LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à M. et Mme X... du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Banque populaire Val de France ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 24 février 2012), que le fonds de commerce de café-bar exploité par M. et Mme X... sous l'enseigne « ... », assuré contre le risque incendie auprès de la société Assurances générales de France (AGF), dans un immeuble appartenant à la SCI Sayma à Châtellerault, a été détruit par un incendie dans la nuit du 15 au 16 août 2005, et le bail résilié à effet du 17 août 2005 ; que la société AGF ayant refusé sa garantie en raison d'une suspicion sur l'origine du sinistre, M. et Mme X... l'ont assignée sous sa nouvelle dénomination Allianz assurances en exécution du contrat et en indemnisation de la perte de valeur du fonds de commerce ; que parallèlement, M. et Mme X... ayant cessé de rembourser les échéances du prêt accordé par la société Banque populaire Val de France, cette dernière les a assignés en paiement des sommes dues, et a demandé que le montant de l'indemnité d'assurance due par l'assureur soit versé entre ses mains ; que les deux instances ont été jointes ; qu'un non-lieu a été prononcé sur la plainte déposée par l'assureur avec constitution de partie civile du chef de tentative d'escroquerie ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de réduire le montant de l'indemnité leur étant due par l'assureur à la somme de 58 297 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 avril 2007, date de l'assignation et, en conséquence, de rejeter le surplus de leur demande, alors, selon le moyen, que le juge ne peut se fonder sur les conclusions d'une expertise qui n'a pas été menée au contradictoire des parties ; qu'en se fondant essentiellement, pour fixer la valeur du fonds de commerce, sur l'enquête pénale et les conclusions de l'expert désigné par le juge d'instruction au terme d'une expertise au cours de laquelle M. et Mme X... n'ont pu intervenir, ces derniers n'ayant pu discuter l'évaluation opérée par l'expert qu'après que le rapport soit versé aux débats à hauteur d'appel, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 16 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient que le fonds de commerce de bar-restaurant rapide sous l'enseigne " ... " a été acheté par M. X... le 25 mars 2004 pour un prix principal de 137 204 euros, se répartissant en 103 068 euros pour les éléments incorporels et 34 136 euros pour les éléments corporels ; qu'il a été assuré pour ce montant ; que néanmoins, l'indemnisation doit tenir compte de la valeur du fonds au moment où le sinistre est survenu, et non de celle existant au moment de la souscription du contrat d'assurance ; que si M. X... a mis en vente son fonds de commerce par Internet au moment du sinistre pour un prix de 220 000 euros, il n'a trouvé aucun acquéreur ; que l'enquête a établi qu'à cette époque, M. X... était préoccupé par les mauvais résultats de l'exploitation du fonds, ce qu'il a évoqué dans son annonce par Internet, tout en les attribuant à la longueur des travaux de rénovation et à des travaux de voirie ; que l'expert désigné par le juge d'instruction a relevé que pendant les quatre exercices précédant l'acquisition, les chiffres d'affaires sont restés relativement stables, se situant en moyenne à 218 000 euros ; qu'en revanche, l'expert a constaté que les chiffres d'affaires reconstitués à partir des documents bancaires se sont élevés à 101 806 euros d'avril 2004 à décembre 2004, soit une baisse de 40 %, et à 64 775 euros de janvier à août 2005, soit une baisse de 35 % par rapport à l'année précédente, déjà en forte diminution ; que les résultats d'exploitation sont devenus déficitaires dès la première année d'exploitation, se soldant par une perte de 15 422 euros pour les neuf mois de cet exercice ; que par ailleurs, l'expert a observé que M. X... ne pouvait pas prélever une somme mensuelle de 1 000 euros sans mettre en péril la structure financière de l'entreprise ; que des chèques impayés à France boisson sont apparus dès mars 2005 ; que M. X... a rencontré des difficultés pour payer la TVA, étant contraint de demander à l'administration fiscale des délais et des aménagements de paiement ; que M. X... n'établit pas la consistance des gros travaux qu'il dit avoir effectués dans les lieux et ne fournit aucun justificatif ; qu'en outre la commission de sécurité communale avait émis, le 19 mai 2005, un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation du ... : qu'enfin M. X... a repris son activité d'électricien à compter des mois de mai-juin 2005, intervenant comme sous-traitant pour la société Brunet ; qu'à l'issue de ses opérations, l'expert judiciaire retenant une valeur vénale effective, et non théorique, de 60 % du chiffre d'affaires HT réalisé, a retenu une valorisation, au 30 juin 2005, de 97. 