LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 mars 2011), que s'étant pourvu en cassation contre un arrêt du 28 avril 1995 de la cour d'appel de Pointe-à-Pitre ayant très fortement augmenté les indemnités d'expropriation mises à sa charge, le centre hospitalier universitaire (CHU) de cette même ville a pris contact avec M. X..., avocat des expropriés, qui, par l'intermédiaire d'un avocat à la Cour de cassation, a sollicité, en application de l'article 1009-1 du code de procédure civile, le retrait du rôle cette l'affaire, l'arrêt alors attaqué n'ayant pas été exécuté ;
Que prétendant qu'il n'avait payé les indemnités mises à sa charge par l'arrêt du 28 avril 1995 que sur l'affirmation de M. X...selon laquelle les fonds seraient séquestrés sur un compte, le CHU qui, après cassation de cet arrêt, n'a pas pu obtenir le remboursement des sommes trop perçues par les expropriés, a recherché la responsabilité de M. X..., assuré par la société Allianz IARD ; que M. Y..., liquidateur à la liquidation judiciaire de cet avocat, est intervenu à l'instance ;
Attendu que le CHU fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que constitue une faute le fait, pour un professionnel du droit, d'induire un tiers en erreur, fût-il l'adversaire de son mandant ; qu'en écartant toute faute de M. X..., quand ce dernier, connaissant les interrogations du CHU quant au sort des sommes importantes mises à sa charge par l'arrêt qu'il avait frappé de pourvoi, et l'inquiétude du CHU de pouvoir en obtenir effectivement la restitution dans l'hypothèse d'une cassation, a employé sciemment le terme « séquestre »- qui ne pouvait être tenu comme anodin ni neutre dans ce contexte-et a laissé par là le CHU dans la conviction que les sommes litigieuses seraient conservées sur le compte de l'avocat tant que le pourvoi ne serait pas tranché, l'induisant de ce fait en erreur, notamment sur la nécessité de solliciter la constitution d'une garantie, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ que le manquement d'un avocat à ses obligations déontologiques est susceptible de constituer une faute pouvant engager sa responsabilité ; qu'en énonçant par principe que l'éventuel manquement d'un avocat à ses obligations déontologiques est étranger au contentieux de la recherche de sa responsabilité professionnelle, pour écarter toute faute de M. X..., la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
3°/ qu'un manquement déontologique commis par un avocat, passible de sanction disciplinaire dans le cadre d'une procédure ordinale, peut constituer en même temps une faute susceptible d'engager sa responsabilité civile vis-à-vis du tiers qui en est victime ; que commet une telle faute l'avocat qui ne conseille pas à un particulier qui prend son attache, en qualité de conseil de ses adversaires, pour évoquer un difficulté d'exécution ou un point juridique lui paraissant incertain, d'être assisté par un professionnel ; qu'en affirmant, pour écarter toute faute de M. X..., que n'étant pas son avocat, il n'avait pas l'obligation d'inciter l'adversaire de ses clients à prendre l'attache d'un de ses confrères, cette initiative ne pouvant relever que de l'appréciation du CHU s'il s'estimait insuffisamment informé, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
4°/ que constituent un comportement fautif l'absence de diligence et les atermoiements répétés opposés par un avocat à une demande d'intervention auprès de son client ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si M. X...n'avait pas commis une faute ayant compromis les possibilités de recouvrement par le CHU des sommes devenues indues à la suite de la cassation et de l'absence de saisine de la juridiction de renvoi, en adoptant un comportement négligent après le prononcé de la cassation, en omettant en particulier de chercher à mettre ses clients en rapport avec le CHU afin que les sommes lui soient remboursées, et en ne daignant répondre aux courriers du CHU que près de deux ans après l'arrêt du cassation du 15 juin 2000, sur l'intervention du bâtonnier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que si l'avocat doit avoir à l'égard de la partie adverse une conduite loyale, il n'a pas à prendre l'initiative de lui délivrer des informations ou conseils ; qu'ayant constaté que M. X...n'avait pas pris l'engagement de conserver les sommes litigieuses et exactement retenu qu'il n'avait aucune obligation légale de les conserver sur son compte Carpa, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à de simples arguments, a énoncé à bon droit que M. X...n'avait ni à inciter l'adversaire de ses clients à prendre attache avec l'un de ses confrères ni à lui prodiguer ses conseils ; qu'en en déduisant l'absence de faute imputable à M. X..., elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
