LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Bordeaux, 8 mars 2012), que M. X..., bénéficiaire, depuis le 1er août 2008, d'une pension de vieillesse versée par la caisse de mutualité sociale agricole de la Gironde (la caisse), a sollicité, auprès de cette dernière, une majoration de la durée d'assurance en application des dispositions de l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale, pour avoir élevé seul un enfant ; que la caisse ayant rejeté sa demande, par courrier du 2 octobre 2009, M. X... a saisi une juridiction de sécurité sociale d'un recours ;
Attendu que la caisse fait grief à l'arrêt de dire que M. X... est en droit de bénéficier de cette majoration de la durée d'assurance alors, selon le moyen :
1°/ que la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif ; qu'aux termes de l'article 65 de la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009, l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale est applicable aux pensions de retraites prenant effet à compter du 1er avril 2010 ; qu'en l'espèce, la caisse faisait valoir que le droit à pension de vieillesse de M. X... avait pris effet dès le 1er août 2008, de sorte que les dispositions de la loi nouvelle n'étaient pas applicables ; qu'en examinant la demande de M. X... au regard des dispositions de la loi nouvelle, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil, ensemble l'article 65 de la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 ;
2°/ que la caisse soutenait dans ses conclusions que le principe d'intangibilité des pensions interdisait à M. X..., dont le droit à pension a pris effet le 1er août 2008, de solliciter le bénéfice des dispositions de l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale afin d'obtenir une majoration de sa durée d'assurance pour éducation d'enfants ; qu'en ne répondant pas à ce moyen des conclusions de la caisse et en s'abstenant de rechercher si la réclamation de l'assuré avait été faite dans le délai de recours contentieux, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ qu'une distinction entre personnes de sexe différent, placées dans une même situation, n'est discriminatoire au sens des stipulations de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire ne poursuit pas un but légitime ou n'a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; qu'en se bornant à affirmer, au cas d'espèce, que les dispositions de l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale étaient discriminatoires, sans expliquer en quoi elles manquaient de justification objective et raisonnable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Protocole additionnel n° 1 de cette convention ;
Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'il résulte de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, que, d'une part, dès lors qu'un Etat contractant met en place une législation prévoyant le versement automatique d'une prestation sociale, que l'octroi de celle-ci dépende ou non du versement préalable des cotisations, cette législation engendre un intérêt patrimonial relevant du champ d'application de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1, d'autre part, qu'une différence de traitement entre hommes et femmes ayant élevé des enfants dans les mêmes circonstances ne peut être admise qu'en présence d'une justification objective et raisonnable ; qu'en l'absence d'une telle justification, l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale qui réserve aux femmes le bénéfice d'une majoration de carrière pour avoir élevé un ou plusieurs enfants, est incompatible avec ces stipulations ; que les droits de M. X... doivent être liquidés en retenant la rédaction de l'article L. 351-4 en vigueur au jour de sa demande à la caisse ;
Que de ces énonciations et constatations, dont il résultait qu'il était fait application des dispositions antérieures à l'entrée en vigueur de la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a exactement déduit, que M. X... pouvait prétendre au bénéfice de la majoration prévue par l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la caisse de mutualité sociale agricole de la Gironde aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse de mutualité sociale agricole de la Gironde, la condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Vincent et Ohl, avocat aux Conseils, pour la caisse de mutualité sociale agricole de la Gironde
En ce que l'arrêt attaqué confirme le jugement en ce qu'il a dit que Monsieur Moha X... est en droit de bénéficier de la majoration de la durée d'assurance prévue par l'article L. 351-4 du Code de la sécurité sociale et, y ajoutant, dit que les droits de Monsieur Moha X... doivent être liquidés en retenant la rédaction de l'article L. 351-4 du Code de la sécurité sociale en vigueur au jour de sa demande à la Caisse ;
Aux motifs que selon l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou tout autre situation ». Le droit de propriété est garanti par la Convention aux termes de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 qui indique que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. La Convention Européenne des Droits de l'Homme interdit donc toute discrimination fondée notamment sur le sexe au titre du droit de propriété garanti par la Convention et à ce titre, une législation prévoyant le versement automatique d'une prestation sociale, que l'octroi de celle-ci dépende ou non du versement préalable de cotisations, engendre un intérêt patrimonial relevant du champ d'application de la Convention. Par ailleurs, les dispositions de la Convention Européenne des Droits de l'Homme telle qu'interprétée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme s'imposent au juge national de tout Etat contractant, qui doit en faire application quelle que soit la compatibilité de la législation nationale avec ladite Convention sans qu'il ait à se substituer au législateur. L'article L. 351-4 du Code de la Sécurité Sociale tel que modifié par la loi du 24 décembre 2009 portant réforme des retraites dispose que : « I : une majoration de durée d'assurance de 4 trimestres est attribuée aux femmes assurées sociales, pour chacun de leurs enfants, au titre de l'incidence sur leur vie professionnelle de la maternité, notamment de la grossesse et de l'accouchement. II : il est institué au bénéfice du père ou de la mère assuré social une majoration de durée d'assurance de 4 trimestres attribuée pour chaque enfant mineur au titre de son éducation pendant les 4 années suivant sa naissance ou son adoption ; Les parents désignent d'un commun accord le bénéficiaire de la majoration ou le cas échéant définissent la répartition entre eux de cet avantage …. » L'article 65 de la loi du 24 décembre 2009 dispose que pour les enfants nés ou adoptés avant le 1er janvier 2010, les majorations prévues au II et III de l'article L. 351-4 du Code de la Sécurité sociale sont attribués à la mère sauf si, dans le délai d'un an à compter de la publication de la présente loi, le père de l'enfant apporte la preuve auprès de la Caisse d'assurance vieillesse qu'il a élevé seul l'enfant pendant une ou plusieurs années au cours de ses premières années ou des 4 années suivant son adoption ». Ainsi, le législateur a entendu modifier les conditions d'attribution de la majoration pour enfants, en prévoyant que 4 des 8 trimestres antérieurement attribués à la femme lui resteraient acquis pour chaque enfant, en indiquant expressément que cette attribution était destinée à compenser l'incidence sur leur vie professionnelle de la maternité, et notamment de la grossesse et de l'accouchement, et que les 4 trimestres restant devaient être attribués à l'un ou l'autre des parents au titre de l'éducation des enfants. Toutefois, pour les enfants nés avant le 1er janvier 2010, cette dernière ne trouve pas application, le père ne pouvant prétendre à l'attribution de la majoration qu'à certaines conditions, il doit notamment rapporter la preuve qu'il a élevé seul l'enfant. Si la majoration pour enfant instaurée par l'article L. 351-4 1 du Code de la Sécurité sociale répond de façon légitime et proportionnée à l'objectif lié à l'incidence de la grossesse et de l'accouchement sur la vie professionnelle des femmes, et n'est pas discriminatoire au sens de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, tel n'est pas le cas en ce qui concerne le 2 du même article. En effet, pour les enfants nés avant le 1er janvier 2012, le législateur a maintenu l'attribution de 4 trimestres à la mère au titre de l'incidence sur la vie professionnelle de l'éducation des enfants, sauf pour le père à rapporter la preuve dans un certain délai qu'il a élevé seul ses enfants, condition non imposée à la mère. Le maintien de cette inégalité pour les enfants nés avant le 1er janvier 2010 n'a aucune justification au regard du but poursuivi par le législateur. En conséquence, la Cour constate qu'il subsiste toujours, avec la loi du 24 décembre 2009, une inégalité de traitement entre hommes et femmes quant à l'attribution d'une majoration pour enfants, le père devant justifier qu'il a élevé seul un enfant né avant le 1er juin 2010 alors que la mère peut bénéficier de la majoration d'assurance même si elle a élevé seul l'enfant avec le père de celui-ci. Les dispositions de l'article L. 351-4, dans son ancienne version comme dans sa nouvelle rédaction, sont donc discriminatoires au sens de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et ne peuvent pas être opposées par la Caisse à Monsieur Moha X.... Il y a donc lieu de confirmer le jugement du Tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde en toutes ses dispositions en précisant que les droits de Monsieur Moha X... doivent être liquidés en retenant la rédaction de l'article L. 351-4 en vigueur au jour de sa demande à la Caisse ». Et aux motifs adoptés qu'il résulte de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, que, d'une part, dès lors qu'un état contractant met en place une législation prévoyant le versement automatique d'une prestation sociale, que l'octroi de celle-ci dépende ou non du versement préalable de cotisations, cette législation engendre un intérêt patrimonial relevant du champ d'application de l'article 1er du protocole additionnel n° 1, que, d'autre part, une différence de traitement entre hommes et femmes ayant élevé des enfants dans les mêmes circonstances ne peut être admise qu'en présence d'une justification objective et raisonnable ; qu'en l'absence d'une telle justification, l'article L. 351-4 du Code de Sécurité sociale qui réserve aux femmes le bénéfice d'une majoration de carrière pour avoir élevé un ou plusieurs enfants, est incompatible avec ces stipulations ;
1°/ Alors que la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif ; qu'aux termes de l'article 65 de la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009, l'article L. 351-4 du Code de la sécurité sociale est applicable aux pensions de retraites prenant effet à compter du 1er avril 2010 ; qu'en l'espèce, la Caisse de Mutualité Sociale Agricole de la Gironde faisait valoir que le droit à pension de vieillesse de Monsieur X... avait pris effet dès le 1er août 2008, de sorte que les dispositions de la loi nouvelle n'étaient pas applicables ; qu'en examinant la demande de Monsieur X... au regard des dispositions de la loi nouvelle, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil, ensemble l'article 65 de la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 ;
2°/ Alors que la Caisse de mutualité sociale Agricole de la Gironde soutenait dans ses conclusions que le principe d'intangibilité des pensions interdisait à Monsieur X..., dont le droit à pension a pris effet le 1er août 2008, de solliciter le bénéfice des dispositions de l'article L. 351-4 du Code de la sécurité sociale afin d'obtenir une majoration de sa durée d'assurance pour éducation d'enfants ; qu'en ne répondant pas à ce moyen des conclusions de la Caisse – et en s'abstenant de rechercher si la réclamation de l'assuré avait été faire dans le délai de recours contentieux, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
3°/ Alors que une distinction entre personnes de sexe différent, placées dans une même situation, n'est discriminatoire au sens des stipulations de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire ne poursuit pas un but légitime ou n'a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; qu'en se bornant à affirmer, au cas d'espèce, que les dispositions de l'article L. 351-4 du Code de la sécurité sociale étaient discriminatoires, sans expliquer en quoi elles manquaient de justification objective et raisonnable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Protocole additionnel n° 1 de cette convention.