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19/02/2013 | FRANCE | N°11-88515

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 février 2013, 11-88515


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Philippe X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS de la REUNION, chambre correctionnelle, en date du 10 novembre 2011, qui, pour harcèlement moral, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et 8 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le second moyen de cassation en tant qu'il concerne Mme Y..., pris de la violation des articles 6 de la C

onvention européenne des droits de l'homme, 222-33-2 du code pénal, 591 et 593 du code d...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Philippe X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS de la REUNION, chambre correctionnelle, en date du 10 novembre 2011, qui, pour harcèlement moral, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et 8 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le second moyen de cassation en tant qu'il concerne Mme Y..., pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 222-33-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable des faits qualifiés de harcèlement moral, l'a, en répression, condamné à des peines de six mois d'emprisonnement avec sursis et de 8 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

" aux motifs que Mme Y...a déclaré de façon constante avoir fait l'objet d'attitudes de dénigrement, de propos méprisants voire menaçants ; qu'à titre d'illustrations, elle a exposé :
- s'être vue retirer la gestion des comptes clients effectuée depuis dix ans reconfiée peu de temps avant d'être sanctionnée par un avertissement pour ne pas avoir rattrapé le retard consécutif à la décharge inopinée et injustifiée de ces occupations,
- avoir reçu de la part du prévenu, sur un ton menaçant, les propos suivants : « je te jure sur la tête de ma mère que j'aurai la peau de Mme Z...et que si toi tu te mets en travers de mon chemin, tu auras affaire à moi »,
- avoir subi quelque mesure d'isolement telle que sa mise à l'écart de la surface de vente avec le retrait de sa tâche de récupérer la monnaie en caisse,
- s'être vue refuser une formation en droit social et droit du travail compatible avec ses fonctions de secrétaire de direction, avoir été écartée de la participation à un déjeuner offert au personnel en récompense d'une surcharge de travail occasionnée par la rentrée scolaire,
- avoir fait l'objet d'une tentative de licenciement économique injustifié de par notamment sa qualité de doyenne des salariées et refusé par l'inspection du travail ; que ces agissements de la part de M. X...s'étant enchaînés et répétés d'octobre 2004 à septembre 2005, et dont témoignent pour une large partie d'autres employés ainsi que précisé dans l'exposé des faits, ont manifestement eu pour conséquence, par l'effet d'une pression morale permanente, de dégrader ses conditions de travail et se sont révélés susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité de Mme Y..., à telle enseigne qu'elle s'est trouvée contrainte de se mettre en arrêt de travail à partir de septembre 2005 au regard de l'altération de sa santé physique ou mentale, et que son avenir professionnel s'en est trouvé compromis avec son inaptitude au travail médicalement constatée ; que ces agissements relèvent des dispositions des articles 222-33-2 du code pénal ; que s'agissant des mesures discriminatoires, faits de dénigrement et d'insultes dénoncés par Mme Z..., faisant à l'instar de Mme Y...fonction de délégué du personnel et ayant tout aussi activement participé au mouvement de grève en février 2005 ayant abouti à la fermeture du magasin, et notamment illustrés par :
- de fréquentes modifications d'horaires dès son retour de congé de maternité,
- des réorganisations successives de son emploi accroissant sa charge de travail et l'isolant dans son bureau, outre la pression par voie de lettres de rappel lui demandant une augmentation du chiffre d'affaires alors qu'elle était confinée dans des tâches administratives,
- des invectives à son encontre de la part de M. X...la traitant sur un ton agressif et devant ses collèges d'« incapable », ces agissements dont la dénonciation a été appuyée par la production de pièces figurant au dossier, confirmée par la partie civile y compris devant la cour, mais encore pour partie par les employés de la librairie, visant à instaurer une pression permanente sur la personne de Mme Z...et à dégrader ses conditions de travail, susceptibles de porter atteinte à sa dignité comme à ses droits, d'altérer sa santé physique ou de porter atteinte à sa dignité comme à ses droits, d'altérer sa santé physique ou mentale et de compromettre son avenir professionnel, l'ont contrainte à se mettre en arrêt de travail avant que soit le 29 novembre 2005 médicalement constaté chez elle un « état anxio-dépressif réactionnel à une situation de souffrance au travail … et une inaptitude professionnelle … » relèvent donc des dispositions de l'article 222-33-2 du code pénal ; que s'agissant des faits dénoncés par Mme A..., se considérant comme le « souffre-douleur » du prévenu, ils s'illustrent comme suit ; que M. X..., à l'instar de Mme Y..., lui a interdit l'accès à la surface de vente, l'a privé d'une augmentation de salaire accordée à des salariés occupant les mêmes fonctions, malgré son ancienneté décennale, a modifié sans préavis ses horaires de travail et ses jours de récupération, lui a, sans motif sérieux, reproché d'être à l'origine de la baisse d'activité de la librairie, mais encore et surtout l'a remarquablement dénigrée devant tout le monde en ces termes méprisants : « vous êtes nulle … la plus nulle de la terre … » alors que, selon ces témoignages dont celui de Mme B..., elle donnait satisfaction dans son travail ; que Mme A...se mettait en arrêt de travail avant que son inaptitude à son poste de travail soit médicalement constatée et son licenciement décidé ; que le médecin psychiatre traitant relevant un état anxio-dépressif consécutif à des problèmes de harcèlement ; qu'en raison de leur réitération et de leur nature, les faits dénoncés et confirmés pour partie par bon nombre d'employés, tel que précisé dans l'exposé des faits, relèvent des dispositions de l'article 222-33-2 du code pénal en ce qu'ils constituent des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité de Mme A..., mais encore d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'enfin, M. C...dénonçait lui aussi de la part de M. X...des faits assez similaires à ceux visés tels que des changements de postes inopinés sans valorisation financière, la privation discriminante d'une prime de rentrée scolaire, des injures particulièrement vulgaires confirmées par les salariés dont M. D..., susceptibles de porter atteinte à sa dignité, à ses droits, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en effet, à l'instar de Mmes Y..., Z...et A..., M. C...s'est trouvé en arrêt maladie et a dû consulter un psychiatre avant de se soumettre à une mesure de licenciement économique ; qu'il convient de retenir que tous les témoignages recueillis auprès des personnes ayant travaillé dans la librairie ... et nommées dans l'exposé des faits vont dans le sens des dénonciations des victimes s'accordant notamment sur cette volonté affichée par M. X...d'humilier les employés, entretenant une atmosphère de malaise et de peur, de sorte que la plupart des employés craignait pour son devenir professionnel et vivait un stress permanent ; qu'à l'opposé, devant la cour, le prévenu a adopté un système de défense qui n'est pas du tout convaincant, réfutant sans explication claire les déclarations des victimes et les témoignages tendant à les corroborer ; que les agissements susvisés tenus pour avérés excèdent très largement les limites de l'exercice licite du pouvoir de direction ; que le délit de harcèlement moral est établi envers les quatre victimes ;

