COUR DE CASSATION 12 CRD 045 Audience publique du 17 juin 2013 Prononcé au 30 septembre 2013
La commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Straehli, président, M. Cadiot, conseiller, Mme Vérité, conseiller référendaire, en présence de Mme Valdès-Boulouque, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
ACCUEIL PARTIEL des recours formés par M. Eric X..., l'agent judiciaire de l'Etat, contre la décision du premier président de la cour d'appel de Reims en date du 11 octobre 2012 qui a alloué à M. Eric X... une indemnité de 200 000 euros en réparation de son préjudice moral et celle de 51 766,58 euros en réparation de son préjudice matériel sur le fondement de l'article 149 du code précité ainsi qu'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 17 juin 2013, le demandeur et son avocat ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de Me Quentin, avocat au barreau de Reims représentant M. X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat ;
Vu les conclusions du procureur général près la Cour de cassation ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire de l'Etat et à son avocat, un mois avant l'audience ;
Sur le rapport de M. le conseiller Cadiot, les observations de Me Quentin, avocat assistant M. X..., celles de M. X..., comparant, et de Me Lécuyer, avocat représentant l'agent judiciaire de l'Etat, les conclusions de Mme l'avocat général Valdès-Boulouque, le demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,
Attendu qu'à raison d'une détention d'un an, dix mois et treize jours subie de manière ininterrompue du 6 avril 2007 au 17 février 2009 pour des charges criminelles dont M. Eric X... a été acquitté par arrêt désormais définitif rendu le 21 septembre 2011 par la cour d'assises de l'Aube statuant en appel, le premier président de la cour d'appel de Reims lui a alloué, par décision du 11 octobre 2012, les sommes de 200 000 euros au titre du préjudice moral, de 34 387,51 euros en réparation de la perte de revenus subie, de 14 389,07 euros pour compenser les cotisations de retraite manquantes, de 2 990 euros au titre des frais de défense, outre 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, mais a rejeté la demande de remboursement des frais de transport engagés par la mère de l'intéressé pour le visiter en détention ;
Attendu que l'agent judiciaire de l'Etat puis M. X... ont chacun respectivement frappé de recours les 18 et 19 octobre 2012 cette décision dans le délai ouvert par la notification ;
Attendu que l'agent judiciaire de l'Etat qui cantonne, aux termes d'un mémoire déposé le 5 février 2013, son recours aux montants de l'indemnisation du préjudice moral et de la perte de revenus, fait ressortir que l'intéressé, qui présentait des troubles dépressifs préexistant à l'incarcération, a été médicalement pris en charge durant son séjour carcéral après sa tentative de suicide et classé avec succès au travail pénitentiaire comme contremaître et ne rapporte pas la preuve de difficultés accrues alors que, tant l'attestation du chef d'établissement que l'enquête de personnalité, font état d'une stabilisation et d'une intégration correcte dans l'établissement nonobstant la nature de la prévention ; qu'il conclut à l'allocation d'une somme de 40 000 euros au titre du préjudice moral en soutenant que les facteurs d'aggravation du préjudice invoqués, soit ne sont pas personnels à l'intéressé, soit sont étrangers à la détention, soit encore, comme l'état de surpopulation de l'établissement carcéral, ne justifient pas l'indemnisation obtenue ; qu'il soutient aussi que la perte de revenus indemnisable ne peut excéder la somme de 30 387,51 euros calculée à partir des déclarations fiscales 2006 et 2007 et que la ressource supplémentaire liée à l'activité de vendangeur valorisée pour deux saisons à hauteur de 4 000 euros y est nécessairement incluse, sauf à ne pas avoir été déclarée ; que l'estimant "manifestement éditée pour les besoins de la présente procédure" il demande à la commission nationale d'écarter la facture de frais de défense établie le 9 janvier 2012 par l'un de ses conseils produite par l'intéressé postérieurement à son mémoire ;
Attendu que M. X... fait valoir, par un mémoire parvenu le 22 janvier 2013, un préjudice moral fondé sur la violence du choc carcéral chez un primo incarcéré qui l'a conduit à une tentative de suicide le 10 avril 2007 et a nécessité une psychothérapie et des prises d'anxiolytiques, sur une pénibilité de la détention aggravée par la surpopulation carcérale et la promiscuité dont atteste à cette époque un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, par des pressions et brimades de la part de ses codétenus, par l'affaiblissement de sa mère et le chagrin de son fils de sept ans qui a dû être suivi en pédopsychiatrie ; qu'il invoque également une détérioration persistante de son état psychique manifestée par des troubles du sommeil avec reviviscences de l'interpellation, de la garde à vue et des odeurs corporelles carcérales ainsi que par des troubles de l'érection et une phobie de la relation amoureuse et sollicite en conséquence une réparation à hauteur de 400 000 euros ; qu'au titre du préjudice économique, il invoque la perte d'un salaire annuel d'un montant de 16 134,99 euros avant l'incarcération qui s'est élevé à 20 283,35 euros après sa remise en liberté ainsi que la perte de deux campagnes de vendanges en septembre 2007 et 2008 et conclut au maintien de la somme de 14 389,07 euros allouée par le premier président en compensation de cotisations de retraite perdues ; qu'il demande la compensation à hauteur 7 774 euros des frais de défense exposés en rémunération de ses conseils successifs pour le contentieux de la détention au vu des pièces produites ; qu'il fait ressortir que les frais de transport valorisés à hauteur de 1 165,30 euros correspondent à des billets de chemin de fer qu'il