LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Mario X...,
- M. Jacques Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5e chambre, en date du 21 février 2012, qui a condamné, le premier, pour faux et usage, prêt illicite de main-d'oeuvre, exécution d'un travail dissimulé, le second, pour faux et usage, prêt illicite de main-d'oeuvre, exécution d'un travail dissimulé, recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé, chacun, à deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, 15 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction professionnelle ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 441-1 du code pénal, L. 152-3, L. 8243-1, L. 8241-1, L. 324-9, 10 11, L. 362-3, 4, 5, L. 8224-1, L. 8221-1, alinéa 1, 3°, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré MM. X... et Y... coupables de faux et usage de faux, prêt de main-d'oeuvre à but lucratif hors du cadre légal du travail temporaire et exécution d'un travail dissimulé ;
"aux motifs adoptés des premiers juges, que sur les faits reprochés à M. Y..., M. Y... reconnaît la gérance de fait des sociétés Cert et TMG, ne pas avoir déclaré les salariés de TMG pour la totalité des heures effectuées, avoir eu recours aux services de TMG, en connaissance de la dissimulation d'heures de travail effectuées ; qu'il conteste en revanche :
- en qualité de gérant de fait de la société Cert d'avoir bénéficié d'un prêt illégal de main-d'oeuvre,
- et en qualité de gérant de la société TMG d'avoir réalisé une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre ; qu'il estime que les contrats verbaux liant Cert et TMG étaient de véritables contrats de sous-traitance ; que la véritable sous-traitance suppose :
- un contrat commercial,
- l'exécution d'une tâche nettement définie que le donneur d'ordre ne veut ou ne peut accomplir lui-même avec son personnel pour des raisons d'opportunité économique ou de spécificité technique,
- une rémunération forfaitaire de départ, en fonction de l'importance objective des travaux à réaliser, sans tenir compte du nombre de salariés et du nombre d'heures qui seront effectuées,
- un lien de subordination exclusif entre les salariés de la société sous-traitante et celle-ci, sans intégration de fait chez le donneur d'ordre,
- la fourniture du matériel nécessaire à l'exécution des travaux par le sous-traitant à ses salariés ; qu'en l'espèce, il résulte des investigations opérées par les services de police, des perquisitions et de déclarations recueillies, non contestées par les prévenus :
- qu'aucun contrat écrit entre les sociétés Cert et TMG n'a jamais été établi,
- que la société principale et utilisatrice, la société Total, refusait toute sous-traitance et était maintenue dans l'ignorance de la présence de salariés étrangers à la société Cert,
- que la société TMG n'avait aucune tâche nettement et préalablement définie par la société Cert,
- qu'elle n'avait aucune compétence distincte de celle de la société Cert,
- que les salariés qu'elle embauchait travaillaient quasi exclusivement pour la société Cert,
- que la société Cert n'avait pas de personnel hormis le personnel administratif alors qu'elle était titulaire de chantiers importants et seule titulaire des agréments nécessaires ; qu'il n'y avait donc aucun contrat de sous-traitance entre Cert et TMG mais des contrats de prêt de main d'oeuvre ; que, bien plus, il apparaît au travers des déclarations des prévenus que la seule finalité de la société TMG était d'assurer la prospérité de la société Cert en dissimulant considérablement ses charges en personnel, son imposition en matière de TVA, son impôt sur les sociétés et en lui versant une commission de 10% ; que cette prospérité permettait à la société Cert de participer à la société Cert de participer au capital de nombreuses autres sociétés (dont elle assurait la comptabilité) et de distribuer des dividendes à ses associés ; que M. Y... a qualifié l'ensemble des fraudes réalisées et les relations entre Cert et TMG de montage, à l'effet de remporter les marchés ; que l'ensemble des infractions reprochées à M. Y... est établi ; qu'il doit être tenu compte de son rôle central, dans la création et la réalisation du système de fraude, des bénéfices qu'il en a personnellement retirés ; que sur les faits reprochés à M. X..., M. X... conteste l'ensemble des faits qui lui sont reprochés ; qu'il fait valoir :
- qu'il n'était pas le gérant de fait de la société TMG, mais un salarié chargé d'affaires,
- qu'il ignorait que les ouvriers de TMG n'étaient pas déclarés,
- que les contrats de sous-traitance entre TMG et Cert étaient réels ;
que M. X... a reconnu avoir eu l'idée, avec M. Y..., de créer la société TMG, qui devait être le principal sous traitant de la société Cert, qui était titulaire des chantiers ; que l'embauche du personnel relevait plutôt de TMG ; qu'il a admis signer les contrats de sous-traitance pour TMG, avoir en sa possession des chéquiers et une carte bancaire, préparer les contrats d'embauche des ouvriers ; que M. Z..., gérant de droit, choisi par M. X..., a déclaré que celui-ci effectuait la gestion administrative et lui remettait deux fois par mois les enveloppes contenant les acomptes, le salaire et le bulletin de paie de chaque ouvrier, que M. X... contactait les ouvriers, leur faisait passer des essais ; que le seul interlocuteur de M. Z... était M. X... ; que M. A... a déclaré que les devis établis par TMG pour la société Siera étaient élaborés par MM. X... et B... les deux interlocuteurs de Siera à TMG ; que ceci a été confirmé par M. B..., embauché d'abord chez TMG par M. X..., puis chez Cert, après la liquidation de TMG ; qu'ainsi, M. B... a affirmé que M. Y... et M. X... dirigeaient la société TMG ; que le fichier des chaudronniers, tuyauteurs soudeurs était au bureau de TMG, que Mme C... l'a confirmé indiquant transmettre les coordonnées des ouvriers à M. X... ; que de la même façon, que dans le cas de MM. Y... et X... travaillait aussi bien pour Cert que pour TMG ;
qu'il démarchait les clients pour la société Cert, chiffrait les devis, qu'il avait négocié le contrat avec Total, qu'il avait des intérêts dans les deux sociétés à travers sa compagne, Mme D..., qu'il touchait, dès lors, des dividendes de la société Cert, de façon indirecte mais évidente ; que M. X..., gérant de fait de la société TMG, était responsable du personnel, qu'il était, comme M. Y..., à l'origine du montage frauduleux réalisé ; qu'il convient de le retenir dans les liens de la prévention ;
"et aux motifs propres que c'est par des motifs pertinents qui sont vainement critiqués que le tribunal a retenu la culpabilité des deux prévenus dans des termes identiques et pour l'ensemble des faits ; qu'il ressort clairement de l'articulation des sociétés et des raisons de la création de la société TMG dont ils sont les instigateurs de concert, qu'ils se trouvent ensemble à l'origine de l'ensemble du système de fraude mis à jour ; que s'ils ont chacun exécuté des tâches différentes, c'est à raison non pas de responsabilités distinctes dans tout ce que suppose le système de fraude, mais d'un partage des tâches entre eux, chacun assumant concrètement ce qu'il sait faire, l'homme de terrain et l'homme de bureau comme l'a exactement décrit M. X..., mais d'accord ensemble et à la poursuite d'un même objectif, qui pourrait être résumé à la recherche de profits en spéculant sur la main-d'oeuvre et au préjudice des organismes sociaux ; qu'ils doivent, par conséquent, endosser la responsabilité de l'ensemble des faits que ce soit en tant qu'auteur matériel et/ou coauteur moral ; que les constatations concrètes précises opérées par les enquêteurs et ci-dessus rappelées dans l'exposé des faits font clairement apparaître qu'il n'y a pas de sous-traitance entre Cert et TMG dès lors que la seconde, qui comme d'autres sociétés a été spécialement créée d'accord entre les deux prévenus et dont le gérant de droit est de pure façade, n'a aucune véritable existence propre distincte de Cert qui la gère en totalité et à laquelle elle a pour seule fonction de servir de réservoir de main d'oeuvre en fonction et au fur et à mesure du besoin, elle-même n'en ayant jamais eue d'autre qu'administrative ; que les prévenus tentent vainement de se prévaloir de l'existence pour TMG d'interlocuteurs autres que la société Cert alors que le caractère frauduleux de ces autres utilisations de la société TMG, et, dans le même sens, est également avéré et que la société Cert a été trouvée en possession de toute la documentation administrative et comptable ainsi que des moyens de paiement et jusqu'aux timbres humides d'une demi-douzaine d'autres sociétés et plus ; qu'il résulte des constatations opérées comme des explications des prévenus que la société Cert, qui est seule détentrice des marchés dans le domaine technique considéré de la tuyauterie industrielle, prélève une commission de 10% sur les factures qui ne sont en fait pratiquement que de main-d'oeuvre, ce qui lui permet, et en minorant à l'extrême les déclarations faites à l'URSSAF au nom de TMG, de dégager de confortables bénéfices dont il est avéré que M. Y..., contrairement à ce qu'il prétend soutenir devant la cour, a largement profité à titre personnel par voie de distribution de dividendes ; que, par conséquent, tous les éléments constitutifs du délit de prêt illicite de main-d'oeuvre sont réunis, l'élément intentionnel résultant sans ambiguïté du caractère élaboré et ouvertement frauduleux des mécanismes mis en place ; que le tribunal a justement retenu que M. X..., qui est le créateur de fait de la société TMG en accord avec M. Y... et où il avait pris le soin de placer un gérant de pure façade, recherchait des contrats non pas pour TMG dont il était prétendument le salarié mais pour Cert ainsi qu'il l'admet lui-même dans ses auditions, et était le seul interlocuteur de tous, à la fois la comptable et le chef d'équipe, recrutant tout le personnel lui-même et assurant le lien avec la société Cert où il se trouvait physiquement lors de l'intervention des policiers ainsi que son registre d'adresses d'ouvriers ; que c'est donc vainement qu'il prétend discuter devant la cour la gérance de fait qui lui est imputée par les poursuites, qualité qui contribue à lui faire endosser la responsabilité de la totalité des fraudes commises au préjudice de l'URSSAF ainsi que du travail dissimulé ; que, c'est de même vainement au regard de la prévention et dans le concert frauduleux précisément mis en évidence qu'il prétend se prévaloir du soin qui était pris par tous, d'une part, de déclarer tous les salariés mais insuffisamment, d'autre part, d'établir à ceux-ci des bulletins de salaire conformes à la réalité pour ne pas porter atteinte à leurs droits à retraite ;
1°) "alors qu'en se bornant à relever, au prix de motifs vagues et imprécis, que les prévenus étaient les instigateurs de concert de la société TMG, qu'ils étaient ensemble à l'origine du système de fraude, que chacun d'eux assumait ce qu'il sait faire mais d'accord ensemble et à la poursuite d'un même objectif et, au prix de motifs alternatifs, qu'ils devaient endosser la responsabilité de l'ensemble des faits que ce soit en tant qu'auteur matériel et/ou coauteur moral, sans mieux s'expliquer sur le rôle qu'aurait eu chacun des prévenus, dans le cadre du montage frauduleux invoqué, et sans établir les faits de prêt illicite de main d'oeuvre pesant sur chacun d'eux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
2°) "alors que, si elle s'est, par motifs propres comme adoptés, attachée à démontrer qu'il n'y avait pas de contrat de sous- traitance entre Cert et TMG mais des contrats de prêt de main-d'oeuvre, et, par des motifs insuffisants, que les prévenus avaient mis en place un montage frauduleux en spéculant sur cette main-d'oeuvre, la cour d'appel a, en revanche, totalement omis de se prononcer sur les infractions de faux et usage de faux du chef desquelles les prévenus étaient également poursuivis ; qu'en déclarant les prévenus coupables de faux et usage de faux sans rechercher si, conformément à la prévention, ceux-ci avaient établi ou participé à l'élaboration de bulletins de paye de DADS ou de DUE portant des mentions inexactes relativement aux employés des sociétés Cert et TMG, et fait usage de ces faux, la cour d'appel a privé sa décision d'une motivation suffisante" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-24 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement ayant condamné les prévenus à la peine de vingt-quatre mois d'emprisonnement, dont dix-huit mois avec sursis ;
"aux motifs que, les faits reprochés revêtent un caractère de gravité élevé dès lors qu'ils sont érigés en système élaboré et occasionnent de très importants préjudices à la fois pour la collectivité qu'ils privent de ressources légalement dues et pour la concurrence dont ils faussent ainsi frauduleusement le jeu, manifestant un comportement extrêmement pernicieux socialement ; que la nature et la gravité des infractions ainsi que la personnalité de leurs auteurs, eu égard à leur antécédents et leur nature, rendent la peine d'emprisonnement pour partie sans sursis nécessaire ; que toute autre sanction serait manifestement inadéquate ; que la partie sans sursis de la peine d'emprisonnement ne peut, dès à présent, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du code pénal en l'état des éléments dont la cour dispose et résultant des débats sur la situation actuelle et la personnalité des condamnés ; qu'au regard de la commission des faits, à titre professionnel, les interdictions professionnelles prononcées par le premier juge sont pleinement justifiées ; qu'il convient, en conséquence, de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions relatives à l'action publique ;
"alors qu'il résulte de l'article 132-24 du code pénal, qu'en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées, en application de l'article 132-19-1 de ce code, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que, dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent et, sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 dudit code ; qu'en se bornant à relever que la partie sans sursis de la peine d'emprisonnement ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'aménagement en l'état des éléments résultant des débats sur la situation actuelle et la personnalité des condamnés, sans établir précisément en quoi la situation actuelle et la personnalité des condamnés faisaient obstacle au prononcé d'une telle mesure et, partant, sans caractériser l'impossibilité matérielle d'ordonner une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du code pénal, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a prononcé une peine d'emprisonnement sans sursis par des motifs qui satisfont aux exigences de l'article 132-24 du code pénal ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 1 500 euros la somme que MM. Y... et X... devront verser, chacun, à l'URSSAF des Bouches-du-Rhône, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Labrousse conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;