LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er décembre 2011), que M. X..., salarié de la société Guy Broussail (l'employeur), de 1997 à 2007, en qualité de tailleur de pierres, puis de chef d'équipe et enfin de chef de chantier, a été atteint, en 2005, d'une silicose associée à une sarcoïde, que la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne (la caisse) a reconnue comme maladie professionnelle le 28 novembre 2005 ; qu'il a saisi une juridiction de sécurité sociale d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'expertise et de dire que la maladie était due à sa faute inexcusable, alors, selon le moyen, qu'après avoir déclaré que la décision de la caisse constatant l'existence de la maladie professionnelle alléguée par le salarié était inopposable à l'employeur pour non-respect des dispositions de l'article R.441-11 du code de la sécurité sociale, le juge ne pouvait rejeter la demande d'expertise de l'employeur et lui imputer une faute inexcusable pour la raison que, dans sa décision susvisée, la caisse avait reconnu que le salarié avait été exposé à la maladie désignée au tableau, retenant ainsi à l'égard de l'employeur une preuve qui figurait dans une décision qui lui était pourtant déclarée inopposable ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que M. X... avait été reconnu atteint d'une silicose associée à une sarcoïde, l'arrêt retient que cette maladie figure au tableau n° 25 des maladies professionnelles et qu'elle est associée à la taille et au polissage des roches renfermant de la silice cristalline ainsi qu'aux travaux de ponçage et sciage à sec ; que l'employeur ne pouvait contester utilement la réalité de l'exposition de ses salariés sous prétexte que les constructions étaient édifiées localement avec des pierres calcaires ne renfermant pas de silice, alors que les chantiers de restauration étaient ouverts à travers toute la région, ce qui conduisait nécessairement ses salariés à travailler toutes sortes de pierres ; que la fiche d'aptitude médicale de l'intéressé du 20 février 2001 signalait expressément l'existence d'un risque particulier résultant de l'exposition à la silice ;
Que par ces seuls motifs, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par le moyen, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'ordonner une expertise, a pu en déduire que la maladie avait un caractère professionnel ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois autres branches :
Attendu que l'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°/ que le salarié ayant reçu de son employeur une délégation de pouvoir en matière de sécurité ne peut imputer à faute à son employeur ses propres manquements en matière de sécurité, lesquels lui auraient causé personnellement un préjudice ; qu'en l'espèce, l'employeur faisait valoir, sans être démenti, qu'en sa qualité de chef de chantier, le tailleur de pierre était chargé de veiller à ce que les travailleurs utilisassent régulièrement et constamment des masques efficaces et qu'il avait la capacité d'engager des dépenses au nom de l'entreprise pour en acquérir d'autres quand cela était nécessaire, produisant, pour en justifier, des factures et bons de commandes comportant le nom dudit délégué de pouvoir ; qu'en relevant que le fait que l'intéressé était chef de chantier ne dispensait pas l'employeur de son obligation de sécurité à son égard, qu'il lui incombait de vérifier lui-même le strict respect des règles de sécurité sur les chantiers et de s'assurer que les ouvriers avaient à leur disposition des équipements de protection adaptés, quand le chef d'entreprise ne pouvait être présent sur tous les chantiers à la fois, d'où la délégation de pouvoir aux fins de commander le matériel de sécurité nécessaire donnée au salarié, sans répondre aux écritures déterminantes dont elle était saisie, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en n'examinant que les seuls témoignages produits par le salarié pour affirmer que celui-ci ne portait pas de masques, tout en s'abstenant de prendre en considération ceux versés aux débats par l'employeur, émanant pour la plupart de personnes étrangères à l'entreprise et établissant le contraire, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif et ignoré l'exigence du procès équitable qui suppose égalité des armes et impartialité, en méconnaissance des articles 455 du code de procédure civile et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que l'employeur faisait valoir que le salarié se livrait pour son compte personnel à une activité de taille de granit (pierre contenant de la silice), activité qui pouvait être à l'origine de sa maladie à supposer qu'il fût atteint de silicose ; qu'en délaissant ces écritures, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, en méconnaissance des prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions que l'employeur ait invoqué l'existence d'une délégation de pouvoir en matière de sécurité ;
Et attendu que l'arrêt retient que le salarié versait aux débats plusieurs attestations d'anciens collègues de travail ou d'artisans établissant l'insuffisance des moyens mis en place ; qu'ainsi, M. Y... déclarait avoir travaillé avec M. X... sur un chantier de pierre de grès au Prieuré Saint-Sauveur où il n'y avait pas de système d'aspiration, l'entreprise fournissant parfois des masques en papier pas vraiment efficaces ; que de même, deux autres témoins confirmaient que sur ce chantier où la silice était présente, les travailleurs de pierre n'avaient pas de protection respiratoire ; qu'il ressort de la liste de fournitures produite que les commandes de masques étaient en nombre insuffisant et limitées aux protections les moins élevées ; que M. X... n'avait eu aucun suivi médical entre 1997 et 2000 et que lors de la visite médicale de 2004, il avait été noté qu'il ne portait pas de masque ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve soumis aux débats, décider que la maladie contractée par le salarié était due à la faute inexcusable de son employeur ;
D'où il suit que le moyen, nouveau et, mélangé de fait et de droit, irrecevable en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Guy Broussail aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Guy Broussail et la condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour la société Guy Broussail et compagnie
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué, après avoir déclaré que la décision d'un organisme social (la CPAM de Seine et Marne) ayant constaté la maladie professionnelle d'un salarié était inopposable à l'employeur pour avoir été rendue en méconnaissance de l'article R 441-11 du code de la sécurité sociale, d'avoir néanmoins rejeté la demande d'expertise médicale formée par celui-ci, décidé que la silicose était due à sa faute inexcusable et fixé la majoration de rente à son taux maximum ;
AUX MOTIFS QUE la société BROUSSAIL ne pouvait utilement contester la réalité de l'exposition de ses salariés sous prétexte que les constructions étaient édifiées localement avec des pierres calcaires ne renfermant pas de silice, quand les chantiers de restauration étaient ouverts à travers toute la région, ce qui conduisait nécessairement ces salariés à travailler toutes sortes de pierres ; que la fiche médicale de M. X... du 20 février 2001 signalait expressément l'existence d'un risque particulier résultant de l'exposition à la silice ; que la caisse primaire d'assurance maladie avait reconnu que l'intéressé avait été exposé à la maladie professionnelle désignée au tableau ; que la demande d'expertise présentée par l'employeur pour vérifier si la maladie aurait eu une autre origine était rejetée ; que, pour préserver la santé du salarié d'un tel risque, l'employeur devait établir et mettre en oeuvre effectivement les mesures de protection nécessaires ; que l'intéressé versait aux débats plusieurs attestations d'anciens collègues de travail ou d'artisans établissant l'insuffisance des moyens mis en place (pas de système d'aspiration, masques en papier pas vraiment efficaces) ; que, sur le chantier de pierres en grès "prieuré" où la silice était présente, les travailleurs de pierre n'avaient pas de protection respiratoire ; qu'il n'était justifié d'aucune sensibilisation des ouvriers au danger lié à l'inhalation de poussières minérales, ni que l'employeur eût donné des instructions de sécurité et veillé à leur application ; que le fait que M. X... était chef de chantier ne dispensait pas le chef d'entreprise de son obligation de sécurité à son égard et il appartenait à celui-ci de vérifier le strict respect des règles de sécurité sur les chantiers et de s'assurer que les travailleurs avaient à leur disposition des équipements de protection adaptés ; qu'il ressortait de la liste de fournitures versées aux débats que les commandes de masques étaient en nombre insuffisant et limitées aux protections les moins élevées ; qu'il ressortait des fiches médicales produites que M. X... n'avait pas bénéficié de la surveillance médicale annuelle ; que, lors de la visite médicale de 2004, il avait été relevé qu'il ne portait pas de masque ; que, sur l'opposabilité de la reconnaissance de la maladie professionnelle, il résultait de l'article R.441-11 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige, que la caisse devait, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, aviser l'employeur des éléments recueillis susceptibles de lui faire grief ainsi que de la fin de la procédure d'instruction, de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle entendait prendre sa décision ; que la caisse reconnaissait ne pas avoir informé l'employeur de la clôture de l'instruction et de la possibilité de venir consulter les éléments lui faisant grief préalablement à sa décision de prise en charge ; qu'elle ne justifiait pas non plus lui avoir adressé une copie de la déclaration de maladie professionnelle ; qu'il y avait dès lors lieu de déclarer la prise en charge de la maladie professionnelle de M. X... inopposable à l'employeur ;
ALORS QUE, de première part, après avoir déclaré que la décision de la caisse constatant l'existence de la maladie professionnelle alléguée par le salarié était inopposable à l'employeur pour non-respect des dispositions de l'article R.441-11 du code de la sécurité sociale, le juge ne pouvait rejeter la demande d'expertise de l'exposante et lui imputer une faute inexcusable pour la raison que, dans sa décision susvisée, la caisse avait reconnu que le salarié avait été exposé à la maladie désignée au tableau, retenant ainsi à l'égard de l'employeur une preuve qui figurait dans une décision qui lui était pourtant déclarée inopposable ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale ;
ALORS QUE, de deuxième part, le salarié ayant reçu de son employeur une délégation de pouvoir en matière de sécurité ne peut imputer à faute à son employeur ses propres manquements en matière de sécurité, lesquels lui auraient causé personnellement un préjudice ; qu'en l'espèce l'exposante faisait valoir (v. ses conclusions d'appel, pp. 14 et 18), sans être démentie, qu'en sa qualité de chef de chantier le tailleur de pierre était chargé de veiller à ce que les travailleurs utilisassent régulièrement et constamment des masques efficaces et qu'il avait la capacité d'engager des dépenses au nom de l'entreprise pour en acquérir d'autres quand cela était nécessaire, produisant, pour en justifier, des factures et bons de commandes comportant le nom dudit délégué de pouvoir ; qu'en relevant que le fait que l'intéressé était chef de chantier ne dispensait pas l'exposante de son obligation de sécurité à son égard, qu'il lui incombait de vérifier elle-même le strict respect des règles de sécurité sur les chantiers et de s'assurer que les ouvriers avaient à leur disposition des équipements de protection adaptés, quand le chef d'entreprise ne pouvait être présent sur tous les chantiers à la fois, d'où la délégation de pouvoir aux fins de commander le matériel de sécurité nécessaire donnée au salarié, sans répondre aux écritures déterminantes dont elle était saisie, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, de troisième part, en n'examinant que les seuls témoignages produits par le salarié pour affirmer que celui-ci ne portait pas de masques, tout en s'abstenant de prendre en considération ceux versés aux débats par l'employeur, émanant pour la plupart de personnes étrangères à l'entreprise et établissant le contraire, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif et ignoré l'exigence du procès équitable qui suppose égalité des armes et impartialité, en méconnaissance des articles 455 du code de procédure civile et 6 de la convention européenne de sauvegarde ;
ALORS QUE, enfin, l'exposante faisait valoir (v. ses conclusions préc., p. 25) que le salarié se livrait pour son compte personnel à une activité de taille de granit (pierre contenant de la silice), activité qui pouvait être à l'origine de sa maladie à supposer qu'il fût atteint de silicose ; qu'en délaissant ces écritures, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, en méconnaissance des prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile.