LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Mme Myriam X...,
- Mme Rolande Y...
- M. Joël Z...
- Mme Jacqueline A..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 8 juin 2011, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs et du Syndicat départemental des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs de la Côte-d'Or, du chef de dénonciation calomnieuse ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 226-10 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs et le Syndicat départemental des masseurs-kinésithérapeutes de Côte-d'Or des fins de la poursuite du chef de dénonciation calomnieuse, puis a débouté Mame A..., Mme X..., Mme Y... et M. Z... de leur constitution de parties civiles ;
"aux motifs que, selon l'ordonnance de renvoi du 28 novembre 2006 (lire « 21 novembre 2006 »), la plainte avec constitution de partie civile déposée par la FFMKR et le Syndicat de Côte-d'Or courant novembre 1996 (lire « novembre 1999 ») constituerait une dénonciation calomnieuse au sens de l'article 226-10 du code pénal ; que ce texte dispose en ses deux premiers alinéas :
"La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non- lieu déclarant que le fait n'a pas été commis ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée... » ;
qu'en l'espèce, il est constant que la fausseté des faits dénoncés dans la plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de M. Z..., Mmes A..., Y... et X... résulte nécessairement des décisions définitives de non-lieu et de relaxe détaillées plus haut ; que l'élément matériel de l'infraction est donc constitué ; que l'élément intentionnel en revanche ne se présume pas, même en présence de décisions définitives de relaxe ou de non-lieu, et il doit donc être recherché si la FFMKR et le Syndicat de Côte-d'Or avaient connaissance au moment de la plainte de ce que les faits qu'ils dénonçaient étaient inexacts ou encore improprement qualifiés ; que, quelles que soit ses maladresses de rédaction qui sont imputables à l'huissier, le constat du 31 juillet 1999 qui a fondé la plainte litigieuse évoque des frottements, attouchements, palpations et touchers divers avec des mouvements de va-et-vient à différents endroits du corps ; que, force est de constater que cette description ne permettait pas d'exclure d'emblée que même pratiqués sur des personnes habillées et à des fins de relaxation, les gestes en cause n'étaient pas assimilables à des massages tels que ceux relevant du monopole des masseurs-kinésithérapeutes, soit selon l'article 3 du décret du 8 octobre 1996 (devenu depuis le 8 août 2004 l'article R. 4321-3 du code de la santé publique), « toute manoeuvre externe, réalisée sur les tissus, dans un but thérapeutique ou non, de façon manuelle ou par l'intermédiaire d'appareils autres que les appareils d'électrothérapie, avec ou sans l'aide de produits, qui comporte une mobilisation ou une stimulation méthodique, mécanique ou réflexe des tissus » ; que cette difficulté à définir concrètement les massages réservés aux masseurs-kinésithérapeutes et ceux qui ne le sont pas est illustrée par la confrontation qui a été organisée par le juge d'instruction chalonnais entre M. Z... et les représentants des syndicats de masseurs- kinésithérapeutes le 26 septembre 2000 ; que, lors de cette confrontation en effet, M. Z... lui même a eu des difficultés à exprimer de façon claire, autrement que par une finalité de détente, la différence qui pouvait exister concrètement entre certaines des techniques qu'il avait mises au point et des massages enseignés dans les écoles de masso-kinésithérapie ; que le même type de difficulté expliquait une certaine incertitude de la jurisprudence, à la date de la plainte quant au périmètre exact du monopole des masseurs-kinésithérapeutes, cette incertitude tenant aussi à la très grande variété des situations de fait en matière de massages ou autres touchers pratiqués de fait par d'autres personnes que des masseurs-kinésithérapeutes ; que plusieurs décisions avaient ainsi été rendues par des tribunaux et des cours d'appel qui avaient retenu l'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute pour des massages pratiqués par des non-titulaires du diplôme à des fins présentées comme purement esthétiques ou de confort ; qu'à titre d'exemple, des litiges se sont multipliés à partir des années 70 sur la compatibilité des massages pratiqués par les esthéticiennes ("affleurages", "lissages", "pétrissages", drainages lymphatiques) avec le monopole des masseurs-kinésithérapeutes, ce, au point qu'une loi du 23 juillet 2010 a été nécessaire pour définir le "modelage" pouvant être pratiqué par cette profession ; que, certes, la jurisprudence s'est finalement orientée vers un critère de distinction passant par le caractère superficiel ou non du massage et sa qualification en "effleurage" et il est désormais acquis que consistaient bien en des effleurages, touchers et pressions légères les gestes pratiqués par les parties civiles sur des automobilistes le 31 juillet 1999 ; qu'il n'en demeure pas moins que l'état de la jurisprudence en 1999 ne permet pas de considérer que la FFMKR et le Syndicat de Côte-d'Or auraient dû être convaincus que les gestes décrits dans le constat d'huissier ne relevaient pas du monopole des masseurs-kinésithérapeutes ; que le même raisonnement est évidemment applicable à toutes les démarches qui ont précédé la plainte et par lesquelles les syndicats des masseurs-kinésithérapeutes ont entendu s'opposer aux initiatives de M. Z... en attirant l'attention de ses partenaires commerciaux sur les risques de poursuite pour exercice illégal de la kinésithérapie et publicité mensongère ; que, pour déplaisantes qu'elles soient, ces démarches ne font que témoigner de la conviction à l'époque des syndicats de ce que M. Z... empiétait sur le monopole de leur profession dont ils défendaient alors seuls les intérêts collectifs (l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a été créé en 2004) ; qu'il est vrai que postérieurement au jugement de relaxe puis de l'acquisition de son caractère définitif, les syndicats ont continué leurs pressions contre M. Z... ; qu'il convient de citer à titre d'exemples :
- un article paru dans la revue "kiné actualité" du 30 janvier 2003 critiquant le jugement de Chalon-sur-Saône du 20 janvier 2003, cet article étant accompagné d'un dessin satirique sous la légende, "parmi ces personnages un seul est autorisé à pratiquer le massage", mettant en scène un homme aux allures de skinhead (tenue paramilitaire, gourdin et crâne rasé) et trois femmes, l'une représentée en infirmière, la seconde en prostituée et la troisième coiffée d'un entonnoir,
- une lettre adressée par la FFMKR, le 8 mars 2004, au directeur de l'hôpital des Diaconesses à Paris qui s'apprêtait à recevoir dans son établissement le congrès européen du toucher-massage, cette lettre proclamant que seuls les masseurs-kinésithérapeutes peuvent pratiquer des massages même à des fins esthétiques ou de confort et invitant son destinataire à se rapprocher de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ;
qu'il est certain que ces attaques aux accents diffamatoires et injurieux n'honorent pas leurs auteurs et qu'elles n'ont pu qu'être préjudiciables aux parties civiles ; qu'elles expliquent sans doute leur plainte avec constitution de partie civile alors qu'elles n'avaient pas demandé de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 472 du code de procédure pénale devant le tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône (la jurisprudence ne limitait pas alors l'application de ce texte aux seules saisines par citations directes par les parties civiles) ; qu'il doit être observé, d'une part, que l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevable la plainte en ce qu'elle visait la diffamation et l'injure n'a fait l'objet d'aucun recours, d'autre part, que l'élément intentionnel de la dénonciation calomnieuse ne se confond pas avec l'intention de nuire ; qu'ainsi, la connaissance de la fausseté des faits dénoncés dans la plainte du mois de novembre 1999 ne saurait se déduire du comportement agressif dont ont fait preuve les syndicats à l'égard de M. Z... après cette plainte ; qu'en définitive, la cour estime que fait défaut l'élément moral de l'infraction, de sorte que s'imposent la relaxe des prévenus et l'infirmation du jugement déféré ; qu'en conséquence de la relaxe, les parties civiles ne peuvent qu'être déboutées de l'ensemble de leurs demandes et le jugement sera également infirmé sur ce point ;
"alors qu'en matière de dénonciation calomnieuse, la mauvaise foi consiste dans la connaissance de la fausseté des faits imputés à autrui au jour de leur dénonciation ; qu'en se bornant, pour renvoyer la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs et le Syndicat départemental des masseurs-kinésithérapeutes de Côte-d'Or des fins de la poursuite du chef de dénonciation calomnieuse, à énoncer qu'il existait, au jour du dépôt de leur plainte pour exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute et complicité de ce délit, une incertitude jurisprudentielle quant à la définition des gestes qui relevaient du monopole des masseurs-kinésithérapeutes, sans indiquer en quoi les gestes décrits dans le constat d'huissier, pratiqués en position assise et habillée, entraient dans le champ de cette incertitude et étaient ainsi éventuellement susceptibles de relever du monopole des masseurs-kinésithérapeutes, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision";
Attendu que le moyen, qui revient à remettre en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, dont ils ont déduit, sans insuffisance ni contradiction, l'absence de mauvaise foi chez le dénonciateur, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme globale que Mme Myriam X..., Mme Rolande Y..., M. Joël Z... et Mme Jacqueline A... devront verser solidairement à la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs et au syndicat départemental des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs de Côte-d'Or au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Guérin conseiller rapporteur, Mme Guirimand conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Téplier ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;