LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 15 avril 2011), qu'engagé le 5 juin 1978 en qualité d'ouvrier polyvalent et occupant en dernier lieu les fonctions de chauffeur de chaudière, M. X... a été licencié pour faute grave le 14 novembre 2008 pour avoir commis une erreur de manipulation en injectant un mélange d'eau et d'huile au lieu du liquide thermofluide idoine dans le circuit de chauffage d'une chaudière, ce qui a entraîné la pollution de l'ensemble du circuit de thermofluide, eu un comportement pouvant être attribué à une consommation excessive d'alcool et un manque de motivation ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal de l'employeur :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement du salarié repose sur une cause réelle et sérieuse et de le condamner au paiement de diverses indemnités, alors, selon le moyen :
1°/ que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié et constitutifs d'une violation de ses obligations telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; que le caractère intentionnel n'est pas requis pour qualifier la faute grave du salarié ; que la cour d'appel, après avoir retenu qu'une faute était imputable à M. X..., a écarté son caractère de gravité en considérant qu'aucun élément ne permettait de retenir que le salarié avait dissimulé son erreur, dont il avait pu ne pas se rendre compte immédiatement ; qu'en se prononçant par un tel motif, que les éléments constitutifs de la faute grave, parmi lesquels ne figurent pas l'intention ni même la conscience de nuire, rendent inopérant, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
2°/ que la gravité de la faute tient notamment à ses effets sur la qualité du travail et sur le fonctionnement de l'entreprise ; que la cour d'appel, en omettant de rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée par les conclusions de l'exposante autant que par la lettre de licenciement, si le fait que la faute commise par le salarié ait mis hors service l'une des trois chaudières de la société, qu'elle ait entraîné la pollution de l'ensemble du circuit thermofluide, ainsi qu'une perte de temps et d'énergie, consacrée aux investigations et à la recherche de solutions, et enfin qu'elle ait entraîné pour l'employeur un préjudice de l'ordre de 80 000 euros, ne permettait pas d'en caractériser la gravité, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
3°/ que la société Synthogras reprochait au salarié de n'avoir pas relaté les circonstances de sa faute, en raison précisément des démarches qu'elle avait dû entreprendre pour découvrir la cause de la panne ; que la cour d'appel, pour juger qu'aucun élément ne permettait de retenir que le salarié avait dissimulé son erreur et écarter la faute grave, a considéré qu'il pouvait ne pas s'être rendu compte immédiatement de ce qu'il avait fait ; qu'il lui avait cependant été reproché, non pas de n'avoir pas relaté les faits sur le champ, mais d'avoir persisté à affirmer qu'il n'y était pour rien tout au long des investigations menées par l'employeur pour rechercher les causes de la panne et y remédier ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Synthogras et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant constaté que le salarié avait effectué une mauvaise manipulation lors du remplissage de la chaudière et était à l'origine de sa panne, la cour d'appel a pu décider, hors toute dénaturation et sans avoir à procéder à des recherches que ses constatations rendaient inutiles, que, compte tenu de l'ancienneté du salarié et de son absence d'antécédents pour des faits de même nature, ce fait ne rendait pas impossible son maintien dans l'entreprise et ne constituait pas une faute grave ; que le moyen, qui critique un motif surabondant en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident du salarié :
Attendu que le salarié reproche à la cour d'appel de l'avoir débouté de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :
1°/ que le doute profite au salarié ; que pour retenir que la panne de la chaudière était imputable à M. X..., la cour d'appel, qui a constaté que les comptes-rendus de poste de M. X... et de son collègue n'étaient pas concordants, ce dernier montrant qu'il n'y avait pas simplement un manque de thermofluide, mais qu'au contraire, il y avait une difficulté de nature à confirmer la panne de la chaudière n° 2 avant l'intervention de M. X... le 24 août 2008 a retenu qu'"il ne saurait être déduit de ces mentions que la chaudière était déjà en panne avant le 24 août alors qu'elle était seulement à l'arrêt et qu'elle n'a pu être remise en service en raison du niveau insuffisant du thermofluide" ; qu'en déduisant de ce doute sur la date de la panne de la chaudière et l'imputabilité des faits que la faute était établie, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-1, alinéa 2, du code du travail ;
2°/ que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; qu'il résulte de la lettre de licenciement que M. X... a été licencié non pas seulement pour les faits tenant à l'alimentation de la chaudière, mais aussi pour "consommation excessive d'alcool" et "manque cruel de motivation", l'ensemble de ces faits justifiant le licenciement ; que la cour d'appel qui a constaté que ces deux derniers griefs n'étaient pas établis, mais a dit le licenciement justifié par le seul grief établi a violé l'article L. 1232-6 du code du travail ;