Et attendu que le pourvoi revêt un caractère abusif ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre Les Abymes aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre Les Abymes ; le condamne à payer à la société Allianz IARD la somme de 3 000 euros ;
Le condamne envers le Trésor public à une amende civile de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six septembre deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour le centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre Les Abymes.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté le CHU de Pointe-à-Pitre de l'ensemble de ses demandes, tendant à la condamnation de Me Y..., ès qualité de liquidateur judiciaire de Me X..., et de la société Allianz IARD, assureur de responsabilité civile de ce dernier, à lui payer la somme en principal e de 1. 811. 596, 83 euros en réparation du préjudice résultant des fautes de Me X...,
AUX MOTIFS QUE le Chu, qui rappelle que l'arrêt de la cour d'appel de Basse Terre du 28 avril 1995 avait fixé à 12 338 200 francs, soit près du triple du montant arrêté par le juge de l'expropriation, le montant de l'indemnité, a été cassé le 15 juin 2000, la cour de renvoi n'étant jamais saisie, ce qui a pour conséquence que la décision du juge de l'expropriation a force de chose jugée, et qu'il a dû, pour former ce pourvoi, verser l'intégralité de l'indemnité, fait valoir que M. X...l'a induit en erreur en lui indiquant, par téléphone puis par télécopie, que ces sommes seraient versées sur un compte séquestre, condition essentielle, selon lui, à son versement, qu'il ne conteste pas que l'arrêt de la cour d'appel était exécutoire de plein droit, mais soutient que, s'il n'avait pas été induit en erreur par l'avocat, il aurait conditionné son versement à la constitution de garanties conformément à l'article 2 du décret du 19 mai 1980 qui le prévoit pour les personnes morales de droit public, qu'il considère que M. X...a agi comme un séquestre de fait et en a donc les obligations alors qu'il n'a pu récupérer aucun montant auprès des expropriés, tous domiciliés, selon le pourvoi, à une même adresse où ils sont inconnus, qu'il a donc subi un préjudice correspondant à la différence entre le montant qu'il a versé et celui de l'indemnité fixée définitivement, que pour s'y opposer M. Y... ès qualités et la société Allianz Iard soutiennent que, pas plus qu'en première instance, le Chu ne rapporte la preuve d'une faute de M. X...puisque l'arrêt de la Cour d'appel de Basse Terre était exécutoire de plein droit, l'obligeant à verser les sommes arrêtées quelle que soit l'issue du pourvoi, que les intimées font également valoir à juste raison que M. X...avait, au contraire de ce qu'avance le CHU, toujours manifesté qu'il entendait reverser l'argent à ses clients puisqu'il avait soulevé, dans leur intérêt, la péremption du pourvoi à défaut d'exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Basse Terre, que c'est pourquoi le premier président de la Cour de cassation a, par ordonnance du 25 mars 1996, retiré l'affaire engagée du rôle au visa de l'article 10009-1 du Code de procédure civile, faute pour le CHU d'avoir exécuté l'arrêt d'appel, que c'est donc à tort que cet hôpital affirme qu'il n'a payé que sur les assurances de M. X...de conserver les sommes litigieuses, étant relevé, comme l'avait fait aussi le tribunal, que le CHU ne rapporte par aucune pièce l'existence d'un tel engagement et qu'il admet même qu'il n'a pas été formellement pris, qu'il ne peut en être déduit, comme tente de le faire croire le CHU, du dépôt sur un compte CARPA de sommes dont le versement conditionne la poursuite d'une procédure, que le déposant se comporte en séquestre de fait, qu'aucune faute commise par M. X...ne peut donc en résulter, que M. Y... et la société Allianz Iard exposent encore exactement que M. X...n'avait aucune obligation légale de conserver sur son compte CARPA les sommes versées par le CHU en exécution de l'arrêt de la cour d'appel et qu'il n'a fait, dans la télécopie mise en avant par le CHU, que répondre à une demande de sa part par une information générale, le libellé de cette télécopie ne pouvant souffrir d'autre interprétation, alors que le document en question, ainsi rédigé « Je vous précise à toutes fins utiles que ledit compte CARPA fonctionne, comme un compte séquestre, sous l'autorité de Monsieur le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats du Barreau de l'Essonne », exclut, du fait de l'emplacement des virgules, avant et après les mots « comme un compte séquestre », que M. X...ait pu laisser entendre que son compte CARPA fonctionne comme un compte séquestre, que le CHU ne démontre nullement non plus, aucune pièce afférente à cette affirmation n'était produite, qu'il n'entendait verser les sommes que contre la constitution de garanties pour le cas où elles ne seraient pas séquestrées, qu'il ne saurait donc en être déduit, comme l'ont décidé à propos les premiers juges, une faute à l'encontre de M. X..., que le CHU formule encore divers reproches envers M. X...tenant au fait qu'il n'aurait pas assumé envers lui son devoir de conseil et aurait failli aux règles déontologiques en ne l'invitant pas à prendre conseil auprès d'un confrère, que M. Y... et la société Allianz Iard lui rétorquent exactement que M. X...n'étant pas son avocat, il n'avait pas à lui prodiguer spécialement ses conseils, pas plus qu'il n'avait l'obligation d'inciter l'adversaire de ses clients à prendre l'attache d'un de ses confrères, cette initiative ne pouvant relever que de l'appréciation du CHU s'il estimait insuffisamment informé, qu'en toute hypothèse l'éventuel manquement d'un avocat à ses obligations déontologiques est étranger au contentieux de la recherche de sa responsabilité professionnelle ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « le chu met en cause la responsabilité civile professionnelle de Me X...sur le fondement de l'article 1382 du code civil. Il lui appartient de rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité … le CHU soutient que Me X...l'a induit en erreur en lui laissant croire que les sommes seraient séquestrées ; que les termes du fax litigieux, par leur généralité, ne sauraient toutefois établir un comportement fautif de Me X...… ; Me X...soutient sans être contredit que le CHU n'a jamais été représenté par un conseil dans le cadre de la procédure d'expropriation … ; il ne saurait être reproché à Me X...de ne pas avoir transmis le fax du 19 mars 1998 à la SCP Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde … ; que le CHU n'établit pas que les faits sont constitutifs d'une faute » ;
1) ALORS QUE constitue une faute le fait, pour un professionnel du droit, d'induire un tiers en erreur, fût-il l'adversaire de son mandant ; qu'en écartant toute faute de Me X..., quand ce dernier, connaissant les interrogations du CHU quant au sort des sommes importantes mises à sa charge par l'arrêt qu'il avait frappé de pourvoi, et l'inquiétude du CHU de pouvoir en obtenir effectivement la restitution dans l'hypothèse d'une cassation, a employé sciemment le terme « séquestre »- qui ne pouvait être tenu comme anodin ni neutre dans ce contexte – et a laissé par là le CHU dans la conviction que les sommes litigieuses seraient conservées sur le compte de l'avocat tant que le pourvoi ne serait pas tranché, l'induisant de ce fait en erreur, notamment sur la nécessité de solliciter la constitution d'une garantie, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
2) ALORS QUE le manquement d'un avocat à ses obligations déontologiques est susceptible de constituer une faute pouvant engager sa responsabilité ; qu'en énonçant par principe que l'éventuel manquement d'un avocat à ses obligations déontologiques est étranger au contentieux de la recherche de sa responsabilité professionnelle, pour écarter toute faute de Me X..., la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
3) ALORS QU'un manquement déontologique commis par un avocat, passible de sanction disciplinaire dans le cadre d'une procédure ordinale, peut constituer en même temps une faute susceptible d'engager sa responsabilité civile vis-à-vis du tiers qui en est victime ; que commet une telle faute l'avocat qui ne conseille pas à un particulier qui prend son attache, en qualité de conseil de ses adversaires, pour évoquer un difficulté d'exécution ou un point juridique lui paraissant incertain, d'être assisté par un professionnel ; qu'en affirmant, pour écarter toute faute de Me X..., que n'étant pas son avocat, il n'avait pas l'obligation d'inciter l'adversaire de ses clients à prendre l'attache d'un de ses confrères, cette initiative ne pouvant relever que de l'appréciation du CHU s'il s'estimait insuffisamment informé, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
4) ALORS QUE constituent un comportement fautif l'absence de diligence et les atermoiements répétés opposés par un avocat à une demande d'intervention auprès de son client ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée (cf. conclusions d'appel du CHU p. 8), si Me X...n'avait pas commis une faute ayant compromis les possibilités de recouvrement par le CHU des sommes devenues indues à la suite de la cassation et de l'absence de saisine de la juridiction de renvoi, en adoptant un comportement négligent après le prononcé de la cassation, en omettant en particulier de chercher à mettre ses clients en rapport avec le CHU afin que les sommes lui soient remboursées, et en ne daignant répondre aux courriers du CHU que près de deux ans après l'arrêt du cassation du 15 juin 2000, sur l'intervention du bâtonnier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil.