LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 14 du code de procédure civile, ensemble l'article 462, alinéa 3, du même code ;
Attendu que lorsqu'il statue sans audience sur une requête en rectification d'une erreur ou omission matérielle, le juge doit s'assurer que la requête a été portée à la connaissance des autres parties ;
Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que par un jugement du 23 mai 2008, le tribunal de commerce de Salon-de-Provence, saisi d'un litige opposant la société Bérard (la société) à la société Aviva France (l'assureur), s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris ; que l'assureur a saisi le tribunal de commerce de Salon-de-Provence d'une requête en rectification d'une omission matérielle affectant son jugement du 23 mai 2008 relativement à la question de fond dont dépendait la compétence ;
Attendu que le tribunal qui a statué sans audience, a accueilli la requête et rectifié le dispositif du jugement ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne résulte ni des mentions du jugement ni des productions que la requête avait été portée à la connaissance de la société, le tribunal a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 28 février 2012, entre les parties, par le tribunal de commerce de Salon-de-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de commerce de Salon-de-Provence autrement composé ;
Condamne la société Aviva France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile ,rejette la demande de la société Aviva France, la condamne à payer à la société Bérard la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un février deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat aux Conseils, pour la société Bérard
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fait droit à la requête en rectification d'omission matérielle déposée le 24 février 2012 par la Société AVIVA FRANCE à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Salon de Provence le 23 mai 2008, et d'avoir en conséquence dit que la mention suivante est insérée dans le dispositif dudit jugement : « Vu les dispositions de l'article 77 du Code de procédure civile, statuant par des dispositions distinctes : Dit que les deux sociétés ont interrompu leurs relations dans un cadre contractuel et ne qualifie pas leur rupture de délictuelle ; En conséquence, dit que la compétence du Tribunal de commerce de Salon de Provence ne sera pas retenue » ;
Aux motifs que « le Tribunal de commerce de Salon de Provence, assisté du Greffier, après en avoir délibéré statuant sans audience, sans avoir entendu ni convoqué les parties » ;
Alors que, de première part, si en application du troisième alinéa de l'article 462 du Code de procédure civile, le juge saisi d'une demande de rectification d'erreur ou d'omission matérielle de son jugement peut librement décider de ne pas convoquer les parties à une audience, il doit obligatoirement respecter les droits de la défense et le respect du principe du contradictoire en invitant les parties à fournir leurs observations sur la demande de rectification ; qu'en statuant sur la requête en rectification d'omission matérielle déposée par la Société AVIVA FRANCE sans inviter la Société BERARD, qui n'a été informée de cette demande que par la notification de la décision rectificative qui lui a été faite, à fournir ses observations en réponse, le Tribunal a violé l'article 462 du Code de procédure civile, ensemble les articles 14 et 16 du même code ;
Alors que, de deuxième part, encourt la nullité le jugement rectificatif rendu par le juge saisi par l'une des parties d'une requête en rectification d'erreur ou d'omission matérielle qui ne mentionne pas que les autres parties ont été invitées par la juridiction à fournir leurs observations en réponse ; que dès lors qu'aucune des mentions du jugement rectificatif du 28 février 2012 n'indique que la Société BERARD aurait été invitée à faire valoir ses arguments en réponse à la requête en rectification d'omission matérielle déposée par la Société AVIVA FRANCE, le Tribunal, qui a méconnu les exigences de l'article 462 du Code de procédure civile, a entaché sa décision d'une cause de nullité ;
Alors que, de troisième part et subsidiairement, le juge doit s'assurer du respect du principe d'égalité des armes entre les parties ; qu'en s'abstenant d'inviter la Société BERARD à fournir ses observations sur la demande en rectification d'omission matérielle formée par la Société AVIVA FRANCE et en la maintenant dans l'ignorance de cette demande, quand la Société AVIVA FRANCE avait pu développer l'ensemble des arguments qu'elle estimait utiles au succès de sa demande en rectification, le Tribunal a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fait droit à la requête en rectification d'omission matérielle déposée le 24 février 2012 par la Société AVIVA FRANCE à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Salon de Provence le 23 mai 2008, et d'avoir en conséquence dit que la mention suivante est insérée dans le dispositif dudit jugement : « Vu les dispositions de l'article 77 du Code de procédure civile, statuant par des dispositions distinctes : Dit que les deux sociétés ont interrompu leurs relations dans un cadre contractuel et ne qualifie pas leur rupture de délictuelle ; En conséquence, dit que la compétence du Tribunal de commerce de Salon de Provence ne sera pas retenue » ;
Aux motifs qu' « une erreur figure dans le dispositif dudit jugement ; qu'en effet, il est mentionné dans les motifs de la décision : "Au visa de l'article 77 du CdPC, le Tribunal statuera par des dispositions distinctes sur la question de fond invoquée par le demandeur à l'appui de sa demande de voir le Tribunal de céans se déclarer compétent et la compétence" ; "Le Tribunal dira que les deux sociétés ont interrompu leurs relations dans un cadre contractuel et ne qualifiera pas leur rupture de délictuelle. Le Tribunal ne fera pas application de l'article 46 alinéa 2 du CdPC traitant du délictuel pour juger de la juridiction compétente et par voie de conséquence, ne retiendra pas la compétence du Tribunal de commerce de Salon de Provence" ; que l'insertion de cette disposition n'a pas été reprise dans le dispositif du jugement ; qu'il s'agit d'une erreur matérielle et il convient de la rectifier. Dit que la mention suivante est insérée dans le dispositif du jugement : "Vu les dispositions de l'article 77, statuant par des dispositions distinctes : Dit que les deux sociétés ont interrompu leurs relations dans un cadre contractuel et ne qualifie pas de leur rupture de délictuelle. En conséquence, dit que la compétence du Tribunal de commerce de Salon de Provence ne sera pas retenue" » ;
Alors que, si les erreurs ou omissions matérielles affectant une décision peuvent être réparées par la juridiction qui l'a rendue, celle-ci ne peut modifier les droits et obligations reconnus aux parties par cette décision ; qu'en ajoutant, par jugement rectificatif du 28 février 2012, au dispositif du jugement du 23 mai 2008 qui se bornait à relever l'incompétence de la juridiction, la disposition selon laquelle la rupture de la relation décidée par la Société AVIVA FRANCE s'inscrit dans un cadre contractuel et n'engage en conséquence pas sa responsabilité délictuelle, le Tribunal de Salon de Provence a conféré autorité de la chose définitivement jugée à cette disposition qui ne peut plus être contestée par la Société BERARD dans le cadre d'une quelconque voie de recours et peut lui être opposée, sans contestation possible de sa part, dans le cadre de la procédure pendante relative au fond du litige ; qu'en faisant droit à la requête en rectification d'omission matérielle de la Société AVIVA FRANCE, le Tribunal a donc méconnu, en les modifiant, les droits de la Société BERARD, violant ainsi l'article 462 du Code de procédure civile.