Mais attendu que, sous le couvert non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond qui ont retenu que le grief relatif au mauvais remplissage de la chaudière était établi ; que, faisant usage des pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1235-1 du code du travail, la cour d'appel a décidé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Laisse à chaque partie la charge des dépens par elle exposés ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un novembre deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Synthogras, demanderesse au pourvoi principal
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit le licenciement de Monsieur X... fondé sur une cause réelle et sérieuse et condamné la société Synthogras à lui payer les sommes de 5.000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de 25.000 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
AUX MOTIFS QUE (…) les comptes rendus de poste montrent que la chaudière n° 2 est effectivement mise à l'arrêt lor sque son usage n'est pas nécessaire ; qu'ainsi, elle a été utilisée en fonction des besoins au cours du mois de juillet 2008 jusqu'au 22 juillet, date à laquelle elle a été mise à l'arrêt ; que le 20 août, Monsieur X... mentionne lors de son poste « mise en service chaudière n° 2 arrêt sur arrêt thermofluide » ; que l'après-midi son collègue écrit « essayer X fois de démarrer chaudière n° 2. Démarre puis s'arrête. A v oir » ; que le 22 aout l'entreprise a réceptionné le thermofluide qu'elle avait commandé auprès de la société Total ; que le 24 août Monsieur X... mentionne « rempli ballon thermofluide. Fais plusieurs essais chaudière 2 et purger sans résultat » ; qu'il ne saurait être déduit de ces mentions que la chaudière était déjà en panne avant le 24 août alors qu'elle était seulement à l'arrêt et qu'elle n'a pu être mise en service en raison du niveau insuffisant du thermofluide ; que par ailleurs il est constant que son circuit a été alimenté par un fluide provenant d'une mauvaise cuve par suite de l'ouverture de la mauvaise vanne ; que Monsieur Y... atteste qu'à son retour de congés il a interrogé son responsable, Monsieur Z..., lequel lui a répondu qu'il s'était peut-être trompé avec les vannes ; que cependant ce témoignage est contesté par l'intéressé qui soutient avoir dit « on a dû se tromper de vanne lors du remplissage du circuit avec le nouveau fluide » et qui explique avoir utilisé le pronom « on » afin de n'incriminer personne, dès lors qu'il n'avait pas encore vérifié l'auteur de la manipulation ; qu'il n'est donc pas établi que Monsieur Z... était le véritable responsable de la manipulation, d'autant que la seule personne qui a rempli le circuit est Monsieur X..., ainsi qu'il ressort des comptes rendus de poste ; que la faute du salarié est donc établie ; qu'en revanche aucun élément ne permet de retenir qu'il a dissimulé son erreur, le salarié pouvant ne pas s'en être rendu compte immédiatement ; que par ailleurs, aucun élément n'est produit à l'appui des deux autres griefs ; que la faute commise par le salarié justifiait son licenciement, sans pour autant rendre nécessaire son éviction immédiate, sans préavis, compte tenu de sa grande ancienneté et d'un seuil avertissement dans les trois mois précédant le licenciement pour des faits sans rapport avec ceux motivant la rupture ;
ALORS QUE, D'UNE PART, la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié et constitutifs d'une violation de ses obligations telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; que le caractère intentionnel n'est pas requis pour qualifier la faute grave du salarié ; que la cour d'appel, après avoir retenu qu'une faute était imputable à Monsieur X..., a écarté son caractère de gravité en considérant qu'aucun élément ne permettait de retenir que le salarié avait dissimulé son erreur, dont il avait pu ne pas se rendre compte immédiatement ; qu'en se prononçant par un tel motif, que les éléments constitutifs de la faute grave, parmi lesquels ne figurent pas l'intention ni même la conscience de nuire, rendent inopérant, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, la gravité de la faute tient notamment à ses effets sur la qualité du travail et sur le fonctionnement de l'entreprise ; que la cour d'appel, en omettant de rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée par les conclusions de l'exposante autant que par la lettre de licenciement, si le fait que la faute commise par le salarié ait mis hors service l'une des trois chaudières de la société, qu'elle ait entraîné la pollution de l'ensemble du circuit thermofluide, ainsi qu'une perte de temps et d'énergie, consacrés aux investigations et à la recherche de solutions, et enfin qu'elle ait entraîné pour l'employeur un préjudice de l'ordre de 80.000 euros, ne permettait pas d'en caractériser la gravité, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
ET ALORS QUE, en toute hypothèse, la société Synthogras reprochait au salarié de n'avoir pas relaté les circonstances de sa faute, en raison précisément des démarches qu'elle avait dû entreprendre pour découvrir la cause de la panne ; que la cour d'appel, pour juger qu'aucun élément ne permettait de retenir que le salarié avait dissimulé son erreur et écarter la faute grave, a considéré qu'il pouvait ne pas s'être rendu compte immédiatement de ce qu'il avait fait ; qu'il lui avait cependant été reproché, non pas de n'avoir pas relaté les faits sur le champ, mais d'avoir persisté à affirmer qu'il n'y était pour rien tout au long des investigations menées par l'employeur pour rechercher les causes de la panne et y remédier ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Synthogras et violé l'article 4 du code de procédure civile.
