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05/12/2012 | FRANCE | N°11-21113

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 05 décembre 2012, 11-21113


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon le jugement attaqué, que le 9 mai 2005, la société Trans Fensch qui exploite une concession de transport public en commun par autobus, a signé, avec les partenaires sociaux un «accord d'entreprise relatif à l'habillement» prévoyant, en son article 5 "une compensation financière des temps d'habillage" sous la forme d'une prime forfaitaire annuelle de 375 euros ; qu'en 2008, lors de la négociation annuelle obligatoire, l'employeur a conclu avec les mêmes partenaires sociaux un accord prévoyant en

son article 3 que la "prime d'habillement" pour l'année 2008 s'él...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon le jugement attaqué, que le 9 mai 2005, la société Trans Fensch qui exploite une concession de transport public en commun par autobus, a signé, avec les partenaires sociaux un «accord d'entreprise relatif à l'habillement» prévoyant, en son article 5 "une compensation financière des temps d'habillage" sous la forme d'une prime forfaitaire annuelle de 375 euros ; qu'en 2008, lors de la négociation annuelle obligatoire, l'employeur a conclu avec les mêmes partenaires sociaux un accord prévoyant en son article 3 que la "prime d'habillement" pour l'année 2008 s'éléverait à la somme de 420 euros pour les conducteurs et à 460 euros pour les agents de maîtrise ; que M. X..., salarié de la société Trans Fensch a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir le remboursement des frais d'entretien de ses vêtements de travail ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :
Attendu que la société Trans Fensch fait grief au jugement d'accueillir cette demande alors, selon le moyen :
1°) que si les frais qu'un salarié expose pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent être supportés par ce dernier, elle faisait valoir, dans ses conclusions en invoquant notamment un accord d'entreprise du 13 mars 2008, qu'était alloué de longue date aux salariés de l'entreprise une «prime d'habillement» versée forfaitairement et destinée à indemniser l'ensemble des contraintes liées au port des vêtements professionnels, y compris l'entretien ; qu'en affirmant «qu'aucun accord d'entreprise ne vise la prise en charge de l'entretien de ces tenues» et que «seuls les temps d'habillage et de déshabillage sont concernés par la compensation financière visée dans les accords», sans analyser, même sommairement, l'accord d'entreprise du 13 mars 2008 qui prévoyait dans son article 3 le paiement d'une «prime d'habillement», et non une prime d'habillage et de déshabillage, le conseil de prud'hommes a privé sa décision de base légale au regard des articles 1135 du code civil et des articles L.1221-1 et L.1221-3 du code du travail ;
2°) qu'en affirmant «qu'aucun accord d'entreprise ne vise la prise en charge de l'entretien de ces tenues» et que «seuls les temps d'habillage et de déshabillage sont concernés par la compensation financière visée dans les accords» cependant que la «prime d'habillement» visée à l'article 3 de l'accord du 13 mars 2008 avait nécessairement une portée différente de celle d'une «prime d'habillage et de déshabillage», le conseil de prud'hommes a dénaturé l'accord d'entreprise du 13 mars 2008 et a violé ce faisant l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu qu'il résulte des dispositions des articles 5 de l'accord du 9 mai 2005 et 3 de l'accord du 13 mars 2008 qui ont le même objet et le même intitulé, que la prime « d'habillement », est la contrepartie des seuls temps d'habillage et de déshabillage et ne couvre pas la prise en charge des frais d'entretien des tenues de travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 7 du code de procédure civile ;
Attendu que pour évaluer la somme due au salarié pour l'entretien de ses vêtements professionnels, le conseil de prud'hommes, après avoir relevé que l'intéressé ne justifiait pas des frais qu'il avait réellement exposés, s'est fondé sur une recherche réalisée à partir de différents sites internet, relative à la consommation en électricité et en eau nécessaire au fonctionnement d'un lave linge, à l'amortissement du matériel utilisé au prorata du volume lavé, au coût de la poudre à laver et au temps nécessaire pour que les vêtements soient prêts à être réutilisés ;
Qu'en retenant ainsi, des éléments qui n'étaient pas dans le débat, le conseil de prud'hommes a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la dernière branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 16 mai 2011, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Thionville ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le conseil de prud'hommes de Metz ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils pour la société Trans Fensch
Il est reproché au jugement attaqué d'avoir condamné la société Trans Fensch à payer à M. Cyrille X... la somme de 405 € au titre du remboursement des frais d'entretien des vêtements de travail, outre une indemnité de 300 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE :
«Sur les frais d'entretien :Attendu que la Cour de Cassation dans son arrêt du 21/05/2008 dit que les frais qu'un salarié expose pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent être supportés par ce dernier ;Qu'ainsi, lorsque le port d'un vêtement de travail est obligatoire, l'employeur doit assurer la charge de son entretien ;Vu le Code civil dans son article 1135, Vu le Code du travail dans son article L.1221-1 qui soumet le contrat de travail aux conditions du droit commun, Attendu que le Conseil de Prud'hommes de THIONVILLE dans ses précédents jugements rendus sur les mêmes demandes (21.06.2010, 08.11.2010) contre la même société par divers salariés l'ayant saisi individuellement avait demandé à la Société TRANS FENSCH de fournir un exemplaire de chaque tenue de travail portée par les salariés de l'entreprise, ce qui avait été fait ;Que l'examen attentif des étiquettes de chaque vêtement fourni démontre que les vêtements sont lavables facilement en machine dans le respect des indications présentes sur chaque type de vêtement ;Que concernant les pantalons, chemises, veste légère, pulls, ils sont tous et toutes lavables en machine à froid ou à chaud ;Qu'il y a lieu de se référer aux étiquettes sur chaque vêtement produit et de respecter les consignes liées au repassage et au séchage ainsi qu'à la température à respecter au lavage ;Qu'aucun des vêtements ne comporte d'interdiction de lavage en machine ;Que chaque salarié a eu la charge de l'entretien de ses tenues de travail et a supporté seul la charge de la preuve pour le passé, des sommes supplémentaires qu'il a dépensées, sauf à ce que le Conseil de Prud'hommes détermine un coût forfaitaire supplémentaire lié à l'entretien de ces tenues dont l'employeur n'a pas supporté la charge pendant 5 ans ;Qu'aucun accord d'entreprise ne vise la prise en charge de l'entretien de ces tenues ;Que seuls les temps d'habillage et de déshabillage sont concernés par la compensation financière visée dans les accords ;Dès lors, il est démontré que l'employeur, qui a pourtant la charge de cet entretien conformément au droit commun des frais professionnels, puisque les tenues sont obligatoires, ce qui n'est pas contesté.

Il supportera la régularisation sur les bases fixées ci-après par le Conseil ; Qu'au surplus, comme le rappelaient dans leurs pièces les demandeurs dans les questions des délégués du personnel : «il n'est pas prévu de vestiaires pour tout conducteur sauf sur demande justifiant du besoin»Ainsi, ce coût forfaitaire comprend :La lessive pour blanchir le linge L'électricité nécessaire :l'utilisation de la machine à laver, du matériel de repassage du sèche-linge éventuel en hiver ou pour les saisons froides Un temps pour mettre le linge sale dans la machine à laver, mettre la poudre à laver, tourner le bouton programme de la machine à laver, sortir le linge propre, le faire sécher, le plier, le repasser puis le ranger, ce temps étant inclus nécessairement dans les frais de pressing chez un professionnel ou quand il est pris en charge directement par l'employeur, Un forfait d'amortissement du matériel (machine à laver, sèche linge, fer à repasser…) au prorata de son utilisation, Un forfait pour l'eau (pour le lave-linge et éventuellement le fer à repasser), Attendu que si le prix d'un nettoyage d'une veste ou d'un pantalon approche le prix unitaire de 3,70 € à 6,60 € pour un type de vêtement, ce prix n'est pourtant qu'un indicateur et, en l'absence de facture réelle, il ne peut servir de base au remboursement pour la période couverte par la prescription quinquennale ;Qu'il est demandé pour 5 ans l'équivalent de près de deux mille euros, sur la période couverte ;Attendu que le demandeur se contente d'apprécier mais ne prouve pas la dépense réelle que des devis de pressing ne sauraient supplanter ;Pour autant, il ne fait aucun doute que les demandes sont justifiées du simple fait de l'obligation de porter les uniformes demandés par la société TRANS FENSCH, qui ne le conteste pas, se contentant de soutenir que ces frais sont inclus dans les primes ;Que pour retenir une base forfaitaire, il y a lieu de se référer, en l'absence d'accord d'entreprise ou d'établissement sur ce sujet qui les viserait, aux dépenses forfaitaires moyennes évaluées d'après les éléments suivants :http://www.lexisnexis.fr/pdf/DO/lc2005129.pdf (page 38 bas et 39 haut), question 59 et 87 :http://www.securitesociale.fr/textes/cotis/cotisations/fraisprofess/frais prof.pdf (autres avantages en nature qui ne constituent pas des avantages en nature)CF : 2-4 : Autres avantages qui ne constituent pas des avantages en nature (…) ;Il s'ensuit que les frais d'entretien relèvent des frais d'entreprise ;(…)Vu l'ancienneté de M. X... :Il ne peut dès lors demander une régularisation sur 5 ans mais sur un peu plus de 2 ans (…)Le Conseil de Prud'hommes évalue donc, sur la base de plusieurs critères longuement développés ci-dessus, un montant de 405,00 €pour 2 ans et 3 mois ancienneté, montant correspondant au coût réel du blanchissage des vêtements professionnels par un€ salarié€, le tout formant la charge du coût d'entretien des vêtements professionnels qui est composé :

