LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° U 11-25.131 et W 12-26.954, qui attaquent le même arrêt ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Metz, 29 mars 2011), que les 18 juin et 16 juillet 2008, la société Frovia a passé commande à la société Continental Steel Company (la société Continental), respectivement de 5 000 tonnes de bobines d'acier au prix de 722 euros la tonne, et de 1 050 tonnes de cette même marchandise au prix de 814 euros la tonne pour 450 tonnes et de 792 euros la tonne pour 650 tonnes ; que le règlement de ces commandes devait s'effectuer par crédit documentaire irrévocable et à paiement différé consenti par la société Banque de l'économie, du commerce et de la monétique (la banque émettrice) au bénéfice de la société Continental ; que ce crédit était transférable à la société Angang Group Hong Kong (la société Angang) à laquelle la société Continental avait elle-même passé commande de ces marchandises ; qu'à la demande de la société Frovia, par ordonnance du 5 novembre 2008, le juge des référés a fait interdiction à la banque de régler l'échéance du 11 novembre 2008 ; que la société Angang a formé tierce opposition à cette ordonnance ;
Sur l'irrecevabilité du pourvoi n° U 11-25.131, relevée d'office, après avertissement délivré aux parties :
Vu l'article 613 du code de procédure civile ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que le délai de pourvoi en cassation ne court à l'égard des décisions rendues par défaut, même pour les parties qui ont comparu devant les juges du fond, qu'à compter du jour où l'opposition n'est plus recevable ;
Attendu que la société Angang s'est pourvue en cassation le 26 septembre 2011 contre un arrêt rendu par défaut, susceptible d'opposition, et qu'il n'est pas justifié de l'expiration du délai d'opposition à la date du pourvoi ;
D'où il suit que ce pourvoi est irrecevable ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° W 12-26.954 :
Attendu que la société Angang fait grief à l'arrêt d'avoir fait interdiction à la banque de régler l'échéance du 11 novembre 2008 portant sur un montant de 3 441 151, 30 euros, alors, selon le moyen :
1°/ qu'il résulte de l'autonomie du crédit documentaire par rapport au contrat de base que le donneur d'ordre ne peut en paralyser la réalisation, lorsqu'il est stipulé irrévocable, qu'en établissant une fraude portant sur la mise en place ou l'exécution de ce crédit documentaire ; que la fraude se distingue de la seule erreur ou mauvaise exécution du contrat en ce qu'elle suppose une gravité particulière du comportement, remettant en cause l'exécution même du contrat, et pas seulement la qualité de son exécution, qui ouvre un recours entre l'acheteur et le vendeur sans pour autant remettre en cause l'abstraction du crédit documentaire ; que pour faire interdiction à la banque de payer, la cour d'appel s'est bornée à constater une discordance purement matérielle entre les documents prévus à l'accréditif et ceux présentés (quatre factures au lieu d'une seule prévue, différence de référence des bobines et de prix) ; qu'en retenant qu'une fraude résultait de ces discordances matérielles, qui pouvaient tout au plus affecter la qualité de l'exécution du contrat et justifier d'un recours de l'acheteur contre le fournisseur sans pour autant remettre en cause le caractère abstrait du crédit documentaire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que la fraude suppose un élément intentionnel ; qu''il s'agit d'un comportement visant à tromper intentionnellement le cocontractant en lui faisant croire à l'exécution d'un contrat qui n'a pas été exécuté ; que pour faire interdiction à la banque de payer, la cour d'appel s'est bornée à constater une discordance purement matérielle entre les documents prévus à l'accréditif et ceux présentés ; qu'en s'abstenant de préciser en quoi il résultait de ces discordances un comportement visant délibérément à tromper le cocontractant, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la fraude qu'elle a retenue, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
3°/ que, subsidiairement, la fraude découverte avant la réalisation du crédit documentaire fait échec à l'obligation de paiement de la banque hors la circonstance où cet effet est présenté par un tiers de bonne foi ; qu'il n'était pas contesté que la fraude alléguée, à la considérer comme établie, était le fait de la seule société Continental, à laquelle il était reproché d'avoir émis des factures mentionnant un prix supérieur à celui convenu ; qu'en opposant à la société Angang, tiers de bonne foi, la fraude commise par la société Continental, la cour d'appel violé l'article 1134 du code civil ;
4°/ que seule la fraude manifeste peut faire obstacle, en référé, au paiement du crédit documentaire ; qu'une simple allégation ne saurait suffire ; qu'en ne caractérisant pas la fraude autrement que par des discordances matérielles entre les documents remis à la banque et l'accréditif, dont il ne résultait pas de façon manifeste et incontestable qu'elles étaient volontaires et destinées à tromper l'acheteur, la cour d'appel, qui statuait en référé, au vu de l'évidence, n'a pas fait apparaître que l'existence de l'obligation de la banque était sérieusement contestable, et a violé l'article 873 du code de procédure civile ;