a remboursés à sa mère pour les visites en détention avec son fils et sollicite une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que le procureur général, retenant que M. X... justifie de l'existence d'un choc carcéral majeur, même s'il ne démontre pas avoir été victime de violences et brimades de ses codétenus, et que les conditions d'incarcération, décrites par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté comme attentatoires à la dignité des personnes tant en raison de la surpopulation que de l'insuffisance des activités proposées aux détenus, doivent être prises en compte, conclut que l'indemnité allouée par le premier président en réparation du préjudice moral est néanmoins surévaluée au regard de la jurisprudence de la commission nationale ; qu'il observe que le premier président s'étant fondé pour quantifier la perte de ressources sur les revenus déclarés, celle invoquée en raison de la perte des activités de vendangeur y est nécessairement incluse ; qu'il retient aussi qu'une attestation d'avocat établie a posteriori ne peut suppléer l'absence de facture pour obtenir la prise en charge des frais de défense mais que la demande de remboursement des frais de transport est en revanche fondée dès lors qu'ils ont été exposés pour permettre les visites de l'enfant qui ne dispose d'aucune autonomie financière ;
Vu les articles 149 à 150 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe, ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté ;
Attendu, sur le préjudice moral, que la décision du premier président prend en compte à bon droit l'absence d'antécédent judiciaire, l'exercice d'un emploi régulier avant l'écrou, les séquelles psychologiques dûment attestées qui perdurent et le retentissement familial vécu par l'intéressé au travers du désarroi de sa mère et de son fils ; qu'en revanche, si le choc de l'incarcération s'est avéré majeur chez un sujet qui a, de ce fait, décompensé une fragilité psychique antérieure le conduisant à tenter une autolyse peu après l'incarcération, il a ensuite bénéficié d'une prise en charge effective de la part du personnel soignant et du personnel pénitentiaire ayant été classé en atelier, opportunité appréciable dans un établissement surpeuplé ne pouvant offrir, selon le rapport du contrôleur général des lieux de détention, d'activité à hauteur des besoins ; qu'il ne résulte pas des pièces versées aux débats que la pénibilité du séjour carcéral ait été aggravée par des pressions ou des brimades des co-détenus, nonobstant le caractère sexuel de l'infraction alors reprochée ; qu'enfin, la durée de détention subie ne saurait justifier, dans ce contexte, d'indemnisation excédant la somme de 65 000 euros ;
Attendu, sur les pertes salariales, que le premier président s'étant fondé sur la déclaration fiscale annuelle antérieure à l'incarcération pour déterminer ratio temporis une perte de ressources de 30 387,51 euros, la rétribution de l'activité saisonnière de vendangeur est nécessairement incluse dans ce montant si les revenus annuels ont été loyalement déclarés ; que les pertes de cotisations de retraite ne sont pas discutées dans leur montant indemnitaire qui s'élève à 14 389,07 euros et que la nécessité, alléguée par l'intéressé devant le premier juge, de devoir prolonger son activité professionnelle pour rétablir ses droits à la retraite n'apparaît pas avérée et n'est pas reprise devant la Commission nationale ;
Attendu, sur les frais de transport, que ceux personnellement exposés par la mère de l'intéressé, financièrement indépendante, n'entrent pas dans le champ indemnitaire ouvert par le législateur ; qu'en revanche, l'enfant étant à la charge du père, les frais de transport de ce mineur et de son accompagnante pour visiter le détenu doivent être indemnisés au regard des justificatifs produits, soit la somme de 800 euros ;
Attendu, sur les frais de défense, que l'article 12 alinéa 3 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat prévoit la possibilité pour le client de demander à son conseil d'établir un compte détaillé ; que cette faculté n'est assortie d'aucune limite dans le temps ; qu'il en résulte que le compte demandé ne saurait être écarté au seul motif qu'il est contemporain de la procédure devant la Commission nationale ; que M. X... justifiant avoir exposé un montant total de 7 774 euros en règlement des diligences d'avocat afférentes au contentieux de la détention, cette somme lui sera allouée en réparation ;
Attendu que le recours de M. X... ayant prospéré pour partie, la somme de 1 500 euros lui sera allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
DIT recevables les recours de l'agent judiciaire de l'Etat et de M. Eric X... ;
Les ACCUEILLE chacun pour partie et, statuant à nouveau ;
ALLOUE à M. Eric X... les sommes suivantes :
. 65 000 euros (soixante cinq mille euros) en réparation du préjudice moral ;
. 30 387,51 euros (trente mille trois cent quatre-vingt-sept euros et cinquante et un centimes) en réparation des pertes de ressources ;
. 800 euros (huit cents euros) au titre des frais de déplacement exposés pour recevoir les visites en détention de son fils mineur et de son accompagnante ;
. 7 774 euros (sept mille sept cent soixante-quatorze euros) au titre des frais de défense ;
. 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'indemnité allouée à ce titre par le premier président étant maintenue ;
RAPPELLE que la somme de 14 389,07 euros (quatorze mille trois cent quatre-vingt neuf euros et sept centimes) allouée par le premier président en compensation des pertes de cotisations de retraite n'est pas contestée ;
REJETTE toute autre demande ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 30 septembre 2013 par le président de la commission nationale de réparation des détentions ; En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier présent lors des débats et du prononcé.