LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 mars 2011), que la société La Fermière, exerçant une activité de production de produits laitiers, a passé commande le 21 mars 2006 à la société Boccard d'une installation d'équipements automatisés dans le cadre d'un projet dit "nouvelle usine" ; qu'en 2008, elle a également commandé à la société Boccard des travaux et fournitures destinés à un "atelier brousse"; que la société La Fermière a été mise sous sauvegarde le 14 mai 2009 ; que la société Boccard a revendiqué des biens vendus sous réserve de propriété en exécution de la commande du 21 mars 2006 ; que le juge-commissaire a rejeté sa requête ; que ce rejet a été confirmé par jugement du 29 mars 2010 ; qu'en cause d'appel, la société Boccard a fait notamment valoir que sa requête en revendication portait également sur des marchandises livrées en exécution de la commande dite "atelier brousse" ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Boccard fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable sa requête en revendication en ce qu'elle portait sur les biens livrés en exécution du marché "atelier brousse", alors, selon le moyen, que l'administrateur avec l'accord du débiteur peut acquiescer à la demande en revendication ; qu'à défaut d'accord ou en cas de contestation, la demande est portée devant le juge-commissaire ; que celui qui se prévaut de sa qualité de créancier impayé dans le cadre d'une action en revendication devant l'administrateur judiciaire et le juge-commissaire entend nécessairement obtenir restitution du matériel livré ; qu'en l'espèce, dans le cadre de son action en revendication, la société Boccard a fait état devant M. X..., ès qualités, puis devant le juge-commissaire, de sa qualité de créancière tant au titre de la tranche «nouvelle usine» qu'au titre de celle «atelier brousse» ; qu'en se prévalant ainsi de sa qualité de créancière au titre de ces deux tranches de marché, la société Boccard a nécessairement entendu revendiquer le matériel livré en exécution de ces deux tranches ; que pour déclarer irrecevable l'action en revendication formée par la société Boccard, la cour d'appel a pourtant retenu que faute d'avoir expressément précisé devant l'administrateur judiciaire et le juge-commissaire les biens qu'elle entendait revendiquer au titre de la tranche de marché «atelier brousse», la société Boccard avait renoncé à revendiquer ces matériels ; qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune disposition n'impose au créancier de détailler expressément les biens qu'il entend revendiquer, la cour d'appel a violé l'article L. 624-17 du code de commerce ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la requête en revendication présentée par la société Boccard énumérait des matériels qui avaient été livrés exclusivement dans le cadre de l'exécution du marché "nouvelle usine", l'arrêt en déduit à bon droit que la société Boccard avait limité sa demande à ces seuls biens ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société Boccard fait grief à l'arrêt d'avoir constaté que les biens livrés au titre du marché «nouvelle usine» ne se retrouvaient pas en nature dans le patrimoine de la société La Fermière au jour de l'ouverture de la procédure de sauvegarde et d'avoir, en conséquence, confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait rejeté sa demande, alors, selon le moyen :
1°/ que d'une part peuvent être revendiqués, à condition qu'ils se retrouvent en nature, les biens mobiliers incorporés dans un autre bien lorsque la séparation de ces biens peut être effectuée sans qu'ils en subissent un dommage ; que l'incorporation du bien revendiqué dans un autre bien ne fait obstacle à la revendication qu'au cas où le démontage causerait nécessairement un dommage aux biens concernés ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande en revendication de la société Boccard, la cour d'appel a retenu que le démontage des éléments livrés imposerait des «opérations techniquement complexes» ; qu'en se fondant sur cette seule circonstance au surplus subjective, qui n'établissait pas que le démontage était de nature à causer un dommage aux biens litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 624-16 du code de commerce ;
2°/ que d'autre part, peuvent être revendiqués, à condition qu'ils se retrouvent en nature, les biens mobiliers incorporés dans un autre bien lorsque la séparation de ces biens peut être effectuée sans qu'ils en subissent un dommage ; que l'intégration du bien livré dans un ensemble fonctionnel constitutif d'un bien nouveau ne fait obstacle à l'action en revendication que lorsque ses éléments sont indissociables, ce qui doit être précisément constaté par les juges du fond ; qu'en l'espèce, pour rejeter l'action en revendication formée par la société Boccard, la cour d'appel a retenu que la mise en place des matériels livrés avait emporté «intégration d'éléments constitutifs interconnectés entre eux et indissociables qui a eu pour conséquence la création d'un bien nouveau» ; qu'en statuant ainsi, sans relever en quoi les éléments livrés étaient indissociables, alors que la seule création d'un bien nouveau n'était pas de nature à établir l'indissociabilité de ces