163 x 60 % = 58 297 euros pour le fonds de commerce considéré, cette évaluation portant à concurrence d'un tiers sur les éléments corporels et de deux tiers pour les éléments incorporels, droit au bail et licence IV ; que pour parvenir à cette évaluation, l'expert aux constatations duquel il est référé, a tenu compte de l'évolution du chiffre d'affaires, des bénéfices réalisés, de l'effectif de production, des éléments incorporels, des moyens matériels mis à disposition et de l'emplacement et de la localisation de l'établissement ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations procédant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve, la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée exclusivement sur le rapport de l'expert judiciaire désigné par le juge d'instruction, a pu, sans méconnaître le principe de la contradiction, statuer comme elle l'a fait sur l'indemnisation du préjudice ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen pris en sa première branche, tel que reproduit en annexe :
Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à obtenir de l'assureur une indemnité de 161 000 euros compensant les pertes d'exploitation consécutives à l'incendie du fonds de commerce ;
Mais attendu que sous le couvert du grief non fondé de violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve par la cour d'appel qui, hors de toute dénaturation des conclusions, a pu en déduire que le fonds de commerce était largement déficitaire à la date du sinistre, et statuer comme elle l'a fait sur le montant du préjudice réparable au titre des pertes d'exploitation ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. et Mme X..., les condamne à payer à la société Allianz assurances la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR réduit le montant de l'indemnité due par la société ALLIANZ ASSURANCES aux époux X... à la somme de 58. 297 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 avril 2007, date de l'assignation et d'AVOIR, en conséquence, rejeter le surplus de leur demande ;
AUX MOTIFS QUE le fonds de commerce de Bar-Pub-Salle de billard-Restaurant rapide sous l'enseigne « ... » a été acheté par Monsieur X... le 25 mars 2004 pour un prix principal de 137. 204 euros, se répartissant en 103. 068 euros pour les éléments incorporels et 34. 136 euros pour les éléments corporels ; qu'il a été assuré pour ce montant, que néanmoins, l'indemnisation doit tenir compte de la valeur du fonds au moment où le sinistre est survenu, et non de celle existant au moment de la souscription du contrat d'assurance ; que si Monsieur X... avait mis en vente son fonds de commerce par internet au moment du sinistre pour un prix de 220. 000 euros, il n'avait trouvé aucun acquéreur ; que l'enquête a établi qu'à cette époque, Monsieur X... était préoccupé des mauvais résultats de l'exploitation du fonds, qu'il a d'ailleurs évoqué dans son annonce internet, tout en les attribuant à la longueur des travaux de rénovation et à des travaux de voirie ; que Monsieur Y..., expert désigné par le juge d'instruction, a noté que pendant les quatre exercices précédant l'acquisition de Monsieur X..., les chiffres d'affaires sont restés relativement stables, se situant en moyenne à 218. 000 euros ; qu'en revanche, l'expert a constaté que les chiffres d'affaires reconstitués à partir des documents bancaires se sont élevés à 101. 806 euros d'avril 2004 à décembre 2004, soit une baisse de 40 %, et à 64. 775 euros de janvier à août 2005, soit une baisse de 35 % par rapport à l'année précédente, déjà en forte diminution ; que les résultats d'exploitation sont devenus déficitaires dès la première année d'exploitation, se soldant par une perte de 15. 422 euros pour les 9 mois de cet exercice ; que par ailleurs, l'expert a observé que Monsieur X... ne pouvait pas prélever une somme mensuelle de 1. 000 euros sans mettre en péril la structure financière de l'entreprise ; que des chèques impayés à France Boisson sont apparus dès mars 2005 ; que Monsieur X... a rencontré des difficultés pour payer la TVA, étant contraint de demander à l'administration fiscale des délais et des aménagements de paiement ; que Monsieur X... n'établit pas la consistance des gros travaux qu'il dit avoir effectués dans les lieux et ne fournit aucun justificatif ; qu'en outre la commission de sécurité communale de la ville de Châtellerault avait émis, le 19 mai 2005, un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation du ... : qu'enfin Monsieur X... a repris son activité d'électricien à compter des mois de mai-juin 2005, intervenant comme sous-traitant pour la société Brunet ; qu'à l'issue de ses opérations, l'expert judiciaire retenant une valeur vénale effective (et non théorique), de 60 % du chiffre d'affaires HT réalisé, a retenu une valorisation, au 30 juin 2005, de 97. 163 x 60 % = euros pour le fonds de commerce considéré, cette évaluation portant à concurrence d'un tiers sur les éléments corporels et de deux tiers pour les éléments incorporels (droit au bail et licence IV) ; que pour parvenir à cette évaluation, l'expert aux constatations duquel il est référé, a tenu compte de l'évolution du chiffre d'affaires, des bénéfices réalisés, de l'effectif de production, des éléments incorporels, des moyens matériels mis à disposition et de l'emplacement et de la localisation de l'établissement ; que Monsieur X..., qui s'en tient au prix d'acquisition du fonds de commerce, ne verse aux débats aucun élément permettant de discuter utilement cette évaluation (…) ; que la compagnie ALLIANZ ASSURANCES sera donc condamnée à verser à Monsieur X... la somme de 58. 297 euros au titre de son indemnisation, incluant tant les éléments corporels que les éléments incorporels du fonds de commerce ;
