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12/06/2013 | FRANCE | N°12-28551

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 12 juin 2013, 12-28551


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme, ensemble l'article L. 2324-2 du code du travail ;

Attendu, selon le jugement attaqué, que, le 2 juillet 2012, les sociétés GAN patrimoine et GAN prévoyance ont saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation de la désignation de M. X... en qualité de représentant syndical au comité d'établissement GAN réseaux spécialisés par le Syndicat national de l'assurance et de l'assistance CFTC,

aux motifs que le syndicat n'avait pas deux élus au comité d'établissement ;

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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme, ensemble l'article L. 2324-2 du code du travail ;

Attendu, selon le jugement attaqué, que, le 2 juillet 2012, les sociétés GAN patrimoine et GAN prévoyance ont saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation de la désignation de M. X... en qualité de représentant syndical au comité d'établissement GAN réseaux spécialisés par le Syndicat national de l'assurance et de l'assistance CFTC, aux motifs que le syndicat n'avait pas deux élus au comité d'établissement ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, le tribunal retient que l'article L. 2324-2 du code du travail est contraire aux dispositions des articles 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ; qu'il existe une différence de traitement patente entre les organisations syndicales ayant ou non accès aux informations essentielles de l'entreprise, une organisation syndicale reconnue représentative pouvant ne pas disposer du droit étendu dont pourrait bénéficier non seulement une autre organisation syndicale reconnue représentative et ayant des élus au comité d'entreprise mais également une organisation qui n'aurait que des élus au comité d'entreprise sans être représentative ; que, si l'on considère que les organisations syndicales sont les interlocutrices privilégiées de l'employeur dans l'instauration du dialogue social dans l'entreprise et que par ailleurs elles ont pour mission de représenter la collectivité des salariés, alors elles ne sont pas en mesure de remplir cette mission de façon égalitaire au sein du comité d'entreprise, alors que le Conseil constitutionnel, dans le commentaire de sa décision rendue le 3 février 2012, avait reconnu que le représentant syndical au comité d'entreprise avait pour fonction « principalement (de) consulter et informer les salariés sur la situation de l'entreprise », ce qui au sens de la convention recouvre le droit de négociation collective constituant un des moyens de rendre effective la liberté syndicale ; que, par suite, l'article L. 2324-2 a pour effet de désavantager de manière déraisonnable, dans le déroulement de la négociation collective, les syndicats reconnus représentatifs dans l'entreprise qui n'auraient pas d'élus au comité d'entreprise et se voient ainsi refuser le droit de désigner un représentant en son sein ; que l'accès aux mêmes informations sur la vie de l'entreprise n'est en effet pas garanti à tous les syndicats remplissant les critères de représentativité légalement définis, ce qui a pour effet de limiter leur condition de participation à la négociation collective ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les articles 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales laissent les Etats libres d'organiser leur système de manière à reconnaître, le cas échéant, un statut spécial à certains syndicats en fonction de la nature des prérogatives qui leur sont reconnues et qu'il en résulte que le choix du législateur de réserver aux seules organisations syndicales ayant des élus la possibilité de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ne méconnaît pas les articles susvisés de la Convention, le tribunal a violé les textes susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 14 novembre 2012, entre les parties, par le tribunal d'instance de Puteaux ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Annule la désignation de M. X... par le Syndicat national de l'assurance et de l'assistance CFTC en qualité de représentant syndical au comité d'établissement GAN réseaux spécialisés ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour les sociétés GAN prévoyance et GAN patrimoine

IL EST FAIT GRIEF au jugement attaqué d'AVOIR dit que l'article L. 2324-2 du Code du travail était contraire aux dispositions combinées des articles 11 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en conséquence, écarté l'application de ce texte, et par suite, validé la désignation de Monsieur X... en qualité de représentant syndical au comité d'établissement formé par les société GAN PREVOYANCE et GAN PATRIMOINE, et mis à la charge de ces sociétés la somme de 800 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

