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12/12/2013 | FRANCE | N°12-21410

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 12 décembre 2013, 12-21410


Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 14 septembre 2011), que Mme X..., née en 1987, étudiante en BTS de management commercial, engagée selon contrat de professionnalisation pour la période 1er décembre 2008/ 30 juin 2010 en qualité de vendeuse dans la boutique de prêt à porter féminin exploitée par la société R18, a été licenciée après mise à pied conservatoire par lettre du 7 février 2009 pour faute grave ;
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de retenir la faute grave et de la débouter de ses demandes à ce titre, alors selon

le moyen :
1°/ QUE dans le cadre de l'enquête ordonnée par le Conseil de pru...

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 14 septembre 2011), que Mme X..., née en 1987, étudiante en BTS de management commercial, engagée selon contrat de professionnalisation pour la période 1er décembre 2008/ 30 juin 2010 en qualité de vendeuse dans la boutique de prêt à porter féminin exploitée par la société R18, a été licenciée après mise à pied conservatoire par lettre du 7 février 2009 pour faute grave ;
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de retenir la faute grave et de la débouter de ses demandes à ce titre, alors selon le moyen :
1°/ QUE dans le cadre de l'enquête ordonnée par le Conseil de prud'hommes, Mme Martine F... a successivement déclaré : " M. Y... m'a appelé pour me dire qu'elle la salariée s'était mal comportée et qu'il ne voulait pas la garder car il disait qu'elle semait la zizanie dans ses équipes. Saïda m'a appelée pour me dire " catastrophe, M. Y... veut me mettre à la porte ". M. Y... m'a dit au téléphone qu'il n'avait rien à f. des alternants... " ; que si le témoin n'a pas daté les faits relatés, son récit, et notamment la référence au fait que M. Y... " ne voulait pas garder " la salariée dans l'entreprise, démontre sans équivoque que la décision de licenciement était nécessairement acquise avant l'envoi de la lettre de rupture ; qu'en considérant que ce témoignage n'était pas assez précis quant à la date de la conversation téléphonique susvisée, pour en déduire que la décision de l'employeur n'était pas irrégulière, la cour d'appel, qui dénature le sens et la portée de ce témoignage, a violé l'article 1134 du Code civil ;
2°/ QUE la décision de licenciement prise avant l'envoi de la lettre de rupture constitue une irrégularité de procédure ouvrant droit à indemnisation pour le salarié ; qu'en l'espèce, il résulte suffisamment du témoignage sous serment de Mme Martine F..., relatant un appel téléphonique de M. Y... au cours duquel ce dernier indiquait " qu'il ne voulait pas garder " la salariée dans l'entreprise, que la décision de la licencier était nécessairement acquise avant l'envoi de la lettre de rupture, laquelle lui a été adressée le 7 février 2009 ; qu'en se bornant à énoncer qu'il ne résultait pas de ce témoignage que la décision de la licencier ait été prise avant le 28 janvier 2009, jour de la remise de la convocation à l'entretien préalable, pour en déduire qu'aucune irrégularité n'était caractérisée, sans rechercher s'il ne résultait pas à tout le moins des déclarations du témoin que cette décision avait nécessairement été prise avant l'envoi de la lettre de licenciement, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif inopérant, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L 1235-2 du code du travail ;
3°/ QUE le caractère fautif des propos vifs tenus par un salarié à l'égard d'un autre salarié doit être apprécié en considération de l'ensemble des circonstances dans lesquelles les propos ont été tenus, notamment les habitudes de langage du milieu professionnel, le " contexte " et la personnalité du salarié ; que ne constitue pas une faute grave le fait d'être âgée de 21 ans et d'être soumise à un contrat de professionnalisation, d'avoir, au cours d'une dispute survenue en dehors des heures et du lieu de travail, reproché à l'une de ses collègues, appartenant à la même génération, d'être " la suceuse de la responsable ", c'est-à-dire, dans le style métaphorique en usage dans le milieu professionnel et la génération considérée, de montrer une trop grande soumission à l'égard de la hiérarchie, un tel propos, pour vif qu'il soit, n'ayant pour objet ni d'injurier ni de porter atteinte à la dignité de sa collègue ; qu'en considérant au contraire que ces propos constituaient une faute grave qui justifiait le licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1234-1 du code du travail ;
4°/ QU'en se bornant à énoncer que les propos en cause révélaient une agressivité verbale totalement déplacée à l'encontre d'une autre salariée, ainsi qu'une insulte à l'endroit de cette dernière, sans replacer ce comportement dans l'ensemble des circonstances tenant aux habitudes de langage du milieu professionnel, au " contexte " et à la personnalité des protagonistes, quand il était d'ailleurs établi par l'un des témoignages recueillis lors de l'enquête que l'employeur avait déclaré n'avoir " rien à f... des alternants ", ce qui démontrait qu'il usait lui-même d'un langage grossier, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L.. 1234-1 du code du travail.
Mais attendu que sous couvert de griefs non fondés de violation de la loi ou de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la cour de cassation l'appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de fait et de preuve qui leur étaient soumis ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par Me Bertrand, avocat aux Conseils pour Mme X...