ALORS QUE le juge ne peut se fonder sur les conclusions d'une expertise qui n'a pas été menée au contradictoire des parties ; qu'en se fondant essentiellement, pour fixer la valeur du fonds de commerce, sur l'enquête pénale et les conclusions de l'expert désigné par le juge d'instruction au terme d'une expertise au cours de laquelle les époux X... n'ont pu intervenir, ces derniers n'ayant pu discuter l'évaluation opérée par l'expert qu'après que le rapport soit versé aux débats à hauteur d'appel, la Cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 16 du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande des époux X... tendant à obtenir de la compagnie ALLIANZ ASSURANCES une indemnité de 161. 000 euros compensant les pertes d'exploitation consécutives à l'incendie du fonds de commerce ;
AUX MOTIFS QUE (Monsieur X...) évalue son préjudice à 161. 000 euros, cette somme incluant, selon lui, les intérêts et indemnités dus à la BANQUE POPULAIRE VAL DE FRANCE au titre de l'emprunt, ainsi que le remboursement d'un prêt que lui a consenti la SA KRONENBOURG, subrogée dans les droits du CREDIT INDUSTRIEL D'ALSACE ET DE LORRAINE, laquelle lui demande le remboursement de la somme de 34. 222, 61 euros comprenant des intérêts de retard pour un montant de 5. 508, 97 euros ; mais que Monsieur X... a signé avec la compagnie ALLIANZ ASSURANCES un contrat d'assurance du fonds de commerce et non une garantie de remboursement des prêts qui lui ont été consentis par des tiers, lesquels ne sont d'ailleurs pas dans la cause, à l'exception de la BANQUE POPULAIRE VAL DE FRANCE ; que par ailleurs, il ne justifie pas de la perte de chiffre d'affaires dont il demande indemnisation, sans même présenter une demande chiffrée spécifique de ce chef, étant rappelé, ainsi qu'il a été dit, que le fonds de commerce était largement déficitaire au moment où le sinistre s'est produit ; que la compagnie ALLIANZ ASSURANCES sera donc condamnée à verser à Monsieur X... la somme de 58. 297 euros au titre de son indemnisation, incluant tant les éléments corporels que les éléments incorporels du fonds de commerce ;
1° ALORS QUE dans leurs conclusions d'appel, les époux X... chiffraient les pertes d'exploitation engendrées par l'incendie en se référant aux « comptes prévisionnels (établis par leur) expert comptable (pièce n° 30) (suivant lesquels) l'exploitation devait permettre de dégager un résultat net comptable de l'ordre de 38. 000 euros la première année », ainsi qu'au « chiffre d'affaires (moyen) dégagé par le prédécesseur de M. X... sur 3 exercices (de) 219. 038 euros pour un résultat moyen de 23. 148 euros », soulignant qu'« il n'y avait aucune raison particulière pour que son successeur ne réalise pas au moins les mêmes résultats » et que ces chiffres avaient convaincu la banque de financer l'acquisition du fonds de commerce (conclusions du 14 décembre 2011, p. 5, deux derniers § et p. 6, premier §) ; qu'en jugeant au contraire que les époux X... ne présentaient pas de demande chiffrée spécifique au titre de la perte d'exploitation, la Cour d'appel a dénaturé leurs conclusions, en violation des articles 4 et 5 du Code de procédure civile ;
2° ALORS QUE le juge a l'obligation d'évaluer un préjudice dont il constate l'existence ; qu'en déboutant les époux X... de leur demande tendant à être indemnisés, en application du contrat d'assurance qu'ils avaient conclu avec la société ALLIANZ ASSURANCES, des pertes d'exploitation consécutives à l'incendie du fonds de commerce, quand elle constatait que l'incendie, qui avait totalement détruit le fonds de commerce, avait contraint les époux X... a interrompre toute activité, ce dont il s'évinçait nécessairement qu'ils avaient subi une perte d'exploitation importante, la Cour d'appel a violé les articles 4 du Code de procédure civile, 1134 du Code civil et L. 121-6 du Code des assurances.
3° ALORS QUE le contrat d'assurance couvrait les pertes d'exploitation définies comme les pertes pécuniaires subies du fait de l'interruption ou de la réduction d'activité ; qu'en relevant que le fonds de commerce était déficitaire pour écarter toute indemnisation de ce chef, quand le contrat ne couvrait pas seulement la perte de bénéfices mais également la perte de toute recette subie du fait de l'interruption, la Cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil et L. 121-6 du Code des assurances.