LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 29 juin 2011), rendu après cassation (3e Civ., 3 octobre 2007, pourvois n° 05-22.031 et 06-12.478), que, par acte du 6 juillet 1994, la société Cora, propriétaire d'un local commercial donné à bail à la société Distrifood, a délivré à celle-ci un commandement, visant la clause résolutoire, pour obtenir le paiement d'un arriéré de loyers ; que, par ordonnance du 22 novembre 1994, le juge des référés a, sur assignation de la société Distrifood, suspendu les effets de ce commandement, à charge pour la locataire de reprendre immédiatement le paiement des loyers et d'apurer l'arriéré ; que, par une nouvelle ordonnance du 16 mai 1995, le juge des référés a constaté que la société Distrifood n'avait pas respecté son engagement et que le commandement de payer avait repris ses effets ; que, le 9 avril 2002, la société Distrifood a assigné la société Cora pour faire juger que le commandement était privé d'effet et que la clause résolutoire n'était pas acquise ; que la société Gelied, qui avait inscrit, les 18 avril 1995 et 28 avril 2000, un nantissement sur le fonds de commerce de la société Distrifood, est intervenue à l'instance pour faire valoir ses droits de créancier nanti ; que, par arrêt du 18 octobre 2005, la cour d'appel de Nancy a constaté la résiliation du bail et déclaré ce nantissement inopposable à la société Cora ; que, par arrêt du 3 octobre 2007, la Cour de cassation a cassé cet arrêt uniquement en ce qu'il avait déclaré le nantissement inopposable à la société Cora ; que la société Gelied, après avoir consigné le montant des loyers impayés, a sollicité la poursuite du bail commercial ;
Attendu que pour accueillir cette demande, l'arrêt retient qu'en raison du caractère indivisible du bail, le paiement des causes du commandement par la société Gelied, créancier inscrit, entraîne la poursuite du bail liant la société Distrifood à la société Cora ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, par arrêt du 3 octobre 2007, la Cour de cassation a définitivement rejeté les pourvois de la société Distrifood et de la société Gelied faisant grief à l'arrêt du 18 octobre 2005 de constater la résiliation du bail, de sorte que cette résiliation est devenue irrévocable et que l'intervention de la société Gelied, en qualité de créancier inscrit, ne peut donner lieu, le cas échéant, qu'à des dommages-intérêts, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 juin 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy, autrement composée ;
Condamne la société Distrifood et la société Gelied aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Distrifood et la société Gelied à payer à la société Cora la somme globale de 2 500 euros ; rejette la demande de la société Distrifood et de la société Gelied ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Roger et Sevaux, avocat aux Conseils, pour la société Cora.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que, du fait du paiement effectué par la société Gelied, la clause résolutoire visée au commandement du 6 juillet 1994 ne joue pas et que le bail n'est pas résilié, d'avoir dit qu'en raison de l'indivisibilité du bail, le bail entre la société Distrifood et la société Cora se poursuit ;
Aux motifs que, sur la portée de l'arrêt de cassation, la Cour de Cassation dans son arrêt en date du 3 octobre 2007, a cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Nancy du 18 octobre 2005, mais seulement en ce qu'il a déclaré inopposable à la société Cora le nantissement sur fonds de commerce inscrit par la société Gelied le 18 avril 1995 et renouvelé le 28 avril 2000 ; que les autres dispositions de l'arrêt de la Cour d'appel de Nancy sont donc devenues définitives ; que l'arrêt de la Cour d'appel de Nancy a donc définitivement jugé que l'intervention de la société Gelied était recevable et, en confirmant le jugement du Tribunal de commerce de Saint-Dié, a définitivement constaté la résiliation du bail du 12 novembre 1993 intervenue entre la société Cora et la société Distrifood et a rejeté la demande d'indemnité présentée par la société Distrifood ; qu'il suit que la question de la validité du commandement de payer en date du 6 juillet 2004 a été définitivement jugée et ne peut plus être remise en cause dans la présente instance ; que pareillement la constatation de la résiliation du bail entre la société Cora et la société Distrifood ne peut plus être discutée en raison de l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux dispositions de l'arrêt de la Cour d'appel qui n'ont pas été touchées par l'arrêt de cassation ; qu'en conséquence la société Distrifood n'est pas recevable à contester le jugement du 7 janvier 2005 et l'arrêt du 18 octobre 2005 en ce qu'ils ont constaté la résiliation du bail, que ce soit en considération de l'ordonnance du 16 mai 1995 ou de l'instance initiée le 19 septembre 1995 ; que, sur l'offre de paiement des causes du commandement, la société Gelied demande à la Cour de prendre acte que l'arrêt de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Nancy du 18 octobre 2005 en ce qu'il a déclaré inopposable à la société Cora les nantissements sur le fonds de commerce inscrits par elle