LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :
Vu l'article L. 321-13 du code rural ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Julien X... et son épouse, Philomène Y... décédés respectivement en 2007 et 1994 ont laissé pour leur succéder leurs deux enfants Odile X..., épouse Y..., et Elie X... ; que Mme Y... a saisi le tribunal de grande instance aux fins notamment de voir ordonner les opérations de comptes, liquidation, partage des successions de ses parents et pour réclamer le paiement d'un salaire différé ;
Attendu que, pour accorder à l'intéressée une créance de salaire différé, la cour d'appel retient qu'elle justifie, à la fois, avoir été inscrite comme aide familiale après l'âge de 18 ans et avoir effectué durant cette période des travaux agricoles sur la ferme de ses parents, que la donation du 2 mai 1979 portant sur une parcelle de terre d'une valeur de 15 000 francs ne peut être considérée comme une rémunération de son travail dès lors qu'elle a versé une soulte de 7 500 francs à son frère et que la preuve qu'elle ait payé le prix du cheptel et du matériel nécessaires à l'exploitation agricole et laissés à sa disposition par ses parents en 1987 n'est pas rapportée par un versement de 22 867, 35 euros effectué 18 ans plus tard par virement de son compte à celui de son père ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher comme il le lui était demandé, si Mme Y... n'avait pas obtenu paiement au moins partiel de sa créance de salaire différé par la mise à disposition, en 1987, par ses parents du cheptel et du matériel nécessaires à l'exploitation agricole, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que Mme Y... peut prétendre au paiement d'un salaire différé à compter du 15 février 1965 et sur une durée maximum de dix années, l'arrêt rendu le 7 juin 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas, avocat aux Conseils, pour M. X....
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, dit qu'Odile X...- Y... peut prétendre au paiement d'un salaire différé à compter du 15 février 1965 et sur une durée maximum de dix années, lequel sera calculé conformément à l'article L 321-13 du Code rural, dit qu'à défaut pour cette dernière de justifier avoir payé à ses parents la valeur du cheptel et du matériel mis à sa disposition lors de la reprise de l'exploitation agricole, cette valeur viendra en déduction de la somme qui lui est due à titre de salaire différé et débouté Elie X... de sa demande de créance de salaire différé,
AUX MOTIFS QUE, sur les créances de salaire différé, il appartient au descendant d'un exploitant agricole qui soutient avoir participé après l'âge de 18 ans directement et effectivement à l'exploitation, sans être associé aux bénéfices ni aux pertes ni avoir perçu un salaire en argent en contrepartie de sa collaboration et qui demande ainsi qu'il soit pris en compte pour la détermination de sa part successorale, de rapporter la preuve qu'il a durant la période de participation invoquée effectué des travaux agricoles sans être rémunéré ; que les pièces communiquées par Elie X... concernent son apprentissage et sa formation agricole en alternance avant ses dix-huit ans ; que la seule période qui peut être prise en considération est celle postérieure à la 18ème année ; que la seule pièce produite par Elie X... est le relevé MSA mentionné ci-dessus qui ne permet pas de rapporter la preuve des travaux auxquelles il aurait participé sur l'exploitation sans recevoir une rémunération et son absence d'association aux bénéfices ou aux pertes ; qu'en revanche Odile X... épouse Y... justifie à la fois avoir été inscrite comme aide familiale après l'âge de 18 ans et avoir effectué durant cette période des travaux agricoles sur la ferme de ses parents ; que la donation du 2 mai 1979 portant sur une parcelle de terre d'une valeur de 15 000 francs ne peut être considérée comme une rémunération de son travail dès lors qu'elle a versé une soulte de 7 500 francs à son frère Elie ; que cependant la preuve qu'elle ait payé le prix du cheptel et du matériel nécessaires à l'exploitation agricole et laissé à sa disposition par ses parents en 1987 n'est pas rapportée par un versement de 22 867, 35 C effectué 18 ans plus tard par virement de son compte à celui de son père ; qu'il lui appartiendra de justifier devant le notaire liquidateur que ce paiement a servi à payer le matériel et le cheptel et non un arriéré de fermages, est demeuré sur les comptes bancaires de son père ou au contraire a été ré-employé ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, sur les demandes de créance de salaire différé, Odile X...- Y... sollicite que lui soit reconnu un droit à créance de salaire différé pour avoir participé sans rémunération aucune à l'exploitation agricole de ses deux parents. Sa demande porte sur une durée de dix années maximum prévue par l'article 321-17 alinéa 3 du code rural ; qu'en application de l'article L 321-13 du code rural c'est à compter de l'âge de dix-huit ans que la demanderesse peut prétendre obtenir paiement de sa créance de salaire différé soit à compter du 15 février 1965 ; que pour justifier sa demande Odile X...- Y... a versé aux débats non seulement une attestation de la MSA en date du 18 décembre 1986 dans laquelle il est indiqué qu'elle a été inscrite en qualité d'aide familiale du 1er janvier 1964 jusqu'au 15 février 1968 et du 16 février 1968 au 29 novembre 1969, époque de son mariage, mais également de nombreuses attestations de voisins dont certaines particulièrement circonstanciées en temps précisent que c'est bien jusqu'à l'année 1987 que la demanderesse a assisté ses parents dans l'exploitation de la ferme (attestations Z...- Y...- A...