D'une part d'énergie (eau, électricité), D'amortissement du matériel utilisé au prorata du volume lavé (lave linge, sèche-linge, matériel de repassage), De la poudre à laver, Du temps passé pour que les vêtements soient prêts à être utilisés.»
ALORS, EN PREMIER LIEU, QUE si les frais qu'un salarié expose pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent être supportés par ce dernier, la société Trans Fensch faisait valoir, dans ses conclusions (p. 14 et 15), en invoquant notamment un accord d'entreprise du 13 mars 2008, qu'était alloué de longue date aux salariés de l'entreprise une « prime d'habillement » versée forfaitairement et destinée à indemniser l'ensemble des contraintes liées au port des vêtements professionnels, y compris l'entretien ; qu'en affirmant «qu'aucun accord d'entreprise ne vise la prise en charge de l'entretien de ces tenues» et que «seuls les temps d'habillage et de déshabillage sont concernés par la compensation financière visée dans les accords » (jugement attaqué, p. 3, alinéas 2 et 3), sans analyser, même sommairement, l'accord d'entreprise du 13 mars 2008 qui prévoyait dans son article 3 le paiement d'une «prime d'habillement», et non une prime d'habillage et de déshabillage, le conseil de prud'hommes a privé sa décision de base légale au regard des articles 1135 du code civil et des articles L.1221-1 et L.1221-3 du code du travail ;
ALORS, EN DEUXIEME LIEU, QU'en affirmant «qu'aucun accord d'entreprise ne vise la prise en charge de l'entretien de ces tenues» et que «seuls les temps d'habillage et de déshabillage sont concernés par la compensation financière visée dans les accords» (jugement attaqué, p. 3, alinéas 2 et 3), cependant que la « prime d'habillement » visée à l'article 3 de l'accord du 13 mars 2008 avait nécessairement une portée différente de celle d'une «prime d'habillage et de déshabillage», le conseil de prud'hommes a dénaturé l'accord d'entreprise du 13 mars 2008 et a violé ce faisant l'article 1134 du code civil ;
ALORS, EN TROISIEME LIEU, QUE le juge ne peut fonder sa décision sur des faits dont il a eu connaissance par des investigations personnelles, sans les soumettre au débat des parties ; qu'en déterminant le montant de l'indemnité due aux salariés au terme d'une analyse unilatéralement menée de sites Internet relatifs aux coûts d'entretien des vêtements, sans que les parties aient été invitées à présenter leurs observations sur ces éléments de preuve, le conseil de prud'hommes, qui a ainsi mené sa propre enquête sans avoir aucun égard pour le principe de la contradiction, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
ET ALORS, EN DERNIER LIEU, QU'une motivation par référence est insuffisante lorsque les données sur lesquelles le juge s'appuie ne sont pas entièrement exposées ; qu'en motivant sa décision par référence à des sites Internet dont les articles sont sommairement exposés et que le lecteur est invité à consulter pour plus amples informations, le conseil de prud'hommes a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 11-21113
Date de la décision : 05/12/2012
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Analyses

PROCEDURE CIVILE - Eléments du débat - Décision fondée sur des faits non compris dans le débat

POUVOIRS DES JUGES - Applications diverses - Procédure civile - Eléments du débat - Eléments de fait - Investigations personnelles du juge - Possibilité (non)

Il résulte de l'article 7 du code de procédure civile que le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. Doit en conséquence être cassé le jugement qui, pour fixer la somme due au salarié pour l'entretien de ses vêtements professionnels, se fonde, après avoir relevé que l'intéressé ne justifiait pas des frais qu'il avait réellement exposés, sur une recherche réalisée à partir de différents sites internet, alors que les éléments résultant de cette recherche n'étaient pas dans le débat


Références :

article 7 du code de procédure civile

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Thionville, 16 mai 2011

Sur la portée de la violation de l'article 7 du code de procédure civile par le juge, à rapprocher :1re Civ., 21 novembre 2006, pourvoi n° 05-11607, Bull. 2006, I, n° 505 (cassation)


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 05 déc. 2012, pourvoi n°11-21113, Bull. civ. 2012, V, n° 325
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2012, V, n° 325

Composition du Tribunal
Président : M. Lacabarats
Avocat général : M. Foerst
Rapporteur ?: Mme Mariette
Avocat(s) : Me Balat, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2012:11.21113
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