AUX MOTIFS QUE « la question posée par les défendeurs dans la présente espèce concerne celle de la compatibilité de l'article L 2324-2 C.Trav avec les textes européens susvisés dès lors que la désignation d'un RSCE est conditionnée par la présence de plusieurs élus du syndicat au C.E. alors que l'un des syndicats de l'entreprise a réuni les conditions pour se voir reconnaître représentatif mais n'a obtenu aucun élu au comité d'établissement. Une question similaire avait été posée à la Cour de Cassation, mais distincte, en ce sens que le syndicat avait un élu au CE; que la Cour dans cette hypothèse avait conclu à la conventionnalité des dispositions critiquées (Ch. Soc. 24.10.12, n° 2243 FS/PB pourvoi n° 11-18.885) ; on peut observer cependant que d'une part le rapporteur (Madame Y...) s'était interrogé sur le bien fondé d'une telle solution paradoxale dès lors que la nouvelle représentativité syndicale, avec des critères-sévères, dont l'audience est le pivot, était l'axe fort-de-la réforme de 2008, dans lequel l'exercice du droit de négociation collective est l'aboutissement des différents droits conférés aux syndicats, et notamment celui du droit à l'information et à la communication" ; elle poursuivait : "est-ce compatible avec l'analyse que la cour européenne fait des dispositions des articles Il et 14 de la CEDH ?" ; et que d'autre part l'avocat général (M. FOERST) avait requis en faveur de l'inconventionnalité de ce texte comme étant contraire aux articles 11 et 14 de la CEDH. Ce préalable étant posé, il s'agit d'analyser les éléments de l'espèce, au regard également du jugement particulièrement précis et argumenté rendu par le TI d'Orléans le 23.05.11, objet du pourvoi précité. Le principe selon lequel le juge judiciaire a le pouvoir de contrôler la conformité d'une disposition nationale à la Convention européenne des droits de l'homme, et le cas échéant d'écarter son application en cas de non conformité, ne fait pas difficulté dans le principe. Le moyen soulevé en défense repose sur l'examen combiné des articles 11 et 14 CEDH ; par suite il n'y a pas lieu de s'interroger sur la compatibilité du texte vis à vis du seul article 11 CEDH, dont il ressort, ce qui n'est pas contesté, qu'il laisse les Etats libres d'organiser leur système de manière à reconnaître, le cas échéant, un statut spécial à certains syndicats en fonction de la nature des prérogatives qui leur sont reconnues ; l'article L 2324-2 ne constitue ainsi pas une atteinte directe au principe de la liberté syndicale édicté par l'article 11 CEDH qui dispose que : "Article 11 - Liberté de réunion et d' association : 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des Forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat." Tandis que l'article 14 prévoit que : "Article 14 Interdiction de discrimination: La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité, la fortune, la naissance ou toute autre situation". Il convient là de reprendre l'argumentation menée dans le jugement rendu par le TI d'Orléans le 23.05.11 :
- l'article 14 CEDH ne fait pas une énonciation limitative des droits garantis et dégage un principe d'égalité de traitement des personnes et, combiné avec l'article 11, peut conduire à rendre inconventionnelle une disposition nationale, conforme au principe de liberté syndicale, si cependant elle revêt un caractère discriminatoire ;
- le comité d'entreprise, dont l'objet est défini par l'article L 2323-1 Ctrav, s'il est un organe essentiel de coopération entre l'employeur et les salariés destiné à prendre part aux décisions importantes relatives au fonctionnement de l'entreprise et ses conditions de travail, est également un organe de participation des salariés à la gestion de l'entreprise et de contrôle de la gestion effectuée par le chef d'entreprise: ont doit relever que ce rôle est déterminant dans le contexte de crise économique actuel ;
- par ailleurs le code du travail précise les attributions étendues du comité d'entreprise (L 2323-6), et détermine les modalités de son intervention à différents niveaux : communication dans les sociétés commerciales de l'ensemble des documents transmis annuellement aux assemblées générales d'actionnaires ou associés (L 2323-8), du rapport d'ensemble sur la situation économique et les perspectives de l'entreprise si elle compte plus de 300 salariés (L2323-55), d'informations trimestrielles sur la situation de l'emploi (L 2323-52), sur l'évolution générale des commandes et la situation financière (L 2323-50), sur les mesures envisagées en matière de modification des méthodes de production et d'exploitation et de leurs incidences sur les conditions de travail et d'emploi (L2323-51) etc ...

- ce code reconnaît au C.E. un droit d'alerte en vue de solliciter des explications de l'employeur lorsqu'il a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise (L2323-78), l'usage de ce droit étant éventuellement validé par la juridiction prud'homale ;
- et il définit le délit d'entrave notamment au fonctionnement régulier du C.E. (L 2328-1) ;
- il est constant que le comité d'entreprise est composé non-seulement de membres élus qui tirent leur légitimité de l'élection mais également de représentants syndicaux désignés par les seules organisations syndicales ayant des élus au CE et remplissant les conditions d'éligibilité de cet organe ; ceux-ci sont l'émanation d'organisations syndicales alors que les autres membres représentent la collectivité des salariés qui les y a élus, et comme tels, peuvent, grâce à leur voix consultative, en portant la position du syndicat, influer sur les avis et voeux du comité d'entreprise et donc sur la conduite de l'entreprise par son dirigeant ;
- il n'est cependant aucunement fait référence légalement à la représentativité des syndicats dans la désignation de leurs représentants au C.E., organe vital, alors que si un syndicat a pu être considéré comme représentatif dans l'entreprise, en application notamment du critère essentiel d'audience électorale, il devrait se voir conférer pleinement les moyens d'exercer les prérogatives liées à cet état ;
- dans la présente instance, de surcroît, c'est un délégué syndical qui a été pressenti comme représentant syndical, ce qui lui confère des droits étendus au regard de la confidentialité des informations diffusées au C.E. ;
- dans le contexte économique actuel, on ne peut se reposer entièrement sur la bonne volonté de l'employeur pour assurer la parfaite information dont doivent bénéficier les organisations syndicales représentatives dans la cadre des négociations obligatoires, en dépit de l'obligation de loyauté dont il est débiteur légalement.
En conséquence il existe une différence de traitement patente entre les organisations syndicales ayant ou non accès aux informations essentielles de l'entreprise, une organisation syndicale reconnue représentative pouvant ne pas disposer du droit étendu dont pourrait bénéficier non seulement une autre organisation syndicale reconnue représentative et ayant des élus au C.E. mais également une organisation qui n'aurait que des élus au C.E. sans être représentative. Si l'on considère que les organisations syndicales sont les interlocutrices privilégiées de l'employeur dans l'instauration du dialogue social dans l'entreprise et que par ailleurs elles ont pour mission de représenter la collectivité des salariés, alors elles ne sont pas en mesure de remplir cette mission de façon égalitaire au sein du comité d'entreprise, alors que le Conseil Constitutionnel dans le commentaire de sa décision rendue le 03.02.12 avait reconnu que le représentant syndical au C.E. avait pour fonction "principalement (de) consulter et informer les salariés sur la situation de l'entreprise" ce qui au sens de la C.E.D.H. recouvre le droit de négociation collective constituant un des moyens de rendre effective la liberté syndicale. Par suite, l'article L 2324-2 a pour effet de désavantager de manière déraisonnable, dans le déroulement de la négociation collective, les syndicats reconnus représentatifs dans l'entreprise qui n'auraient pas d'élu au comité d'entreprise et se voient ainsi refuser le droit de désigner un représentant en son sein ; l'accès aux mêmes informations sur la vie de l'entreprise n'est en effet pas garanti à tous les syndicats remplissant les critères de représentativité légalement définis, ce qui a pour effet de limiter leur condition de participation à la négociation collective : en ce sens l'article L 2324-2 C.Trav constitue une violation des articles 11 et 14 combinés CEDH en l'absence d'un rapport raisonnable de proportionnalité entre le but fixé et les moyens employés. L'application de l'article L 2324-2 C.Trav doit être en conséquence écartée »

ALORS QUE les articles 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales laissent les Etats libres d'organiser leur système de manière à reconnaître, le cas échéant, un statut spécial à certains syndicats en fonction de la nature des prérogatives qui leur sont reconnues ; qu'il en résulte que le choix du législateur de réserver aux seules organisations syndicales ayant des élus la possibilité de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ne méconnaît pas les articles susvisés de la Convention ; qu'en jugeant le contraire, le tribunal d'instance a violé les textes susvisés, ensemble l'article L. 2324-2 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 12-28551
Date de la décision : 12/06/2013
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Tribunal d'instance de Puteaux, 14 novembre 2012


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 12 jui. 2013, pourvoi n°12-28551


Composition du Tribunal
Président : M. Béraud (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Fabiani et Luc-Thaler, SCP Gatineau et Fattaccini

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2013:12.28551
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