- B...) ; que pour s'opposer à la demande de sa soeur Elie X... prétend que celle-ci aurait reçu la rémunération de son travail par le bais de la donation qui lui a été consentie par leur parents le 2 mai 1979 ainsi qu'en recevant sans bourse déliée le cheptel et le matériel agricole de l'exploitation lorsque le bail des terres lui a été consenti en 1987 ; que l'examen de l'acte de donation partage en date du 2 mai 1979 démontre qu'Odile X...- Y..., en recevant de ses parents une parcelle de terre sis au lieudit ... d'une valeur de 15 000, 00 francs, a versé à titre de soulte à son frère Elie une somme de 7 500, 00 francs. Ce dernier ne peut donc prétendre que cette donation constitue un mode paiement du salaire différé auquel Odile X...- Y... était en droit de prétendre ; qu'en revanche, il est démontré et au demeurant non contesté par la demanderesse que, lorsque celle-ci a pris à bail l'exploitation agricole de ses parents, le cheptel et le matériel nécessaire à cette exploitation ont été laissés à sa disposition ; que dans un manuscrit porté sur deux pages d'agenda dont il n'est pas contesté par Odile X...- Y... qu'il soit de la main de son père, celui-ci avait évalué à la somme de 28. 015. 000 francs la valeur de ces biens. Il faut considérer que cette évaluation était faite en anciens francs de sorte qu'il s'agit en réalité de 280. 015 francs. Pour prétendre s'être acquittée de la dette qui était sienne à l'égard de ses parents la demanderesse a versé aux débats un bordereau de virement de son compte à celui de Julien X... d'une somme de 22. 867, 35 € soit 149. 999, 98 francs en date du 30 mars 2005 ; qu'outre le fait qu'il faut s'étonner que ce paiement n'ait été fait que dix-huit ans après la prise à bail de l'exploitation, la justification de l'existence de ce virement est insuffisante à rapporter la preuve du paiement fait par Odile X...- Y... de la valeur du cheptel et du matériel cédés par ses parents ; qu'il lui appartiendra donc de justifier devant le notaire liquidateur que ce paiement a été effectif ce qui sera possible à l'examen du compte de Julien X... et quelle en était la cause ; qu'à défaut la valeur du cheptel et du matériel mis à disposition d'Odile X...- Y... viendra en déduction de la somme qui lui est due à titre de salaire différé ; qu'Elie X... a également sollicité que lui soit reconnu le droit à perception d'une créance de salaire différé pour l'aide qu'il aurait apportée à l'exploitation familiale pendant six années de 1968 à 1973 ; que cette demande est contestée par Odile X...- Y... ; que pour justifier son droit, Elie X... n'a versé aux débats que le relevé MSA de ses droits à retraite ; que ce document, établi sur la seule déclaration de l'exploitant, est insuffisant à établir la réalité de l'affirmation d'Elie X...,
ALORS QU'est réputé bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé, le descendant d'un exploitant agricole qui, âgé de plus de 18 ans, participe directement et effectivement à l'exploitation, sans être associé aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoit pas de salaire en argent en contrepartie de sa collaboration ; qu'en jugeant que Madame Odile Y... était fondée à se prétendre bénéficiaire envers la succession des époux X...- Y... d'une créance de salaire différé à compter du 15 février 1965, date de ses dix-huit ans, et pour une durée de dix années, au motif qu'elle avait participé à l'exploitation de ses parents, sans relever, par motifs propres ou adoptés, que Madame Odile Y..., à qui incombait la charge de la preuve, démontrait l'absence corrélative de toute rémunération, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-13 du Code rural, ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE c'est à celui qui revendique le bénéfice d'une créance de salaire différé qu'il appartient de rapporter la preuve, d'une part, qu'il a participé aux travaux agricoles de manière effective et non occasionnelle, et d'autre part, qu'il n'a été ni rémunéré, ni associé aux bénéfices ; que dès lors en retenant, par motifs adoptés des premiers juges, que Monsieur Elie X... ne pouvait valablement s'opposer à la demande de sa soeur en prétendant que celle-ci avait reçu la rémunération de son travail par le biais de la donation qui lui a été consentie par leurs parents le 2 mais 1979 ainsi qu'en recevant le cheptel et le matériel agricole de l'exploitation lorsque le bail des terres lui a été consenti en 1987, la Cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé ce faisant les articles 1315 du Code civil et L 323-13 du Code rural,
ALORS, ENCORE, QUE lorsque l'omission de statuer est volontaire, elle traduit une méconnaissance délibérée des limites du litige, qui constitue un déni de justice ; qu'en refusant volontairement de trancher le point de savoir si Madame Y... n'avait pas bénéficié d'une donation à l'occasion de la reprise de la ferme le 1er janvier 1987 pouvant constituer le désintéressement de sa créance de salaire différé du vivant des débiteurs, après avoir pourtant souverainement constaté qu'elle ne rapportait pas la preuve d'un paiement à ces derniers des éléments matérielles de l'exploitation familiale (matériel et cheptel vif), la Cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile,
ALORS, ENFIN, QUE la volonté des parents de régler de leur vivant la créance de salaire différé peut résulter d'une dation en paiement (transfert de matériel, de cheptel ou de terres) ou d'une vente de l'exploitation pour un prix minoré ; qu'en omettant de rechercher, ainsi que Monsieur X... le lui demandait dans ses écritures d'appel (p. 5), si la donation du cheptel et du matériel ayant profité à Madame Y... au moment de son installation en 1987 ne constituait pas précisément le paiement de la créance de salaire différé éventuellement due, nécessitant donc de se placer à cette date pour vérifier si cette créance avait été complètement payée par son débiteur, la Cour d'appel a, derechef, privé sa décision de base légale au regard de l'article L 321-13 du Code rural.