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19/12/2012 | FRANCE | N°11-23566

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 19 décembre 2012, 11-23566


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 juin 2011), qu'invoquant les risques sanitaires liés à l'installation d'une antenne-relais sur la propriété des époux X... par la Société française de radiotéléphone (SFR) et se prévalant du principe de précaution, les époux Y..., Mme A... et M. B..., habitant à proximité, ont assigné les époux X... et la société SFR pour qu'ils soient condamnés, sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, à enlever ces installations et à payer

des dommages-intérêts en réparation du préjudice constitué par leur résistance...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 juin 2011), qu'invoquant les risques sanitaires liés à l'installation d'une antenne-relais sur la propriété des époux X... par la Société française de radiotéléphone (SFR) et se prévalant du principe de précaution, les époux Y..., Mme A... et M. B..., habitant à proximité, ont assigné les époux X... et la société SFR pour qu'ils soient condamnés, sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, à enlever ces installations et à payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice constitué par leur résistance abusive ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :
Vu l'article 92 du code de procédure civile, ensemble l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Attendu que pour dire n'y avoir lieu à soulever d'office l'incompétence du juge judiciaire au profit du juge administratif, l'arrêt retient que l'action ne tend pas à remettre en cause les autorisations d'exploitation délivrées à la société SFR mais à obtenir la réparation d'un trouble anormal de voisinage subi du fait de la décision prise par un opérateur privé d'implanter une antenne-relais à proximité du domicile des demandeurs ;
Qu'en statuant ainsi alors que l'action tendant à obtenir l'enlèvement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée par l'autorité administrative ne relève pas de la compétence du juge judiciaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627, alinéa 1er, du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation prononcée n'implique pas qu'il y ait lieu à renvoi ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen unique du pourvoi principal :
CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu le 24 juin 2011 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à soulever d'office l'incompétence du juge judiciaire pour statuer sur les demandes ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit n'y avoir lieu de modifier la condamnation aux dépens prononcée par les juges du fond ;
Condamne la Société française radiotéléphone SFR et M. et Mme X... aux dépens des pourvois afférents au présent arrêt ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, avocat aux Conseils, pour les époux Y..., Mme A... et M. B..., demandeurs au pourvoi principal

Les époux Y..., Mme A... et M. B... font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leurs demandes ;

AUX MOTIFS QUE si nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, encore faut-il que l'existence d'un tel trouble soit établie ; qu'or, s'agissant du problème posé par la proximité des antennes relais :- en 2001, le rapport C... « ne retient pas l'hypothèse que le voisinage de stations de base peut occasionner un risque pour la santé » ;- en 2002, la Commission de la sécurité des consommateurs est d'avis qu'« aucun risque pour la santé publique ne peut être mis en évidence » ;- en 2003, l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale « constate que l'analyse globale des données scientifiques actuelles sur l'exposition aux ondes des stations relais ne révèle aucun risque pour la santé » ;- en 2006, l'Organisation mondiale de la santé conclut que « compte tenu des très faibles niveaux d'exposition et des résultats des travaux de recherche obtenus à ce jour, il n'existe aucun élément scientifique probant confirmant d'éventuels effets nocifs des stations de base et des réseaux sans fil pour la santé » ;- en 2009, l'Académie nationale de médecine « rappelle » qu'« on ne connaît aucun mécanisme par lequel les champs électromagnétiques dans cette gamme d'énergie et de fréquence pourraient avoir un effet négatif sur la santé » ;- en 2009, encore, le ministre de la santé et des sports, la secrétaire d'Etat chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique et la secrétaire d'Etat chargée de l'écologie relèvent conjointement que « l'expertise internationale est à ce jour convergente sur la question des antennes et conclut qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques et compte tenu des faibles niveaux d'exposition autour de ces installations … l'hypothèse d'un risque pour la santé pour les populations vivant à proximité des antennes relais de téléphonie mobile ne peut être retenue » ;- en 2009, toujours, l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale indique qu'en dépit des nombreuses études réalisées, « il n'existe pas un niveau de preuve suffisant pour conclure que les radiofréquences supérieures à 400 Mhz » auraient des effets nuisibles pour la santé ; que Mme A..., M. B... et M. et Mme Y... manquent donc à faire la preuve qui leur incombe ; que pour conclure néanmoins à la réformation du jugement entrepris et à la condamnation de la société SFR, ils invoquent le principe de précaution ; qu'or si l'article 5 de la Charte de l'environnement proclame que lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par l'application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage, ces principes sont déjà mis en oeuvre puisque l'expertise de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale relative aux radiofréquences est régulièrement mise à jour et que par mesure de sécurité, les valeurs limites d'exposition ont été fixées à un niveau très faible, dont il n'est nullement démontré qu'il serait dépassé en l'espèce ;

1°) ALORS QUE la preuve de l'existence d'un risque de dommage constitutif d'un trouble de voisinage peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes ; qu'en se fondant, pour débouter les époux Y..., Mme A... et M. B... de leurs demandes, sur l'absence de preuve scientifique d'un risque pour la santé des populations vivant à proximité d'une antenne-relais de téléphonie mobile au lieu de rechercher si les éléments de preuve invoqués par les demandeurs dans leurs conclusions d'appel constituaient, ou non, des présomptions graves, précises et concordantes d'un tel risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard l'article 1353 du code civil.
2°) ALORS en tout état de cause QUE le principe de précaution s'impose à toutes personnes et non, seulement, aux autorités publiques ; qu'en se fondant encore, pour débouter les époux Y..., Mme A... et M. B... de leurs demandes, sur la circonstance que des mesures de précaution avaient été prises par les pouvoirs publics, la cour d'appel, qui a ainsi implicitement considéré que le principe de précaution ne faisait naître d'obligations qu'à la charge des autorités publiques, à l'exclusion des personnes de droit privé, a violé les articles 5 de la Charte de l'environnement et L. 110-1 II 1° du code de l'environnement.
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société SFR, demanderesse au pourvoi incident
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu à soulever d'office l'incompétence du juge judiciaire au profit du juge administratif et d'avoir dit le juge judiciaire compétent ;
AUX MOTIFS QUE (…) la société SFR n'a pas soulevé l'incompétence du juge judiciaire au profit du juge administratif in limine litis et n'est donc pas recevable à le faire ; que la cour ne la soulèvera pas d'office dans la mesure où l'action de Mme A... de M. B... et de M. et Mme Y... ne tend pas à remettre en cause les autorisations d'exploitation délivrées à la société SFR mais à obtenir la réparation d'un trouble anormal de voisinage subi du fait de la décision d'implanter une antenne relais à proximité de leur domicile prise par un opérateur privé, ce qui est bien de la compétence du juge judiciaire ;
ALORS QUE le juge judiciaire n'est compétent pour faire cesser des troubles anormaux de voisinage qu'à condition que les mesures ordonnées ne fassent pas obstacles à une décision administrative : qu'ordonner le démantèlement d'une antenne relais de téléphonie mobile légalement implantée porte nécessairement atteinte tant à la décision de l'ARCEP ayant autorisé l'opérateur téléphonique à occuper le domaine public hertzien, qu'à la décision de l'AFNR ayant spécialement fixé les conditions d'implantation de l'antenne dont le démontage est sollicité par des riverains ; qu'en affirmant au contraire que la demande de démontage d'une antenne relais ne tend pas à remettre en cause les autorisations d'exploitation délivrées à la société SFR, la cour d'appel a violé l'article 92 du code de procédure civile, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 11-23566
Date de la décision : 19/12/2012
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Civile

Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Exclusion - Cas - Communications électroniques - Implantation des stations radioélectriques - Implantation régulièrement autorisée sur une propriété privée ou sur le domaine public - Action aux fins d'interruption, d'interdiction, d'enlèvement ou de déplacement - Portée

POSTES ET COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES - Communications électroniques - Implantation des stations radioélectriques - Implantation régulièrement autorisée sur une propriété privée ou sur le domaine public - Action aux fins d'interruption, d'interdiction, d'enlèvement ou de déplacement - Motifs liés à la protection de la santé publique ou aux brouillages préjudiciables - Compétence du juge administratif - Portée

L'action tendant à obtenir l'enlèvement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée par l'autorité administrative ne relève pas de la compétence du juge judiciaire


Références :

article 92 du code de procédure civile

article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790

Décret du 16 fructidor an III

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 24 juin 2011

Sur l'exclusion de la compétence du juge judiciaire pour connaître de l'action aux fins d'obtenir l'enlèvement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée, à rapprocher :Tribunal des conflits, 14 mai 2012, pourvoi n° 12-03. 852, T. conflits, n° 16 ;1e Civ., 17 octobre 2012, pourvoi n° 10-26. 854, Bull. 2012, I, n° 207 (rejet)


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 19 déc. 2012, pourvoi n°11-23566, Bull. civ. 2012, III, n° 198
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2012, III, n° 198

Composition du Tribunal
Président : M. Terrier (président et rapporteur)
Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2012:11.23566
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