le 18 avril 1995 et le 28 avril 2000 ; qu'elle fait valoir que ces nantissements ont été pris en garantie de créances qu'elle avait sur la société Distrifood et que leur validité ne peut pas être contestée ; que la société Gelied verse au dossier des pièces tendant à établir la réalité des créances qu'elle a contre la société Distrifood ; qu'elle produit notamment les attestations de la société Figelor, expert-comptable de la société Distrifood, et de Monsieur X..., expert-comptable de la société Gelied, établissant que la société Gelied est toujours créancière de la société Distrifood des sommes de 28.050,52 euros et de 647.562,60 euros ; qu'elle verse également les nantissements qu'elle a fait inscrire en garantie du paiement de ces sommes ; que, pour prétendre que ces nantissements ont été pris en fraude de ses droits, la société Cora expose que la convention du 1er mars 1995 entre les sociétés Gelied et Distrifood ne prévoit aucune sûreté, la société Distrifood s'étant interdite d'inscrire un nantissement sur son fonds dans la convention avec la BNP, et que la créance de la société Gelied est remboursée depuis longtemps ; mais qu'il résulte de l'examen des pièces versées aux débats par la société Gelied que la preuve n'est pas rapportée de l'absence de créance de cette société sur la société Distrifood et de la fraude de la société Gelied lors de l'inscription de ses nantissements ; qu'au contraire ces pièces produites, qui sont visées dans les conclusions de la société Gelied, démontrent la réalité de ces créances garanties par les nantissements ; qu'en conséquence il convient de dire que les nantissements inscrits par la société Gelied sur le fonds de commerce de la société Distrifood sont opposables à la société Cora ; que l'article L. 143-2 du Code de commerce dispose que le propriétaire qui poursuit la résiliation du bail de l'immeuble dans lequel s'exploite un fonds de commerce grevé d'inscriptions doit notifier sa demande aux créanciers antérieurement inscrits au domicile élu par eux dans leurs inscriptions et que le jugement ne peut intervenir qu'après un mois écoulé depuis sa notification ; que la société Cora ne peut pas prétendre que cet article serait inapplicable à la société Gelied au motif que l'instance a été introduite par la société Distrifood et non par le bailleur, dès lors que la société Cora a formulé en cours d'instance une demande en résiliation du bail ; qu'en l'espèce la société Cora a signifié le 20 octobre 1995 à la société Gelied l'assignation qu'elle a fait délivrer à la société Distrifood le 19 septembre 1995 pour l'audience du 17 octobre 1995 aux fins de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail ; qu'elle prétend que, dans la mesure où la société Gelied n'a pas réglé les causes du commandement dans le délai de un mois, elle n'est pas fondée à offrir ce paiement ultérieurement ; que la société Gelied fait notamment valoir, pour s'opposer aux prétentions de la société Cora, que l'instance initiée par l'assignation du 19 septembre 1995 est périmée, puisqu'aucune diligence n'a été effectuée postérieurement à l'ordonnance de radiation intervenue le 9 janvier 1998 ; qu'elle prétend en outre que la notification qui lui est parvenue le 20 octobre 1995 pour l'audience du 17 octobre 1995 est irrégulière, puisqu'elle ne lui permettait pas d'intervenir utilement à l'instance pour faire valoir ses droits ; qu'en effet cette instance n'a pas été menée à son terme, puisqu'une ordonnance de radiation est intervenue le 9 janvier 1996, et qu'aucune diligence n'a depuis été effectuée, de sorte qu'elle est atteinte par la péremption ; qu'il suit que la société Cora ne peut pas se prévaloir de cet acte à l'appui de ses prétentions par application des dispositions de l'article 389 du Code de procédure civile ; que le fait que la société Gelied a pu être informée du commandement du 6 juillet 1994 et des instances ultérieures ne dispensait pas la société Cora de notifier sa demande en résiliation du bail conformément aux dispositions de l'article L. 143-2 du Code de commerce ; que la société Cora fait en outre valoir que, dans la mesure où la société Gelied est intervenue à l'instance qui a constaté la résiliation du bail, celle-ci ne peut plus remettre en cause cette résiliation en offrant de payer la dette de loyer du locataire, sans porter atteinte à l'autorité de la chose jugée ; qu'il apparaît des pièces du dossier que la société Gelied est intervenue devant le Tribunal de commerce de Saint-Dié par conclusions du 30 octobre 2003 et a offert de payer les causes du commandement en vue de faire suspendre les effets de la clause résolutoire en consignant les sommes entre les mains de son avoué à la Cour ; que la société Cora a contesté la qualité de la société Gelied de créancier antérieurement inscrit et son obligation de lui notifier la demande de résiliation conformément aux dispositions de l'article L. 143-2 du Code de commerce ; que dès lors, en raison du litige portant sur l'opposabilité du nantissement inscrit par la société Gelied à la société Cora, l'intervention à l'instance de la société Gelied n'a pas entraîné notification de la demande de résiliation au sens de cet article ; que le fait que