" alors que seuls peuvent être retenus, pour caractériser le délit de harcèlement moral, des agissements commis par l'employeur au-delà des limites de son pouvoir de direction ; qu'en l'espèce, en retenant, à l'encontre du prévenu, des décisions concernant l'organisation des tâches confiées à chacune des parties civiles, les horaires de Mme Z..., ainsi que les formations que Mme Y...était susceptible de suivre, sans expliquer en quoi ces décisions ne rentreraient pas dans l'exercice, par Monsieur X..., de son pouvoir de direction, et qu'en relevant que Mme A...n'avait pas perçu une augmentation de salaire accordée à d'autres salariées occupant les mêmes fonctions, sans indiquer en quoi cette mesure présenterait un caractère discriminatoire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés " ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme permettent à la Cour de cassation de s'assurer que les juges du fond, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction et déduits de leur pouvoir souverain d'appréciation des faits et circonstances de la cause ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ont mis en évidence, à la charge de M. X..., des menaces, attitudes vexatoires ou injurieuses caractérisant, au sens de l'article 222-33-2 du code pénal, des agissements répétés ayant eu pour objet ou pour effet d'entraîner, au détriment de Mme Y..., sa salariée, une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

D'où il suit que le moyen, qui soutient vainement que les agissements retenus n'excéderaient pas le pouvoir de direction de l'employeur, doit être écarté ;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 222-33-2 du code pénal, 7, 8, 203, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de M. X...tendant à voir constater l'extinction de l'action publique, a, en conséquence, déclaré M. X...coupable des faits qualifiés de harcèlement moral, l'a, en répression, condamné à des peines de six mois d'emprisonnement avec sursis et de 8 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

" aux motifs propres que Mme Y...a déposé plainte pour la première fois le 28 janvier 2006 dénonçant des faits de harcèlement moral de la part de M. X...qui ne saurait faire valoir l'acquisition de la prescription de l'action publique de la poursuite concernant les faits dénoncés par Mme A..., Mme Z...et M. C...ayant chacun déposé plainte dans un délai supérieur à trois ans à partir de la cessation de leurs fonctions, au motif de leur connexité caractérisée au regard de leur unité spatiale, temporelle avec un commun dessein, faits imputés à la même personne, connexité telle que l'acte interruptif de prescription des faits dénoncés par Mme Y...a suspendu la prescription de ceux dénoncés par les trois autres victimes ;

