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17/06/2013 | FRANCE | N°12CRD041

France | France, Cour de cassation, Commission reparation detention, 17 juin 2013, 12CRD041


COUR DE CASSATION 12CRD041 Audience publique du 15 avril 2013 Prononcé au 17 juin 2013

La commission nationale de réparation des détentions instituée par l¿article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Straehli, président, Mme Vérité, M. Laurent, conseillers référendaires, en présence de Mme Valdès-Boulouque, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
ACCUEIL PARTIEL du recours formé par M. Abdurhamane Ali X..., contre la décision du premier président de la cour d'appel de Paris

en date du 5 novembre 2012 qui lui a alloué une indemnité de 90 000 euros en ...

COUR DE CASSATION 12CRD041 Audience publique du 15 avril 2013 Prononcé au 17 juin 2013

La commission nationale de réparation des détentions instituée par l¿article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Straehli, président, Mme Vérité, M. Laurent, conseillers référendaires, en présence de Mme Valdès-Boulouque, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
ACCUEIL PARTIEL du recours formé par M. Abdurhamane Ali X..., contre la décision du premier président de la cour d'appel de Paris en date du 5 novembre 2012 qui lui a alloué une indemnité de 90 000 euros en réparation de son préjudice moral et de 5 000 euros en réparation de son préjudice matériel sur le fondement de l'article 149 du code précité ainsi qu'une somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 15 avril 2013, le demandeur et ses avocats ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de Me Lindon et Me Pradel, avocats au barreau de Paris, représentant M. Ali X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat ;
Vu les conclusions du procureur général près la Cour de cassation ;
Vu les conclusions en réponse de Me Lindon et Me Pradel ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à ses avocats, à l'agent judiciaire de l'Etat et à son avocat, un mois avant l'audience ;
Sur le rapport de M. le conseiller Laurent, les observations de Me Lindon et Me Pradel, avocats assistant M. Ali X..., comparant, celles de M. Ali X..., comparant, traduits par M. B..., interprète en langue somalienne, ayant prêté serment, celles de Me Meier-Bourdeau, avocat représentant l'agent judiciaire de l'Etat, les conclusions de Mme l'avocat général Valdès-Boulouque, le demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,
Attendu que, par décision du 5 novembre 2012, le premier président de la cour d'appel de Paris a alloué à M. Abdurhamane Ali X... la somme de 90 000 euros en réparation du préjudice moral subi à raison d'une détention provisoire effectuée du 18 avril 2008 au 14 juin 2012, pour des faits d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire de plusieurs personnes commis en bande organisée, vols en bande organisée et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime dont il a été définitivement acquitté, par arrêt de la cour d'assises de Paris en date du 14 juin 2012, celle de 5 000 euros en réparation du préjudice matériel, et celle de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'il a rejeté la demande de provision présentée sur le fondement de l'article R. 39 du code de procédure pénale ;
Que M. Ali X... a régulièrement formé un recours contre cette décision ;
Qu'il sollicite l'allocation d'une indemnité de :
- 455 700 euros en réparation de son préjudice moral ;
- 69 100 euros, en réparation de son préjudice matériel ;
- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que l'agent judiciaire de l'Etat conclut au rejet du recours ; que l'avocat général conclut au rejet du recours, s'agissant du préjudice matériel, et à la réévaluation de l'indemnité allouée au titre du préjudice moral ;
Vu les articles 149 et 150 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement lié à la privation de liberté ;
Sur l'indemnisation du préjudice moral :
Attendu que M. Ali X... critique l'indemnisation allouée à ce titre, qu'il juge insuffisante au regard, notamment, de la particulière pénibilité d'une incarcération de longue durée, vécue dans un contexte d'isolement majeur ;
Attendu qu'à la date de son placement en détention provisoire, faisant suite à son arrestation dans son pays d'origine, M. Ali X..., ressortissant somalien, n'ayant jamais eu l'occasion de séjourner en France, pays dont il ne parlait pas la langue, était âgé d'environ 24 ans, et vivait au domicile de sa mère, à qui il assurait un soutien matériel et moral ; qu'incarcéré, pour la première fois, dans un pays étranger où il venait d'être transféré sous le coup d'une accusation de nature criminelle, pouvant susciter la crainte d'une condamnation sévère, il a subi une détention d'une durée de quatre ans, un mois et vingt sept jours, soit 1 519 jours, dans un contexte d'isolement linguistique et culturel qui a nécessairement majoré le choc carcéral éprouvé, même si cet isolement a été atténué par la possibilité, en cours de procédure, de partager une cellule avec son frère, également mis en cause dans la même affaire ;
Attendu que M. Ali X... produit un article de journal tendant à établir que les conditions d'incarcération à la maison d'arrêt d'Osny seraient particulièrement difficiles ; que, toutefois, la force probante de cette pièce, qui n'émane pas d'une autorité publique investie d'un pouvoir de contrôle ou d'enquête, doit, de ce fait, être relativisée ; que d'autre part, le mauvais comportement du requérant, qui a fait l'objet de trois procédures disciplinaires en 2010, notamment pour violences et menaces, a pu contribuer à la dégradation de ses conditions d'incarcération ;
Attendu, enfin, que les pièces médicales versées aux débats font état d'un bon état général, avec prescription d'une médication relaxante assez banale, à l'époque du procès devant la cour d'assises, puis d'une symptomatologie dépressive, à mettre en relation avec les conditions particulières de l'interpellation, vécue comme une "capture", autant qu'avec la détention provisoire proprement dite ; qu'il n'est donc pas démontré que la détention aurait affecté gravement l'état de santé du requérant ;
Attendu que compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'indemnité allouée par le premier juge apparaît insuffisante, sans pour autant qu'il y ait lieu de faire intégralement droit à la demande du requérant ; qu'il y a lieu de porter à 120 000 euros l'indemnisation du préjudice moral de M. Ali X... ;
Sur l'indemnisation du préjudice matériel :
Attendu que seule peut être indemnisée, à ce titre, la perte des revenus dont le requérant a été effectivement privé, par suite de son placement en détention provisoire, sans qu'il y ait lieu de prendre en considération ceux, purement hypothétiques, qu'il aurait pu espérer si, placé sous contrôle judiciaire, il avait été en mesure de travailler, en France, pendant la durée de l'information judiciaire suivie contre lui ;
Attendu que si les revenus procurés par une activité professionnelle, qu'elle soit indépendante ou salariée, doivent, en principe, être prouvés par la production de documents officiels, comptables, fiscaux ou sociaux, il en va, exceptionnellement, autrement lorsque la situation institutionnelle du pays dans lequel ces revenus ont été perçus met le requérant dans l'impossibilité de verser de telles pièces aux débats, auquel cas cette preuve peut être faite par tous moyens ;
Attendu qu'en l'espèce, les dires de M. Ali X..., suivant lesquels son activité saisonnière de pêcheur de langoustes, en Somalie, complétée par celle de chauffeur, pouvait lui rapporter environ 200 euros par mois, sont compatibles avec les déclarations faites, à l'enquêteur social, par la soeur de l'intéressé ;
Attendu qu'en cet état, c'est à tort que le premier président a retenu que, les revenus professionnels du requérant n'étant ni déterminés ni déterminables, seule pouvait donner lieu à indemnisation la perte d'une chance de travailler ;
Attendu, enfin, qu'il n'est pas démontré que l'incarcération, en France, du requérant, qui a pu travailler et se constituer un pécule de 1 900 euros, avant de démissionner, lui ait causé un appauvrissement, lié à la détention, qui justifierait une indemnisation spécifique, au titre du préjudice matériel ;
Attendu que, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'indemnité allouée par le premier juge apparaît insuffisante, sans pour autant qu'il y ait lieu de faire intégralement droit à la demande du requérant ; qu'il y a lieu de porter à 10 000 euros l'indemnisation du préjudice matériel de M. Ali X... ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Attendu que l'équité commande d'allouer au requérant une indemnité de 1 500 euros, outre celle déjà allouée, sur le même fondement, par le premier président ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLE partiellement le recours et statuant à nouveau ;
ALLOUE à M. Abdurhamane Ali X... les sommes de 120 000 euros (cent vingt mille euros), au titre de son préjudice moral, et de 10 000 euros (dix mille euros), au titre de son préjudice matériel ;
REJETTE la requête pour le surplus ;
ALLOUE à M. Abdurhamane Ali X... la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre celle déjà allouée par la décision attaquée ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 17 juin 2013 par le président de la commission nationale de réparation des détentions ;
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier présent lors des débats et du prononcé.


Synthèse
Formation : Commission reparation detention
Numéro d'arrêt : 12CRD041
Date de la décision : 17/06/2013
Sens de l'arrêt : Accueil partiel du recours

Analyses

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION - Préjudice - Préjudice moral - Appréciation - Critères

Le contexte d'isolement linguistique et culturel dans lequel a été subie la détention provisoire est nécessairement de nature à majorer le choc carcéral éprouvé par une personne appréhendée dans les conditions susvisées et incarcérée, pour la première fois, dans un pays où elle n'avait jamais séjourné et dont elle ne parlait pas la langue


Références :

Sur le numéro 1 : articles 149 et 150 du code de procédure pénale

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 05 novembre 2012

Sur le n° 1 : Sur la preuve par tous moyens, à titre exceptionnel, des revenus procurés par une activité professionnelle, à rapprocher :Com. nat. de réparation des détentions, 17 juin 2013, décision n° 12CRD043, Bull. crim. 2013, n° 5 (accueil partiel du recours). Sur le n° 2 : Sur la perte de revenus pouvant être indemnisée au titre du préjudice matériel, à rapprocher :Com. nat. de réparation des détentions, 17 juin 2013, décision n° 12CRD043, Bull. crim. 2013, n° 5 (accueil partiel du recours)


Publications
Proposition de citation : Cass. Commission reparation detention, 17 jui. 2013, pourvoi n°12CRD041, Bull. civ. criminel 2013, Commission nationale de réparation des détentions, n° 4
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles criminel 2013, Commission nationale de réparation des détentions, n° 4

Composition du Tribunal
Président : M. Straehli
Avocat général : Mme Valdès-Boulouque
Rapporteur ?: M. Laurent
Avocat(s) : Me Lindon, Me Pradel, Me Meier-Bourdeau

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2013:12CRD041
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