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR décidé que le licenciement de Mademoiselle X... était justifié par une faute grave et, en conséquence, rejeté ses demandes contre la SARL R 18 ;
AUX MOTIFS QUE la vendeuse Karine Z... a attesté le 30 janvier 2009 que Saïda X... lui avait dit à haute voix, devant ses collègues et devant la porte d'entrée du magasin : " tu es une suceuse devant ta responsable " et qu'elle devait " fermer sa gueule si elle lui demande quoi que ce soit " ; qu'elle a précisé dans ce témoignage que " face à autant d'agressivité et d'injures il lui était devenu impossible de travailler dans ces conditions " et qu'elle avait proposé sa démission ; qu'elle a confirmé cette version lors de sa déposition pendant l'enquête des conseillers prud'hommes le 5 mars 2010 ; que les vendeuses Coralie A..., Marie B..., Cylène C..., Aurélie D... ont attesté que Saïda X... avait bien employé le mot " sucer " en s'adressant à Karine Z... ; que Marie B... a précisé dans son attestation du 25 mars 2009 que les mots " suceuse ", " ferme ta gueule " avaient été " violents et dit à une personne telle que Karine très timide, réservée, douce ", et que cela l'avait elle-même d'autant plus choquée que Karine Z... était partie afin que la situation " ne s'envenime pas " ; qu'au cours de l'enquête, Aurélie D... a déclaré avoir rédigé une première attestation qui avait été déchirée (sans préciser par qui), en avoir fait une seconde dans laquelle elle " disait la vérité " et qu'elle avait quitté son emploi " compte tenu de la pression " ; que Saïda X... se prévaut d'une attestation signée le 13 février 2009 par Aurélie D... et l'employeur d'une autre attestation du même témoin en date du 30 janvier 2009 ; que toutefois, lors de l'enquête, Aurélie D... avait confirmé sous serment que Saïda X... avait bien dit à Karine Z... " tu suces " lors de cette discussion entre collègues à l'extérieur de la boutique ; que le fait que, toujours selon Aurélie D..., Karine Z... avait répondu qu'elle ne suçait pas et qu'elle avait " très bien compris ce que (Saïda X...) voulait dire et cela n'avait aucune connotation sexuelle " n'enlève rien à la matérialité de l'incident ; que même si cet incident a eu lieu après la fermeture de la boutique et dans la rue, il revête un caractère professionnel dès lors qu'il s'est produit au cours d'une conversation d'une durée comprise entre dix minutes et un quart d'heure concernant exclusivement leur travail, tenue entre cinq salariées du même magasin et qu'il s'est produit à quelque mètres de la boutique selon une précision apportée lors de l'enquête par Aurélie D... ; que l'audition sous prestation de serment du 5 mars 2010 de Martine F..., conseillère en formation chargée du suivi scolaire de Saïda X..., est imprécise sur la date d'une conversation téléphonique entre elle et le gérant du magasin et ne permet pas de considérer que la décision de rupture avait été prise avant le 28 janvier 2009 ; que l'attestation du 13 février 2009 de la même Martine F... évoque seulement une mise à pied suivie d'une convocation à un entretien préalable ; que Léa E..., dont le témoignage est également invoqué par la salariée, n'a pas été personnellement et directement témoin de quoi que ce soit en rapport avec le litige ; qu'Aurélie D... ayant remis des attestations à l'employeur et au salarié dans des termes différents, seul le témoignage donné lors de l'enquête est fiable ; qu'elle n'y a pas fait état de décision de licencier prise dès le 28 janvier 2009 ; qu'il résulte des éléments régulièrement produits aux débats que Saïda X... avait bien reproché verbalement à Karine Z... d'être " la suceuse de la responsable " en présence d'autres collègues et d'une voix suffisamment forte pour être entendue par les passants qui s'étaient alors retournés selon Cylène C... et Marie B... ; que même en admettant, comme l'a expliqué Saïda X... à l'audience et comme l'a expliqué aussi la vendeuse Coralie A... lors de l'enquête, que cette expression soit dépourvue de connotation sexuelle mais synonyme de " lèche botte de la responsable ", il n'en demeure pas moins qu'il s'agissait d'un reproche exprimé publiquement dans des termes crus et violents ; que cet épisode avait été caractérisé par l'emploi par Saïda X... d'une agressivité verbale totalement déplacée à l'encontre d'une autre salariée, prise à parti et insultée en présence de trois collègues de travail et de passants ; que cet incident avait choqué certaines des salariées qui y avaient assisté, avait suffisamment impressionné Karine Z..., salariée du magasin depuis un an, décrite comme de caractère timide et réservé, pour qu'elle ait pris peur comme elle l'a indiqué lors de l'enquête, pour qu'elle ait pris la décision de quitter les lieux suivie en cela par ses collègues, pour qu'elle envisage de démissionner et pour qu'elle remette à M. Y..., gérant du magasin, une lettre pour lui notifier qu'elle ne pouvait rester dans l'entreprise dans ces conditions ; que dans une attestation complémentaire en date du 21 février 2011, Karine Z..., d'origine rwandaise, explique avoir quitté son pays à cause d'une guerre ethnique pour trouver la paix en France et non pour " vivre une violence verbale gratuite au travail " ; que, contrairement à ce qu'a jugé le conseil de prud'hommes, la sanction n'était pas disproportionnée, l'employeur avisé de ces faits par la victime, ne pouvant prendre le risque d'une confrontation dans la boutique de ces deux salariées après une telle scène dans laquelle Saïda X... est clairement identifiée comme l'agresseur et Karine Z... l'agressée ; que la sanction n'était donc pas abusive et que ces faits constituent bien une faute grave justifiant la rupture anticipée du contrat de professionnalisation et ne permettant pas le maintien de la salariée dans le magasin ; que l'intimée ne démontre pas en quoi son employeur aurait été déloyal dans l'exécution du contrat de travail ; que le jugement sera donc infirmé et Saïda X... déboutée de toutes ses demandes (arrêt, pages 3 et 4) ;
ALORS, d'une part, QUE dans le cadre de l'enquête ordonnée par le Conseil de prud'hommes, Madame Martine F... a successivement déclaré : " M. Y... m'a appelé pour me dire qu'elle Melle X... s'était mal comportée et qu'il ne voulait pas la garder car il disait qu'elle semait la zizanie dans ses équipes. Saïda m'a appelée pour me dire " catastrophe, M. Y... veut me mettre à la porte ". M. Y... m'a dit au téléphone qu'il n'avait rien à f ¿ des alternants... " ; que si le témoin n'a pas daté les faits relatés, son récit, et notamment la référence au fait que M. Y... " ne voulait pas garder " la salariée dans l'entreprise, démontre sans équivoque que la décision de licenciement était nécessairement acquise avant l'envoi de la lettre de rupture ; qu'en considérant que ce témoignage n'était pas assez précis quant à la date de la conversation téléphonique susvisée, pour en déduire que la décision de l'employeur n'était pas irrégulière, la cour d'appel, qui dénature le sens et la portée de ce témoignage, a violé l'article 1134 du code civil ;
ALORS, d'autre part, QUE la décision de licenciement prise avant l'envoi de la lettre de rupture constitue une irrégularité de procédure ouvrant droit à indemnisation pour le salarié ; qu'en l'espèce, il résulte suffisamment du témoignage sous serment de Madame Martine F..., relatant un appel téléphonique de Monsieur Y... au cours duquel ce dernier indiquait " qu'il ne voulait pas garder " la salariée dans l'entreprise, que la décision de licencier l'exposante était nécessairement acquise avant l'envoi de la lettre de rupture, laquelle a été adressée à la salariée le 7 février 2009 ; qu'en se bornant à énoncer qu'il ne résultait pas de ce témoignage que la décision de licencier Mademoiselle X... ait été prise avant le 28 janvier 2009, jour de la remise de la convocation à l'entretien préalable, pour en déduire qu'aucune irrégularité n'était caractérisée, sans rechercher s'il ne résultait pas à tout le moins des déclarations du témoin que cette décision avait nécessairement été prise avant l'envoi de la lettre de licenciement, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif inopérant, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L 1235-2 du Code du travail ;
ALORS, de troisième part, QUE le caractère fautif des propos vifs tenus par un salarié à l'égard d'un autre salarié doit être apprécié en considération de l'ensemble des circonstances dans lesquelles les propos ont été tenus, notamment les habitudes de langage du milieu professionnel, le " contexte " et la personnalité du salarié ; que ne constitue pas une faute grave le fait pour l'exposante, âgée de 21 ans et soumise à un contrat de professionnalisation, d'avoir, au cours d'une dispute survenue en dehors des heures et du lieu de travail, reproché à l'une de ses collègues, appartenant à la même génération, d'être " la suceuse de la responsable ", c'est-à-dire, dans le style métaphorique en usage dans le milieu professionnel et la génération considérée, de montrer une trop grande soumission à l'égard de la hiérarchie, un tel propos, pour vif qu'il soit, n'ayant pour objet ni d'injurier ni de porter atteinte à la dignité de sa collègue ; qu'en considérant au contraire que ces propos constituaient une faute grave qui justifiait le licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1234-1 du code du travail ;
ALORS, enfin, QU'en se bornant à énoncer que les propos en cause révélaient une agressivité verbale totalement déplacée à l'encontre d'une autre salariée, ainsi qu'une insulte à l'endroit de cette dernière, sans replacer ce comportement dans l'ensemble des circonstances tenant aux habitudes de langage du milieu professionnel, au " contexte " et à la personnalité des protagonistes, quand il était d'ailleurs établi par l'un des témoignages recueillis lors de l'enquête que l'employeur avait déclaré n'avoir " rien à f... des alternants ", ce qui démontrait qu'il usait lui-même d'un langage grossier, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 1234-1 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 12-21410
Date de la décision : 12/12/2013
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 14 septembre 2011


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 12 déc. 2013, pourvoi n°12-21410


Composition du Tribunal
Président : M. Bailly (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Balat, Me Bertrand

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2013:12.21410
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