" et aux motifs, repris des premiers juges, que lors de son dépôt de plainte du 26 janvier 2006, complété par une audition du 31 janvier suivant, Mme Y...n'a dénoncé que les faits de harcèlement moral dont elle se considérait victime ; qu'elle n'a pas évoqué les faits, de nature identique, subis par ses collègues précités ; que par ailleurs, si Mme A...a été entendue le 7 juin 2005, son audition n'avait pour objet que le non-respect, par M. X...notamment, des dispositions de la loi Evin ; qu'en revanche, les faits visés dans la prévention comme constitutifs de harcèlement moral à l'égard de cette salariée n'y ont été aucunement mentionnés ; que cependant, en application de l'article 203 du code de procédure pénale, lorsque deux infractions sont connexes, un acte interruptif de prescription concernant l'une d'elles a nécessairement le même effet à l'égard de l'autre ; que l'énumération donnée par cet article des infractions connexes n'étant pas limitative, doivent être considérées comme connexes, selon la Cour de cassation dans son arrêt du 18 janvier 2006, les infractions qui procèdent d'une même conception, relèvent du même mode opératoire et tendent au même but ; qu'en l'espèce, les faits reprochés sont imputés à une même personne, ont été commis dans un même laps de temps, tendent à un objectif commun : exercer des pressions sur les salariés en vue de leur faire quitter l'entreprise et, au regard de l'identité de leur mode opératoire, reçoivent tous une qualification juridique identique ; qu'il existe donc entre ces infractions une connexité telle que l'acte interruptif de prescription des faits dénoncés par Mme Y...a également suspendu la prescription des faits dénoncés par ses collègues courant 2009 ; qu'il en résulte que les faits de harcèlement moral pour lesquels M. X...est poursuivi ne sont pas prescrits ;

" alors qu'un acte de poursuite concernant des faits de harcèlement moral qui auraient été commis par un employeur à l'égard d'une personne donnée ne peut avoir pour effet d'interrompre la prescription de l'action publique pour d'autres faits de harcèlement moral dont auraient été victimes d'autres salariés de l'entreprise ; que s'il existe un certain lien entre les agissements en cause, imputés à la même personne, il n'existe cependant pas, entre ces faits, concernant des personnes différentes, des rapports suffisamment étroits pour caractériser un lien de connexité, au sens de l'article 203 du code de procédure pénale ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a méconnu les textes précités " ;

Vu les articles 7, 8 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu, d'une part, qu'il résulte des deux premiers de ces textes qu'en matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues à compter du jour où l'infraction a été commise si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite ;

Attendu, d'autre part, que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué, du jugement et des pièces de procédure que le 26 janvier 2006, Mme Y...a déposé plainte contre M. X..., son employeur, du chef de harcèlement moral ; que Mme A..., Mme Z...et M. C..., anciens collègues de travail de la plaignante qui avaient cessé d'exercer, depuis plus de trois ans, leurs fonctions dans l'entreprise, ont à leur tour déposé plainte du même chef aux mois de février et mars 2009 ; que poursuivi devant le tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 222-33-2 du code pénal, M. X...a soutenu que la prescription de l'action publique était acquise en sa faveur, s'agissant des faits dénoncés par les trois derniers plaignants ; que les premiers juges ont rejeté cette exception ;

Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris sur ce point, l'arrêt retient que les infractions commises, imputées à la même personne et commises dans le même dessein, sont connexes en raison de leur unité spatiale et temporelle, et que la plainte de Mme Y..., interruptive de prescription, a également suspendu cette prescription, s'agissant des faits dénoncés par Mme A..., Mme Z...et M. C...;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la première plainte déposée avait eu pour seul effet d'interrompre la prescription de l'action publique et non de la suspendre, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ;

Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE en ses dispositions relatives au délit de harcèlement moral concernant Mme Z..., Mme A...et M. C...ainsi qu'en ses dispositions relatives aux peines, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 10 novembre 2011, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues,

Et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

FIXE à 2 000 euros la somme que M. X...devra payer à Mme Y..., au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Beauvais conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 11-88515
Date de la décision : 19/02/2013
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, 10 novembre 2011


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 19 fév. 2013, pourvoi n°11-88515


Composition du Tribunal
Président : M. Louvel (président)
Avocat(s) : SCP Blanc et Rousseau, SCP Piwnica et Molinié

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2013:11.88515
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