Moyen produit par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils, pour M. X..., demandeur au pourvoi incident
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de Monsieur X... repose sur une cause réelle et sérieuse et d'AVOIR, en conséquence, débouté ce dernier de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
AUX MOTIFS QUE, (…) les comptes rendus de poste montrent que la chaudière n° 2 est effectivement mise à l'arrêt lorsque son usage n'est pas nécessaire ; qu'ainsi, elle a été utilisée en fonction des besoins au cours du mois de juillet 2008 jusqu'au 22 juillet, date à laquelle elle a été mise à l'arrêt ; que le 20 août, Monsieur X... mentionne lors de son poste « mise en service chaudière n° 2 arrêt sur arrêt thermofluide » ; que l'après-midi son collègue écrit « essayer X fois de démarrer chaudière n° 2. Démarre puis s'arrête. A voir » ; que le 22 aout l'entreprise a réceptionné le thermofluide qu'elle avait commandé auprès de la société Total ; que le 24 août Monsieur X... mentionne « rempli ballon thermofluide. Fais plusieurs essais chaudière 2 et purger sans résultat » ; qu'il ne saurait être déduit de ces mentions que la chaudière était déjà en panne avant le 24 août alors qu'elle était seulement à l'arrêt et qu'elle n'a pu être mise en service en raison du niveau insuffisant du thermofluide ; que par ailleurs il est constant que son circuit a été alimenté par un fluide provenant d'une mauvaise cuve par suite de l'ouverture de la mauvaise vanne ; que Monsieur Y... atteste qu'à son retour de congés il a interrogé son responsable, Monsieur Z..., lequel lui a répondu qu'il s'était peutêtre trompé avec les vannes ; que cependant ce témoignage est contesté par l'intéressé qui soutient avoir dit « on a dû se tromper de vanne lors du remplissage du circuit avec le nouveau fluide » et qui explique avoir utilisé le pronom « on » afin de n'incriminer personne, dès lors qu'il n'avait pas encore vérifié l'auteur de la manipulation ; qu'il n'est donc pas établi que Monsieur Z... était le véritable responsable de la manipulation, d'autant que la seule personne qui a rempli le circuit est Monsieur X..., ainsi qu'il ressort des comptes rendus de poste ; que la faute du salarié est donc établie ; qu'en revanche aucun élément ne permet de retenir qu'il a dissimulé son erreur, le salarié pouvant ne pas s'en être rendu compte immédiatement ; que par ailleurs, aucun élément n'est produit à l'appui des deux autres griefs ; que la faute commise par le salarié justifiait son licenciement, sans pour autant rendre nécessaire son éviction immédiate, sans préavis, compte tenu de sa grande ancienneté et d'un seul avertissement dans les trois mois précédant le licenciement pour des faits sans rapport avec ceux motivant la rupture ; qu'il convient en conséquence de dire le licenciement de Monsieur X... fondé sur une cause réelle et sérieuse et de lui allouer l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que l'indemnité conventionnelle de licenciement qu'il réclame et dont les montants ne sont pas contestés.
ALORS QUE le doute profite au salarié ; que pour retenir que la panne de la chaudière était imputable à Monsieur X..., la Cour d'appel, qui a constaté que les comptes rendus de poste de Monsieur X... et de son collègue n'étaient pas concordants, ce dernier montrant qu'il n'y avait pas simplement un manque de thermofluide, mais qu'au contraire, il y avait une difficulté de nature à confirmer la panne de la chaudière n° 2 avant l'intervention de Monsieur X... le 24 août 2008 a retenu qu' « il ne saurait être déduit de ces mentions que la chaudière était déjà en panne avant le 24 août alors qu'elle était seulement à l'arrêt et qu'elle n'a pu être remise en service en raison du niveau insuffisant du thermofluide » ; qu'en déduisant de ce doute sur la date de la bpanne de la chaudière et l'imputabilité des faits que la faute était établie, la Cour d'appel a violé l'article L. 1235-1, alinéa 2, du Code du travail.
ET ALORS en tout cas QUE la lettre de licenciement fixe les limites du litige ;qu'il résulte de la lettre de licenciement que Monsieur X... a été licencié non pas seulement pour les faits tenant à l'alimentation de la chaudière, mais aussi pour « consommation excessive d'alcool » et « manque cruel de motivation », l'ensemble de ces faits justifiant le licenciement ; que la Cour d'appel qui a constaté que ces deux derniers griefs n'étaient pas établis, mais a dit le licenciement justifié par le seul grief établi a violé l'article L. 1232-6 du code du travail.