la résiliation du bail liant la société Distrifood et la société Cora est devenue définitive ne prive pas la société Gelied des droits qu'il tient de l'article L. 143-2 du Code de commerce en sa qualité de créancier inscrit ; que la société Gelied démontre qu'elle a effectué le 15 novembre 2007 un virement à la société Cora d'un montant égal aux sommes visées dans le commandement de payer ; que, ce chèque ayant été restitué par la société Cora, elle a fait des offres réelles de payement le 4 février 2008 et a fait consigner le 5 février 2008 les sommes litigieuses à la Caisse des Dépôts et Consignations ; qu'il suit que la société Gelied a réglé les causes du commandement de payer délivré le 6 juillet 1994 ; que dès lors, elle s'est substituée à la société Distrifood, de sorte qu'en application des dispositions de l'article L. 145-41 du Code de commerce, la réalisation et les effets de la clause résolutoire sont suspendus et, en raison du paiement dans le délai légal, la clause est censée n'avoir pas joué et le bail se poursuit ; que cette offre de paiement, intervenue postérieurement à l'arrêt du 3 octobre 2007 de la Cour de cassation constitue un élément nouveau qui conduit à examiner l'incidence du maintien du bail pour la société Gelied, créancier inscrit, sur le bail liant la société Distrifood à la société Cora ; qu'en raison du caractère indivisible du bail, le paiement des causes du commandement par la société Gelied, créancier inscrit, entraîne la poursuite du bail liant la société Cora et la société Distrifood ;
Alors, de première part, que doit être cassée la décision par laquelle la juridiction de renvoi statue sur une question ayant été définitivement tranchée par la décision partiellement cassée, comme ayant fait l'objet d'un moyen rejeté par l'arrêt de cassation, peu important que les chefs de dispositif concernés soient liés par un lien d'indivisibilité ou de dépendance ; qu'en l'espèce, dès lors que la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel seulement en ce qu'il avait déclaré inopposable à la société Cora le nantissement sur fonds de commerce inscrit par la société Gelied, mais rejeté les moyens des sociétés Distrifood et Gelied qui reprochaient à la Cour d'appel d'avoir constaté la résiliation du bail consenti par la société Cora à la société Distrifood, la Cour d'appel de renvoi, qui a estimé que du fait du paiement effectué par la société Gelied, qui s'est substituée à la société Distrifood, la clause résolutoire visée par le commandement de payer le loyer ne joue pas, que le bail n'est pas résilié et qu'en raison de son indivisibilité il se poursuit, s'est prononcée sur une question qui avait déjà été définitivement tranchée par la Cour de cassation, méconnaissant ainsi l'autorité de la chose jugée en violation des articles 1351 du Code civil et 480 du Code de procédure civile ;
Alors, de deuxième part, que la société Gelied ne pouvait se prévaloir, pour remettre en cause la chose ainsi définitivement jugée, y compris à son égard, quant à la résiliation du bail, d'offres de paiement faites postérieurement à l'arrêt de la Cour de cassation et donc à l'arrêt de la Cour de Nancy du 18 octobre 2005, quand il lui appartenait d'y procéder et de s'en prévaloir dans l'instance ayant donné lieu à ce dernier arrêt ; qu'en se prévalant d'une telle circonstance pour faire échec à la chose jugée par cet arrêt, la Cour d'appel a violé les articles 1351 du Code civil et 480 du Code de procédure civile ;
Alors, de troisième part, que les juges du fond doivent désigner les pièces soumises au débat contradictoire sur lesquels ils s'appuient et ne peuvent se borner à viser les pièces versées aux débats sans les analyser ; que, pour dire que les nantissements inscrits par la société Gelied sur le fonds de commerce de la société Distrifood étaient opposables à la société Cora, la Cour d'appel, qui s'est bornée à relever, d'abord, qu'il résultait de l'examen des pièces versées aux débats par la société Gelied que la preuve n'était pas rapportée de l'absence de créance de cette société sur la société Distrifood et, ensuite, qu'au contraire ces pièces, visées dans les conclusions de la société Gelied, démontraient la réalité des créances garanties, n'a ni désigné ni analysé les pièces sur lesquelles elle se fondait, alors que ces points étaient longuement discutés par la société Cora dans ses écritures, entachant ainsi son arrêt d'un défaut de motif et méconnaissant les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Alors, de quatrième part, que, de même, pour dire que les nantissements inscrits par la société Gelied sur le fonds de commerce de la société Distrifood étaient opposables à la société Cora, la Cour d'appel, qui s'est bornée à relever qu'il résultait de l'examen des pièces versées aux débats par la société Gelied que la preuve n'était pas rapportée de la fraude de la société Gelied lors de l'inscription de ses nantissements, n'a ni désigné ni analysé les pièces sur lesquelles elle se fondait, alors que ce point était longuement discuté par la société Cora dans ses écritures, entachant ainsi son arrêt d'un défaut de motif et méconnaissant les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile.