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19/06/2013 | FRANCE | N°12-21428

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 19 juin 2013, 12-21428


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu que M. X..., médecin généraliste, que Mme Y... avait consulté à plusieurs reprises en février 2000 puis au début du mois de mars 2001 pour des douleurs des membres inférieurs, fait grief à l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 29 février 2012) de le condamner à réparer la perte de chance subie par celle-ci d'éviter une amputation de la jambe gauche, alors, selon le moyen, que la responsabilité du médecin n'est engagée que s'il existe un lien de causalité certai

n entre la faute retenue à son encontre et le dommage dont il est demandé répara...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu que M. X..., médecin généraliste, que Mme Y... avait consulté à plusieurs reprises en février 2000 puis au début du mois de mars 2001 pour des douleurs des membres inférieurs, fait grief à l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 29 février 2012) de le condamner à réparer la perte de chance subie par celle-ci d'éviter une amputation de la jambe gauche, alors, selon le moyen, que la responsabilité du médecin n'est engagée que s'il existe un lien de causalité certain entre la faute retenue à son encontre et le dommage dont il est demandé réparation ; qu'en se bornant, pour décider que le retard pris par M. X... dans la prescription d'examens complémentaires avait fait perdre une chance à Mme Y... d'éviter l'amputation, à affirmer qu'un écho-doppler des veines et des artères des membres inférieurs, pratiqué dans les jours précédents celui réalisé le 9 mars 2001, ayant révélé l'atteinte artérielle du fait de l'absence de perception des pouls distaux aux membres inférieurs, aurait fait apparaître les mêmes résultats, ce qui aurait permis de constater l'atteinte artérielle de la patiente plus tôt et sa prise en charge plus rapide, sans constater que les pouls distaux n'étaient plus perçus dès avant l'examen du 9 mars, à défaut de quoi l'atteinte artérielle ne pouvait être suspectée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu qu' après avoir constaté que M. X... n'avait fait hospitaliser sa patiente que le 9 mars au matin, après avoir été appelé à son domicile, qu' un écho-doppler avait été réalisé l'après-midi, faisant ressortir une atteinte artérielle, les pouls distaux aux membres inférieurs n'étant plus perçus, que dans la nuit du 9 au 10 mars, était survenue une « pluie d'emboles » intéressant les gros troncs artériels des deux membres inférieurs avec prédominance à gauche, qui avait entraîné une ischémie aiguë de la jambe gauche, la cour d'appel a estimé, appréciant souverainement les circonstances de la cause, qu'un écho-doppler des veines et des artères des membres inférieurs pratiqué dans les jours précédents aurait établi le diagnostic et conduit à orienter Mme Y... vers un spécialiste des vaisseaux ou à l'hospitaliser plus précocément, ce qui aurait permis la découverte du matériel emboligène de l'aorte et une chirurgie rapide et préventive des embolies périphériques ; qu'elle en a déduit que le retard fautif dans la prescription de l'examen, lequel aurait pu conduire à un diagnostic pertinent, avait fait perdre à Mme Y... des chances de voir sa pathologie évoluer plus favorablement, justifiant ainsi légalement sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... ; le condamne à payer à M. et Mme Y... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour M. X...

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Monsieur X... a commis une faute dont il est résulté pour Madame Y... une perte de chance d'éviter l'amputation au niveau de la cuisse gauche, devant être fixée à 80%, et de l'avoir en conséquence condamné à verser à Madame Y... la somme de 432.430,21 en réparation de son préjudice corporel, à verser à la Caisse primaire d'assurance maladie du Var la somme de 129.916,69 euros au titre de ses débours, outre la somme de 980 euros au titre de l'indemnité forfaitaire, et à verser à Monsieur Y... la somme de 32.000 euros en réparation de son préjudice;
AUX MOTIFS QUE la responsabilité du Docteur X... ne peut être engagée que sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, compte tenu de la date des faits litigieux, qui sont antérieurs au 5 septembre 2001, date d'entrée en application de la loi du 4 mars 2002 ; qu'en application de ce texte, le Docteur X... était tenu d'une obligation de moyens et la preuve d'un manquement à cette obligation incombe à Madame Y... ; que le Docteur Z... a retenu l'existence d'une artériopathie périphérique évolutive dans un contexte de facteurs de risque cardiovasculaire importants (diabète, surcharge pondérale, tabagisme conséquent ancien), en considérant : que l'atteinte artérielle a évolué à partir de mars 2000 date à laquelle Madame Y... avait consulté pour des douleurs du gros orteil gauche, mais avec un intervalle libre entre mars 2000 et mi-février 2001, aucune mention de récidive n'étant mentionnée dans le dossier médical du Docteur X... avant le 16 février 2001, alors que plusieurs consultations avaient eu lieu dans l'intervalle tant avec le Docteur X... qu'avec son associé, sans lien avec ces douleurs ; qu'il y a eu reprise évolutive le 16 février, date à laquelle Madame Y... a consulté le Docteur X... pour des douleurs des mollets, sans claudication intermittente véritable, le pouls étant alors perçu par le médecin et les réflexes ostéo-tendineux étant normaux et symétriques, et le Docteur X... ayant prescrit des veinotoniques en notant les stations debout prolongées de madame Y... qui était femme de salle dans une cantine scolaire, ainsi que la nécessité de vérifier la glycémie ; que l'intervalle silencieux pendant 11 mois s'explique par le fait que la formation athéromateuse qui a été découverte sur l'aorte le 4 avril 2001 s'est constituée lentement, que cette formation très friable était la source potentielle d'embolies périphériques, soit d'amas de plaquettes venues s'agréger à son contact, soit de micro-fragments athéromateux ; qu'en mars 2000, il est légitime de penser qu'il y a eu une première micro-embolie périphérique intéressant les artères distales du pied gauche, dont le diagnostic était difficile à faire, de telle sorte qu'il ne peut être reproché au Docteur X... d'avoir retenu une origine rhumatismale et d'avoir prescrit un anti-inflammatoire ; que les douleurs se sont progressivement amendées, soit du fait d'une adaptation circulatoire au niveau du gros orteil, soit de la thrombolyse physiologique ; qu'en février 2001, est survenue une récurrence d'embolies multiples et plus importantes intéressant les deux membres inférieurs avec prédominance à gauche, mais sans signes patents d'atteinte des gros troncs artériels, dès lors que les pouls étaient perçus aux membres inférieurs; que la situation s'est dégradée à partir du 3 mars 2001, avec des consultations très rapprochées : que le 3 mars, Madame Y... est venue consulter le Docteur X... pour des douleurs du pied gauche, le médecin notant alors que les pouls étaient perçus aux pieds, que les réflexes étaient normaux, qu'il existait une douleur à la pression d'allure neurologique ou fracture, et qu'il n'y avait pas de claudication et ayant prescrit des antalgiques et des radiographies ; que le 5 mars, la prescription d'un arrêt de travail et d'un antalgique est en contradiction avec la mention parallèle par le Docteur X... sur le dossier de celle-ci, qu'elle allait mieux et que cette amélioration n'était pas en faveur d'une artérite dégénérative, et permet de déduire que Madame Y... continuait à souffrir ; que le 8 mars 2001, le Docteur X... fait le constat que les radiographies prescrites précédemment n'avaient rien signalé, qu'il y avait toujours une douleur au pied gauche et prescrit à nouveau des antalgiques, avec prévision d'une demande d'avis à un rhumatologue ; que le Docteur Z... relève que l'écho-doppler artériel pratiqué le 9 mars après-midi a révélé une atteinte artérielle, les pouls distaux aux membres inférieurs n'étant plus perçus, mais qu'il n'a pas conclu à une ischémie aiguë qui ne s'est produite que dans la nuit du 9 au 10 mars, au cours de laquelle est survenue une pluie d'emboles de gros calibres intéressant les gros troncs artériels des deux membres inférieurs avec prédominance à gauche ; que par la suite, du fait des réactions inflammatoires liées aux gestes chirurgicaux et aux troubles de la coagulation engendrés par l'adénome cortico-surrénalien découvert pendant l'hospitalisation, l'évolution défavorable de l'état circulatoire dans le membre inférieur gauche sera liée non plus à des embolies, mais à des phénomènes de thrombose extensive in situ, de telle sorte que l'amputation était inéluctable ; que l'expert considère que si lors de la reprise évolutive de la maladie le 16 février, il n'est pas étonnant que le Docteur X... n'ait pas évoqué une maladie artérielle compte tenu de son évolution particulière, l'aggravation de l'état de Madame Y... à partir de cette date avec la douleur du pied gauche comme plainte essentielle formulée, l'inefficacité des traitements anti-inflammatoire et antalgique qu'il prescrivait, auraient dû attirer son attention et le conduire à étendre ses recherches vers d'autres causes d'aggravation de l'état de sa malade, d'autant qu'elle présentait des facteurs de risques vasculaires importants, et non se contenter de prescrire une radiographie, un bilan lipidique et une évaluation de la glycémie ; qu'un échodoppler des veines et des artères des membres inférieurs pratiqué dans les jours précédents aurait certes conclu de la même façon que celui effectué le 9 mars, mais aurait fait le diagnostic et aurait permis de montrer Madame Y... à un spécialiste des vaisseaux ou de l'hospitaliser plus précocement, ce qui aurait permis la découverte plus précoce du matériel emboligène de l'aorte et une chirurgie rapide et préventive des embolies périphériques ; que dans le cadre d'un diagnostic plus rapide, l'intervention initiale aurait d'emblée porté sur l'aorte, les membres inférieurs n'étant pas encore menacés par une ischémie aiguë ou subaiguë, alors qu'en l'espèce, le chirurgien a dû faire face à une pluie d'emboles qui menaçaient directement les membres inférieurs, et a donc été réduit à faire des gestes de sauvetage sur ceux-ci sans pouvoir s'occuper de la cause première des emboles, à savoir la pathologie aortique ; qu'il est classique que la pathologie embolique se transforme dans un second temps en maladie thrombosante lorsque les gestes de sauvetage ont été pratiqués en extrême urgence, du fait même de l'acte chirurgical, qui entraîne des phénomènes inflammatoires et des troubles importants de la coagulation, troubles aggravés encore en l'espèce par la pathologie surrénalienne surajoutée ; que l'attentisme du Docteur X... a fait perdre à Madame Y... des chances de guérison et d'éviter l'amputation au niveau de la cuisse gauche, mais que la chirurgie de l'aorte n'est pas un acte anodin, de sorte qu'il n'est pas certain qu'une autre démarche aurait évité révolution défavorable ; que pour contester cette analyse, le Docteur X... ne peut utilement se prévaloir des conclusions du premier expert désigné ; que le Docteur A... avait en effet estimé que la responsabilité du Docteur X... ne pouvait être retenue, en considérant que Madame Y... avait été victime d'un accident thrombo-embolique à répétition gravissime lié à la présence méconnue d'une tumeur surrénale bénigne, et non pas d'une artériopathie chronique passée sur un mode aigu, soulignant que le réseau artériel était apparu totalement sain en bien des points, que l'existence de désordres de la coagulation n'avait pas été recherchée au moment où l'accident s'était produit, de telle sorte que son absence constatée a posteriori n'avait pas la même valeur (les analyses biologiques effectuées le 18 mars 2001 montraient l'absence d'anticoagulant circulant et de résistance à la protéine C activée, et faisaient état d'un syndrome inflammatoire expliquant l'hyper-agrégabilité plaquettaire avec agrégation spontanée), et en s'appuyant sur des publications faisant état de l'existence d'anomalies de coagulation responsables d'accidents thromboemboliques plus ou moins graves en cas de tumeurs surrénales ; qu'il concluait qu'il s'agissait d'une pathologie exceptionnelle aux complications exceptionnelles ; qu'il éludait toutefois ainsi totalement la question des plaintes antérieures de Madame Y... relatives à son pied et de l'absence de tout examen hormis une radiographie, qu'avait soulevée son sapiteur ; qu'il ne peut davantage se fonder sur le rapport du Docteur B... établi le 22 novembre 2010, qui retient que les embolies à partir d'un caillot de l'aorte sont très rares, de sorte qu'il est quasi impossible de penser à rechercher une cause emboligène aortique, que jusqu'au 9 mars 2001, les signes cliniques d'une ischémie (froideur, pâleur, douleur, absence de pouls, éventuellement paralysie ) n'étaient pas réunis, que le Docteur X... ne pouvait donc en faire le diagnostic avant cette date, qu'aucune faute ne peut donc être reprochée à celui-ci ; que ce rapport fait en effet également abstraction des signes antérieurs de souffrance exprimés par Madame Y... et de l'inefficacité des traitements prescrits ; que les conclusions extrêmement précises et motivées du Docteur Z... doivent en conséquence être entérinées ; qu'elles impliquent de retenir à l'encontre du Docteur X..., non pas la responsabilité de l'entier préjudice de Madame Y..., mais seulement une perte de chance pour celle-ci d'échapper à l'amputation eu égard aux aléas de la chirurgie de l'aorte soulignés par l'expert, perte de chance qu'il convient de fixer à 80% ;
ALORS QUE la responsabilité du médecin n'est engagée que s'il existe un lien de causalité certain entre la faute retenue à son encontre et le dommage dont il est demandé réparation ; qu'en se bornant, pour décider que le retard pris par le Docteur X... dans la prescription d'examens complémentaires avait fait perdre une chance à Madame Y... d'éviter l'amputation, à affirmer qu'un écho-doppler des veines et des artères des membres inférieurs, pratiqué dans les jours précédents celui réalisé le 9 mars 2001, ayant révélé l'atteinte artérielle du fait de l'absence de perception des pouls distaux aux membres inférieurs, aurait fait apparaître les mêmes résultats, ce qui aurait permis de constater l'atteinte artérielle de la patiente plus tôt et sa prise en charge plus rapide, sans constater que les pouls distaux n'étaient plus perçus dès avant l'examen du 9 mars, à défaut de quoi l'atteinte artérielle ne pouvait être suspectée, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 12-21428
Date de la décision : 19/06/2013
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 29 février 2012


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 19 jui. 2013, pourvoi n°12-21428


Composition du Tribunal
Président : M. Charruault (président)
Avocat(s) : SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, SCP Richard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2013:12.21428
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