LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par jugement du 5 décembre 1994, un tribunal de commerce a arrêté, au profit de la société Cema investissements, un plan de cession des actifs de la société Abbaye Saint Michel, de la société civile immobilière
X...
, de Mme X... et de Daniel X..., tous quatre placés en redressement judiciaire, la décision imposant que la signature des actes intervienne avant le 28 février 1995 ; que la vente du fonds de commerce a été régularisée par acte reçu le 1er février 1995 par Mme Y..., notaire ; que l'administration fiscale a notifié à Daniel X..., le 4 janvier 1996, un redressement fiscal remettant en cause l'exonération de la plus-value sur la cession du fonds de commerce ; que reprochant au notaire de ne pas avoir différé la signature de l'acte au 25 mars 1995, ce qui lui aurait permis de bénéficier de l'exonération litigieuse, Mme X... l'a assigné en responsabilité, lui réclamant, notamment, le montant du redressement fiscal ;
Sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour retenir la responsabilité professionnelle du notaire et le condamner à indemniser Mme X... du montant du redressement fiscal, l'arrêt, après avoir constaté que le fonds de commerce avait été mis en location-gérance le 25 mars 1990, énonce que si Mme Y... était certes tenue par les termes du jugement du tribunal de commerce, imposant que "la signature intervienne avant le 28 février 1995", il lui appartenait néanmoins d'avertir ses clients des conséquences de la passation d'un acte de cession avant le 25 mars 1995 et de leur suggérer toute initiative utile pour obtenir de passer l'acte à une date plus favorable ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'acte litigieux ayant été reçu par le notaire en exécution d'une décision de justice, la faute que lui imputait Mme X... ne pouvait être retenue à son encontre, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen et sur la seconde branche du second moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme Y... à payer à Mme X... la somme de 117 013,74 euros avec affectation spéciale de ce montant à l'apurement de la dette fiscale, l'arrêt rendu le 25 octobre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déboute Mme X... de sa demande en paiement au titre du redressement fiscal ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme X... à payer à Mme Y... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize janvier deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour Mme Y....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR écarté le moyen tiré de la prescription et confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait condamné Madame Y... à payer à Madame Z... veuve X... la somme de 117.013,74 € avec affectation spéciale de ce montant à l'apurement de la dette fiscale ;
AUX MOTIFS QUE « s'il est exact que l'assignation a été délivrée le 11 mai 2007 et que la notification de redressement originelle date du 4 janvier 1996, il n'en demeure pas moins que la réalité du préjudice induit par ce redressement n'a été définitivement connue et son montant arrêté que le 24 juin 1997, date du redressement arrêté après échec du recours amiable, de sorte que cette demande n'est pas prescrite » ;
ALORS QUE le délai de prescription de l'action en responsabilité délictuelle court à compter de la manifestation du dommage, laquelle est caractérisée dès que le principe du préjudice est révélé à la victime, peu important que son quantum ne soit pas définitivement fixé ; qu'en fixant le point de départ du délai de prescription au jour où le redressement dommageable avait été définitivement arrêté, et son montant fixé, sans rechercher si la première notification n'avait pas suffit à convaincre Madame Z... des conséquences fiscales dommageables de l'acte de cession du fonds de commerce, et donc d'un principe certain de préjudice, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2270-1 ancien du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait condamné Madame Y... à payer à Madame Z... veuve X... la somme de 117.013,74 € avec affectation spéciale de ce montant à l'apurement de la dette fiscale ;
AUX MOTIFS QUE « le redressement est intervenu du fait de plus-values réalisées à l'occasion de la cession du fonds de commerce en date du 1er février 1995 alors qu'il avait été mis en location-gérance le 25 mars 1990 ; que Mme Z... veuve X... impute à Mme Y... ce redressement du fait du choix de date qu'elle a fait pour recevoir l'acte au lieu d'attendre le 25 mars 1995 ; que dans le cadre de son devoir de conseil Mme Y..., qui, certes, était tenue par les dates imposées par le tribunal, les quatre jugements imposant que "la signature des actes intervienne avant le 28 février 1995, aurait dû avertir ses clients des conséquences de la passation d'un acte de cession avant l'expiration du délai pour encourir l'imposition des plus values et leur suggérer toute initiative utile pour obtenir de passer l'acte à une date plus favorable ; que ce manquement a eu pour conséquence le redressement en question ; que c'est donc à raison que le tribunal l'a condamnée de ce chef … ; que le jugement sera donc confirmé uniquement en ce qu'il a accordé à Mme Z... veuve X... 117 013,74 € avec affectation spéciale de ce montant à l'apurement de la dette fiscale … ;
1° ALORS QUE l'exécution d'une décision de justice ne constitue pas une faute ; qu'en imputant à faute au notaire d'avoir instrumenté un acte de cession avant l'expiration du délai permettant d'éviter l'imposition des plus-values, tout en constatant qu'il n'avait fait qu'exécuter une décision de justice imposant d'agir avant l'expiration dudit délai, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1382 du Code civil ;
2° ALORS QU'en toute hypothèse, la condamnation à la réparation d'un préjudice suppose l'établissement d'un lien de causalité certain entre la faute invoquée et le préjudice allégué ; qu'en condamnant le notaire à indemniser Madame Z... de la totalité du redressement fiscal dont elle avait fait l'objet sans établir qu'il était certain qu'en l'absence de la faute imputée au notaire Madame Z... aurait obtenu l'accord du Tribunal et du repreneur afin de conclure l'acte à une date lui permettant d'échapper à l'impôt redressé, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil.