008- insultes et bras d'honneur-là encore sans aucune preuve de ses assertions ; que ces agissements et brimades répétés sur plusieurs années, ont eu pour objet et pour effet de dégrader les conditions de travail de M. C..., de porter atteinte à ses droits et sa dignité aux fins de compromettre son avenir professionnel, l'objet avoué de ces mesures étant de le " virer " ; qu'ils ont altéré sa santé, ainsi qu'en attestent notamment son épouse et le suivi médical accru » ;
" 1°) alors que nul ne peut être puni pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi en termes clairs et non équivoques, permettant au prévenu de connaître exactement la nature et la cause de l'accusation portée contre lui ; que pour déclarer M. X...coupable de harcèlement moral, la cour d'appel s'est prononcée en application de l'article 222-33-2 du code pénal qui dispose que « le fait de harceler autrui par des agissements ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende » ; que cependant ce texte ne satisfait pas aux exigences de clarté et de prévisibilité, de sorte qu'il ne peut servir de fondement à une condamnation pénale pour harcèlement moral ;
" 2°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; qu'en se bornant à affirmer que M. X...avait multiplié les procédures vexatoires, disciplinaires et judiciaires pour se séparer de M. C..., sans rechercher si les agissements dudit prévenu ne rentraient pas dans le cadre de son pouvoir de direction à l'égard du secrétaire général, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 3°) alors que M. X...soutenait en cause d'appel que le bureau de la chambre des métiers avait voté à l'unanimité la révocation de M. C... malgré l'avis du conseil de discipline de la commission paritaire nationale du personnel administratif des chambres des métiers, de sorte qu'il s'agissait en réalité d'une décision collective ; qu'en se bornant à affirmer que nonobstant l'avis négatif du conseil de discipline de la commission paritaire nationale du personnel administratif des chambres des métiers, M. C... avait été révoqué par M. X..., sans répondre aux conclusions par lesquelles ce dernier s'était prévalu du caractère collectif de la décision, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 4°) alors que M. X...soutenait en cause d'appel que la réintégration M. C... au poste de secrétaire général était impossible et que c'est sur la base d'une expertise juridique établie par M. A..., directeur des affaires juridiques de l'assemblée permanente des chambres des métiers, que M. C... avait été réintégré ; qu'en se bornant à affirmer qu'à partir de sa réintégration Monsieur C... avait été privé de toute activité correspondant à son poste, sans répondre à ce chef des conclusions de M. X..., la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
5°) alors qu'en se bornant à affirmer que M. X...avait multiplié les mesures vexatoires, injustes et inappropriées, en violation des dispositions réglementaires ou des décisions de justice, sans rechercher, par référence aux circonstances propres de l'espèce, si les agissements répétés du prévenu avaient eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits ou la dignité de M. C..., d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 222-33-2 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;
" en ce que la cour a déclaré M. X...coupable de harcèlement moral à l'encontre de M. C..., et s'est déclarée compétente pour statuer sur les conséquences dommageables, en condamnant le prévenu à payer à la partie civile une somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que l'attitude de M. X...s'est manifestée par une multiplication de comportements vindicatifs injustifiables à l'égard de M. C... le poursuivant ainsi d'une hargne avérée et de violations manifestes et parfaitement assumées des règlements et des décisions de justice qui constitue une faute personnelle détachable du service ; qu'en conséquence, la cour est compétente pour statuer sur les conséquences dommageables » ;
" alors qu'est détachable de la fonction d'un agent public, même si elle n'est pas dépourvue de tout lien avec son service, la faute de cet agent qui, impliquant une intention de nuire ou présentant une gravité particulière, révèle un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique, en poursuivant un intérêt personnel ; qu'en se bornant à affirmer que l'attitude de M. X...s'était manifestée par une multiplication de comportements vindicatifs injustifiables à l'égard de M. C..., et était accompagnée d'une hargne avérée ainsi que de violations manifestes des règlements et décisions de justice, pour en déduire que ce comportement constituait une faute détachable du service, sans constater que M. X...avait poursuivi un intérêt personnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt confirmatif attaqué, exemptes d'insuffisance comme de contradiction, mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions présentées devant elle, a caractérisé en tous ses éléments le délit de harcèlement moral défini par l'article 222-33-2 du code pénal, qui satisfait aux exigences de clarté et de prévisibilité de la loi pénale, dont elle a déclaré coupable M. X..., président de la chambre des métiers et de l'artisanat de Seine-Maritime, après avoir retenu à bon droit sa compétence pour statuer sur l'action civile en l'état d'agissements fautifs du prévenu détachables du service, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice découlant de l'infraction ;
D'où il suit que les moyens, qui reviennent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Fixe à 2 500 euros la somme que le demandeur devra verser à M. d'Andigné en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit janvier deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;