Statuant sur le pourvoi formé par :
- L'association Anticor, partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 2e section, en date du 7 novembre 2011, qui, réformant l'ordonnance du juge d'instruction, a dit n'y avoir lieu à informer sur sa plainte, contre personne non dénommée, du chef d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 21 novembre 2012 où étaient présents : M. Louvel président, M. Rognon conseiller rapporteur, M. Dulin, Mmes Desgrange, Nocquet, Ract-Madoux, MM. Bayet, Bloch, Soulard conseillers de la chambre, Mmes Labrousse, Moreau conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Boccon-Gibod ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
Sur le rapport de M. le conseiller ROGNON, les observations de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN et THOUVENIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général BOCCON-GIBOD, l'avocat de la demanderesse ayant eu la parole en dernier ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 67 de la Constitution, 85, 86, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a infirmé l'ordonnance du juge d'instruction ayant dit y avoir lieu d'informer sur les faits dénoncés par la partie civile ;
" aux motifs qu'avant la réforme de 2007, les articles 67 et 68 de la Constitution concernaient exclusivement la Haute Cour de Justice, compétente pour les actes accomplis par le Président de la République dans l'exercice de ses fonctions, en cas de haute trahison ; que la notion d'inviolabilité du Président de la République qui n'avait pas été envisagée, a été dégagée par l'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 10 octobre 2001 ; que, pour le juge d'instruction et la partie civile, l'immunité définie par l'article 67 de la Constitution, est strictement limitée à la personne du chef de l'Etat alors que pour le ministère public, cette immunité est attachée à la fonction présidentielle et doit prendre en compte l'intervention possible de proches collaborateurs ; que l'article 67 comporte deux alinéas ; que le premier alinéa institue une « irresponsabilité » totale et définitive pour les actes accomplis par le Président de la République en cette qualité ; que le deuxième alinéa organise " l'inviolabilité " de la personne du chef de l'Etat qui est limitée dans le temps et qui interdit que le Président de la République soit requis de témoigner ou fasse l'objet d'une action, d'un acte d'information ou de poursuite, devant toute juridiction ou autorité administrative française ; que la loi constitutionnelle du 23 février 2007 visant à séparer les procédures pénale et politique susceptibles de concerner le Président de la République, s'inspire directement des travaux de la commission présidée par M.
Y...
, dont le professeur de droit public M. Z..., cité par la partie civile dans son mémoire, était membre ; que la commission Y..., dans son rapport remis le 12 décembre 2002 au Président de la République, a expliqué sa démarche qui s'est développée en quatre étapes à savoir la nécessité d'une protection spécifique, qui soit proportionnée aux exigences de la fonction, qui évite de confondre la logique judiciaire et la logique politique et qui soit compatible avec les obligations internationales de la France ; que la commission Y... a mis en avant la continuité de l'Etat et la séparation des pouvoirs, en se situant dans une perspective historique, rappelant en particulier la rédaction ambiguë de l'article 68 de la Constitution alors applicable qui a conduit à l'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 10 octobre 2001 concluant " qu'étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat, le Président de la République bénéficie en matière pénale et durant son mandat de l'inviolabilité qu'exige l'exercice de ce mandat " ; que la commission Y... a estimé que le Président de la République devait être soustrait aux intimidations ou pressions qui s'exerceraient sur sa personne ainsi qu'aux mesures coercitives qui l'empêcheraient de remplir sa fonction, et a préconisé la suspension des procédures de droit commun, ajoutant " que l'irresponsabilité pour les actes du mandat est permanente et absolue, alors que la dérogation au droit commun que constitue l'inviolabilité n'est que temporaire et relative » ; que le fondement des immunités attribuées au Président de la République n'est pas contestable mais que la protection n'est pas absolue ni générale ; que la commission Y... a dégagé deux situations différentes ; que la première concerne les actes du chef de l'Etat accomplis en cette qualité qui est traditionnelle et quasi-absolue et ne doit pas se limiter au champ pénal ; que la seconde situation concerne tous les autres actes, ceux qui peuvent être détachés des fonctions, soit parce qu'ils lui sont antérieurs, soit parce qu'ils lui sont extérieurs ; que la frontière n'est pas toujours aisément tracée dans la réalité ; que cette inviolabilité, contrairement à l'irresponsabilité, n'est pas absolue et se trouve limitée à la durée du mandat, que l'inviolabilité exclut expressément toute action, quels qu'en soient l'objet ou la finalité, devant toute juridiction, quelle qu'en soit la nature ; que cette inviolabilité ne concerne que les autorités françaises afin que la Cour pénale internationale en demeure exclue ; qu'enfin la commission Y... a estimé que la protection devait être élevée sans être infranchissable, par la mise en place d'une procédure exceptionnelle, exigeante et solennelle, d'une " soupape de sûreté " de nature politique qui donne au seul Parlement siégeant en Haute Cour, le pouvoir d'apprécier le comportement du Président de la République et de prononcer sa destitution ; que ces principes ci-dessus résumés et adoptés d'abord par le Président de la République puis par le Congrès, sont à l'origine des deux alinéas de l'article 67 et de l'article 68 qui renforcent la protection du chef de l'Etat par rapport à ce qui a été retenu le 10 octobre 2001 par l'assemblée plénière de la Cour de cassation ; que la protection ainsi définie du chef de l'Etat, ne peut pas s'étendre à l'ensemble des actes et faits commis par les services et personnels de la Présidence de la République ; que, pour déterminer si le juge d'instruction peut procéder constitutionnellement à des investigations en l'espèce, il convient d'analyser la convention litigieuse pour déterminer si celle-ci a été prise au nom de la Présidence de la République ; que la convention a été signée le 1er juin 2007 d'une part, au nom de la Présidence de la République, par la directrice de cabinet du Président de la République et non par un employé d'un service administratif ou périphérique de l'Elysée, et, d'autre part, par M. A...au nom de la société Publifact, lequel était également un proche conseiller du chef de l'Etat pour les affaires politiques ; que la convention imposait à M. A...de rendre compte, « sous forme verbale ou écrite, au seul Président de la République » et que les sondages portaient sur des thèmes politiques en lien direct avec les décisions que le Président de la République avait prises ou devait prendre ; qu'il apparaît ainsi que le contrat litigieux est susceptible d'avoir été signé à la demande ou, à tout le moins, avec l'accord du chef de l'Etat et pour les besoins de son action politique ; que l'ouverture d'une information judiciaire aurait pour conséquence de permettre à un juge d'instruction qui tient de l'article 81 du code de procédure pénale, le droit de procéder à tous les actes utiles à la manifestation de la vérité, de réaliser éventuellement une perquisition au cabinet du Président de la République pour saisir les archives concernant la signature et l'exécution du contrat du 1er juin 2007, ainsi que des auditions qui auraient pour but d'établir si le contrat a été conclu et exécuté à l'initiative exclusive de Mme B...ou à la demande personnelle du Président de la République, ce qui reviendrait à ce que ce dernier « fasse l'objet d'une action, d'un acte d'information ou de poursuite » mettant en cause ou atteignant la personne du chef de l'Etat, ce qui conduirait à porter atteinte au principe constitutionnel de l'inviolabilité du Président de la République ; que la volonté de la partie civile et du juge d'instruction d'établir si la décision prise au nom du chef de l'Etat, l'a été sur son ordre ou à sa demande, d'identifier la chaîne décisionnelle et l'identification des responsabilités, conduirait à exercer une action ou à réaliser des actes d'information pouvant mettre en cause la responsabilité du chef de l'Etat ; que l'inviolabilité prévue au deuxième alinéa de l'article 67 de la Constitution, doit permettre au Président de la République de mener sa mission avec la sérénité nécessaire, ce qui ne serait pas le cas si ses collaborateurs proches pouvaient être l'objet d'investigations sur des actes liés directement aux actions du chef de l'Etat ;
" 1/ alors qu'en ce qu'il pose une exception aux principes à valeur constitutionnelle de responsabilité et d'égalité devant la loi, l'article 67 de la Constitution qui confère une immunité au Président de la République ne peut être mis en oeuvre au bénéfice d'autres personnes ; que la chambre de l'instruction a fait une fausse application de ce texte en en étendant le bénéfice aux proches collaborateurs du Président de la République ;
" 2/ alors que la règle de l'irresponsabilité inscrite à l'alinéa 1 de l'article 67 de la Constitution vise les seuls actes accomplis par le Président de la République en cette qualité et celle de l'inviolabilité du Président de la République instituée par son alinéa 2 les seuls actes détachables de cette fonction, soit parce qu'ils lui sont antérieurs, soit parce qu'ils lui sont extérieurs ; que la chambre de l'instruction ne pouvait donc mettre en oeuvre la règle de l'inviolabilité qui ne concerne pas les actes accomplis au nom de la Présidence de la République pour les besoins de l'action politique du chef de l'Etat ;
" 3/ alors qu'il peut être apporté au principe de responsabilité des exclusions pour un motif d'intérêt général et à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif ; qu'il en découle l'obligation pour le juge d'instruction de rechercher si l'infraction a été commise par des personnes autres que le Président de la République, en veillant constamment à ne pas mettre en cause sa responsabilité et à ne pas accomplir à son encontre des actes d'information ; que la chambre de l'instruction se devait de procéder dans ces conditions aux investigations nécessaires à l'identification des auteurs et éventuels complices ;
" 4/ alors que tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ; qu'en présupposant que le contrat litigieux était susceptible d'avoir été signé à la demande ou, à tout le moins, avec l'accord du chef de l'Etat et pour les besoins de son action politique, la chambre de l'instruction a présumé le Président de la République complice du délit de favoritisme en méconnaissance de la présomption d'innocence ;
" 5/ alors qu'un motif hypothétique motifs équivaut à leur absence ; que la chambre d'instruction ne pouvait baser sa décision sur l'hypothèse selon laquelle la convention litigieuse était susceptible d'avoir été signée à la demande ou, à tout le moins, avec l'accord du chef de l'Etat et pour les besoins de son action politique et que l'ouverture d'une information judiciaire pourrait requérir d'accomplir des actes d'information sur la personne du Président de la République " ;
Sur deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 67 de la Constitution, 85, 86, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a infirmé l'ordonnance du juge d'instruction ayant dit y avoir lieu d'informer sur les faits dénoncés par la partie civile ;
" aux motifs qu'enfin la plainte avec constitution de partie civile visait exclusivement le délit de favoritisme ; que le recel de ce délit qui est une infraction autonome n'entre pas dans la saisine de la chambre de l'instruction ;
" alors que le juge d'instruction est tenu d'examiner les faits qui lui sont dénoncés par la prévention sous toutes les qualifications possibles, sans être tenu par celle retenue par le parquet ou la plainte avec constitution de partie civile ; que la chambre de l'instruction, saisie des faits résultant de la conclusion entre le directeur du cabinet du Président de la République et la société Publifact dirigée par M. A...d'une convention de prestation de services portant sur des études et des sondages réalisés pour le compte de la présidence de la République ainsi que de l'inutilité des dépenses y afférentes ne pouvait refuser d'examiner si les faits dont elle était saisie étaient constitutifs d'un recel de délit de favoritisme " ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 67 de la Constitution, 85, 86, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué s'est bornée à infirmer purement et simplement l'ordonnance du juge d'instruction ayant dit y avoir lieu d'informer sur les faits dénoncés par la partie civile ;
" aux motifs que l'ordonnance entreprise est infirmée, la cour estimant qu'il n'y a lieu à informer ;
" alors que l'inviolabilité inscrite à l'alinéa 2 de l'article 67 de la Constitution a un caractère temporaire, en ce sens que les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre le Président de la République à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions ; que la chambre de l'instruction ne pouvait purement et simplement infirmer l'ordonnance ayant dit y avoir lieu d'informer sur les faits dénoncés par la partie civile, sans préciser que cette mesure prenait fin à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions de M. C..." ;
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles 593, 51, 80 et 86 du code de procédure pénale ;
Attendu que, d ‘ une part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, d'autre part, les juridictions d'instruction qualifient librement les faits dont elles sont saisies et au regard desquels elles ont l'obligation d'informer ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que l'association Anticor a porté plainte et s'est constituée partie civile, contre personne non dénommée, du chef de favoritisme, contestant la légalité d'une convention de prestation de services signée le 1er juin 2007 par Mme B..., directeur de cabinet du Président de la République, et la société Publifact, dirigée par M. A...; que cette plainte s'appuie sur le contenu d'un rapport public de la Cour des comptes du 15 juillet 2009, relatif au contrôle des comptes et de la gestion de la présidence de la République ;
Attendu que, pour réformer l'ordonnance du juge d'instruction écartant les réquisitions du procureur de la République tendant à l'irrecevabilité de toute poursuite des faits dénoncés en raison du statut pénal du chef de l'État, et dire n'y avoir lieu à informer, l'arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, en l'absence de tout acte d'instruction, par des motifs hypothétiques et inopérants, alors que, d'une part, aucune disposition constitutionnelle, légale ou conventionnelle ne prévoit l'immunité ou l'irresponsabilité pénale des membres du cabinet du Président de la République, d'autre part, le juge d'instruction a l'obligation d'informer sur tous les faits résultant de la plainte et des pièces y analysées, sous toutes leurs qualifications possibles, sans s'en tenir à celle proposée par la partie civile, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 7 novembre 2011 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE le retour du dossier au juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris, afin d'informer ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
DÉCLARE IRRECEVABLE la demande faite par l'association Anticor au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf décembre deux mille douze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;