5°/ que le juge des référés peut ordonner les mesures de nature à prévenir un dommage imminent ; qu'il n'était pas contesté que la marchandise avait été réceptionnée par la société Frovia et que la différence de prix litigieuse avait fait l'objet d'un avoir de la part de la société Continental ; qu'en interdisant à la banque le règlement du crédit documentaire sans expliquer quel dommage imminent cette interdiction visait à prévenir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873 du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève qu'au vu de l'accréditif et des documents fournis, les produits commandés par la société Frovia ont fait l'objet, à concurrence de 70 euros par tonne, d'une surfacturation de la part de la société Continental, et qu'une même surfacturation ayant donné lieu à une note de crédit, mais sans que celle-ci ait produit effet, avait été constatée sur un précédent lot de 838 tonnes ; qu'il constate encore que quatre factures, au lieu de la seule prévue par la lettre de crédit, ont été émises et que des discordances existent dans les références des marchandises ; qu'il retient que ces documents sont non conformes et/ou non sincères ; que, de ces constatations et appréciations, faisant ressortir le caractère intentionnel de l'altération des dits documents, la cour d'appel a pu déduire l'existence d'une fraude entachant le crédit documentaire de nature à mettre obstacle à son exécution ;
Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel, statuant en matière de référé, a estimé qu'il ne lui appartenait pas de trancher la question, contestée, de l'opposabilité à la société Angang, de la fraude alléguée à l'encontre de la société Continental, cette question relevant de l'appréciation des juges du fond ;
Attendu, en troisième lieu, que la faculté pour le juge des référés d'ordonner les mesures conservatoires qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent n'est pas subordonnée à l'absence d'une contestation sérieuse ;
Attendu, en dernier lieu, que sous le couvert d'un grief non fondé de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en cause le pouvoir souverain du juge des référés quant à l'appréciation de l'imminence d'un dommage ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° U 11-25.131 ;
REJETTE le pourvoi n° W 12-26.954 ;
Condamne la société Angang group Hong Kong aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Angang group Hong Kong, demanderesse au pourvoi n° W 12-26.954
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir fait interdiction à la BECM, dans le cadre du crédit documentaire consenti au profit de la société CONTINENTAL STEEL (DRESDNER BANK), de régler l'échéance du 11 novembre 2008 portant sur un montant de 3.441.151,30 euros ;
AUX MOTIFS QUE l'ordonnance du 5 novembre 2008 qui a fait interdiction à la Banque de l'Economie du Commerce et de la Monétique d'avoir à régler l'échéance du 11 novembre 2008 d'un montant de 3.441.151,30¿ a justifié cette mesure par l'existence de la fraude dans l'exécution du crédit documentaire caractérisée par la surfacturation des produits par rapport à la commande soit 792 ¿ la tonne au lieu de 722 ¿ ; qu'un tel motif est effectivement de nature à s'opposer au paiement même si, comme en l'espèce, l'on est en présence d'un crédit documentaire irrévocable ; qu'en l'espèce, la société ANGANG GROUP Hong Kong LDT soutient que la fraude alléguée et imputée à la société CONTINENTAL STEEL COMPAGNY AG lui est inopposable et qu'elle est sans effet à son égard dans la mesure où s'agissant d'un crédit documentaire transférable, elle est bénéficiaire, à la suite du transfert, d'un nouveau crédit non atteint par la fraude du premier bénéficiaire à laquelle elle est étrangère ; que la société FROVIA prétend au contraire que le crédit documentaire transférable est un crédit documentaire unique si bien que la fraude du premier bénéficiaire corrompt l'ensemble de l'opération ; que la nature juridique du crédit documentaire transférable est effectivement discutée en doctrine, certains auteurs, tel le professeur X... cité par la société ANGANG GROUP, soutenant que le transfert emporte la création d'un crédit nouveau indépendant du crédit d'origine, d'autres, tel Monsieur Y... cité par la société FROVIA soutenant que le transfert n'entraîne pas la création d'un nouveau crédit ; qu'il n'entre pas dans les pouvoirs de la juridiction du référé de trancher entre ces deux thèses sur cette question de principe dont la solution ressortit au pouvoir d'appréciation du juge du fond ; que néanmoins il peut être observé que la thèse développée par la société FROVIA qui est plus protectrice des droits du donneur d'ordre s'appuie sur des arguments sérieux et solides qui méritent l'attention dès lors que, ainsi que l'indique le terme utilisé, le transfert du crédit ne peut logiquement avoir pour objet que le crédit d'origine ce que confirment les termes de l'article 38 b alinéa 3 et 38 g des règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires selon lesquels: « un crédit transféré signifie un crédit rendu réalisable par la banque transférante au profit d'un second bénéficiaire » « le crédit transféré doit refléter exactement les termes et conditions du crédit » ; que de plus, en l'état de cette contestation sérieuse quant à la porté du transfert du crédit documentaire ouvert à la demande de la société FROVIA et du différend relatif à la fraude qui entacherait ce crédit, le juge du référé peut toujours prescrire une mesure conservatoire propre à prévenir la réalisation du dommage constitué par l'exécution du crédit suspecté de fraude ou toute mesure justifiée par l'existence d'un tel différend ; qu'en l'espèce, il est constaté, au vu de l'accréditif modifié et des documents fournis, que les produits commandés par la société FROVIA ont fait l'objet d'une surfacturation de la part de la société CONTINENTAL STEEL COMPAGNY AG à hauteur de 70 ¿ la tonne et que la note de crédit émise par cette société au titre d'un premier lot de 838 tonnes n'a pas été suivie d'effet de sorte qu'il ne peut être valablement soutenu que la société FROVIA ne pourrait plus s'en prévaloir au titre du deuxième tirage alors que la même surfacturation a été établie à cette occasion ; qu'en outre, il est constaté que la société CONTINENTAL STEEL COMPAGNY AG a délivré quatre factures au lieu d'une seule prévue dans la lettre de crédit ; qu'il est constaté également que la facture BP 8200085204 du 10 septembre 2008 mentionne une qualité S235J pour 18 colis du lot A alors que la liste de colisage mentionne une qualité S355MC ; qu'il suit de là que en présence de tels documents non conformes et/ou non sincères, la société FROVIA est fondée à se prévaloir devant le juge du provisoire de la fraude ainsi appréhendée de façon objective qui entache le crédit documentaire ouvert à sa demande et dont elle doit seule répondre en fin de compte pour solliciter à titre conservatoire l'interdiction faite à la BECM d'exécuter ledit crédit et il y a lieu en conséquence en rejetant l'appel, de confirmer l'ordonnance entreprise,
1°/ ALORS QU'il résulte de l'autonomie du crédit documentaire par rapport au contrat de base que le donneur d'ordre ne peut en paralyser la réalisation, lorsqu'il est stipulé irrévocable, qu'en établissant une fraude portant sur la mise en place ou l'exécution de ce crédit documentaire ; que la fraude se distingue de la seule erreur ou mauvaise exécution du contrat en ce qu'elle suppose une gravité particulière du comportement, remettant en cause l'exécution même du contrat, et pas seulement la qualité de son exécution, qui ouvre un recours entre l'acheteur et le vendeur sans pour autant remettre en cause l'abstraction du crédit documentaire ; que pour faire interdiction à la BECM de payer, la cour d'appel s'est bornée à constater une discordance purement matérielle entre les documents prévus à l'accréditif et ceux présentés (quatre factures au lieu d'une seule prévue, différence de référence des bobines et de prix); qu'en retenant qu'une fraude résultait de ces discordances matérielles, qui pouvaient tout au plus affecter la qualité de l'exécution du contrat et justifier d'un recours de l'acheteur contre le fournisseur sans pour autant remettre en cause le caractère abstrait du crédit documentaire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ ALORS QUE, la fraude suppose un élément intentionnel ; qu''il s'agit d'un comportement visant à tromper intentionnellement le cocontractant en lui faisant croire à l'exécution d'un contrat qui n'a pas été exécuté; que pour faire interdiction à la BECM de payer, la cour d'appel s'est bornée à constater une discordance purement matérielle entre les documents prévus à l'accréditif et ceux présentés; qu'en s'abstenant en préciser en quoi il résultait de ces discordances un comportement visant délibérément à tromper le cocontractant, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la fraude qu'elle a retenue, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
3°/ ALORS QUE, subsidiairement, la fraude découverte avant la réalisation du crédit documentaire fait échec à l'obligation de paiement de la banque hors la circonstance où cet effet est présenté par un tiers de bonne foi ; qu'il n'était pas contesté que la fraude alléguée, à la considérer comme établie, était le fait de la seule société CONTINENTAL STEEL, à laquelle il était reproché d'avoir émis des factures mentionnant un prix supérieur à celui convenu; qu'en opposant à la société ANGANG, tiers de bonne foi, la fraude commise par la société CONTINENTAL STEEL, la cour d'appel violé l'article 1134 du code civil ;
4°/ ALORS QUE seule la fraude manifeste peut faire obstacle, en référé, au paiement du crédit documentaire ; qu'une simple allégation ne saurait suffire ; qu'en ne caractérisant pas la fraude autrement que par des discordances matérielles entre les documents remis à la banque et l'accréditif, dont il ne résultait pas de façon manifeste et incontestable qu'elles étaient volontaires et destinées à tromper l'acheteur, la cour d'appel, qui statuait en référé, au vu de l'évidence, n'a pas fait apparaitre que l'existence de l'obligation de la BECM était sérieusement contestable, et a violé l'article 873 du code de procédure civile ;
5°/ ALORS QUE le juge des référés peut ordonner les mesures de nature à prévenir un dommage imminent ; qu'il n'était pas contesté que la marchandise avait été réceptionnée par la société FROVIA et que la différence de prix litigieuse avait fait l'objet d'un avoir de la part de la société CONTINENTAL STEEL; qu'en interdisant à la banque le règlement du crédit documentaire sans expliquer quel dommage imminent cette interdiction visait à prévenir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873 du code de commerce.