éléments, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 624-16 du code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir relevé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments du débat, que la mise en place des matériels livrés ne pouvait être réduite à une simple activité d'installation de composants juxtaposés aisément détachables mais devait être regardée comme constituant une opération d'intégration d'éléments constitutifs interconnectés entre eux et indissociables ayant eu pour conséquence la création d'un ensemble nouveau, la cour d'appel a pu en déduire que les biens revendiqués ne se retrouvaient pas en nature dans le patrimoine de la débitrice au jour de l'ouverture de la procédure de sauvegarde ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Boccard aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société Boccard.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable la demande de revendication de la société BOCCARD en ce qu'elle portait sur les biens livrés dans le cadre de l'exécution du marché « ATELIER BROUSSE » ;
AUX MOTIFS QUE « par courrier recommandé du 5 juin 2009, la SA BOCCARD a présenté à Monsieur Frédéric X... ès qualités une requête en revendication en vertu d'une clause de réserve de propriété puis en l'absence de réponse de ce dernier, a saisi le juge-commissaire aux mêmes fins le 20 juillet 2009 ; que dans cette requête, la SA BOCCARD énumère précisément les matériels qu'elle revendique (pages juillet 2009) lesquels ont été livrés exclusivement dans le cadre de l'exécution du marché « Nouvelle Usine » ; que ce n'est que par voie de conclusions signifiées le 21 juillet 2010 dans le cadre de la procédure d'appel que la SA BOCCARD ajoutant à sa demande initiale a inclus dans sa revendication les matériels livrés dans le cadre du marché « Atelier Brousse » dont le détail figure en pages 51 in fine à 52 de ses conclusions ; qu'il s'ensuit que concernant ces éléments, sa demande doit être déclarée irrecevable comme n'ayant pas été soumise préalablement au juge-commissaire ; qu'en effet, c'est de manière inopérante que la SA BOCCARD soutient que l'application de la clause de réserve de propriété aurait été écartée à tort par le juge-commissaire et par le tribunal en ce qui concerne « l'Atelier Brousse » dès lors qu'ayant elle-même expressément limité sa demande aux seuls biens livrés dans le cadre du marché « Nouvelle Usine », il est sans emport que cette clause soit opposable à la SA LA FERMIERE pour les deux marchés pour avoir été stipulée dans l'offre écrite régissant l'ensemble des relations commerciales des parties » ;
ALORS QUE l'administrateur avec l'accord du débiteur peut acquiescer à la demande en revendication ; qu'à défaut d'accord ou en cas de contestation, la demande est portée devant le juge-commissaire ; que celui qui se prévaut de sa qualité de créancier impayé dans le cadre d'une action en revendication devant l'administrateur judiciaire et le Juge commissaire entend nécessairement obtenir restitution du matériel livré ; qu'en l'espèce, dans le cadre de son action en revendication, la société BOCCARD a fait état devant Maître X..., ès qualités, puis devant le Juge-commissaire, de sa qualité de créancière tant au titre de la tranche « NOUVELLE USINE » qu'au titre de celle « ATELIER BROUSSE » ; qu'en se prévalant ainsi de sa qualité de créancière au titre de ces deux tranches de marché, la société BOCCARD a nécessairement entendu revendiquer le matériel livré en exécution de ces deux tranches ; que pour déclarer irrecevable l'action en revendication formée par la société BOCCARD, la Cour d'appel a pourtant retenu que faute d'avoir expressément précisé devant l'administrateur judiciaire et le Juge commissaire les biens qu'elle entendait revendiquer au titre de la tranche de marché « ATELIER BROUSSE », la société BOCCARD avait renoncé à revendiquer ces matériels ; qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune disposition n'impose au créancier de détailler expressément les biens qu'il entend revendiquer, la Cour d'appel a violé l'article L. 624-17 du Code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que les biens livrés au titre du marché « NOUVELLE USINE » ne se retrouvaient pas en nature dans le patrimoine de la société LA FERMIERE au jour de l'ouverture de la procédure de sauvegarde et d'avoir, en conséquence, confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait débouté la société BOCCARD de ses demandes ;
AUX MOTIFS QU'« il résulte du devis n° 3 104 A MB 8023-99 du 20 mars 2006 de la SA BOCCARD que cette dernière a livré à la SA LA FERMIERE et installé des équipements automatisés pilotés numériquement et destinés, après intégration à des éléments existant appartenant à sa cliente (cuves, automates process) à constituer une chaîne complète de fabrication de produits laitiers dans un local spécial aménagé pour la recevoir, des travaux de percement et d'ouverture de passages en cloisons et toiture étant d'ailleurs à la charge de la SA LA FERMIERE (devis page 59) ; que la dépose des équipements livrés implique, comme tant le constat d'huissier versé aux débats par la SA BOCCARD que le détail des prestations énuméré par le devis précité permettent de s'en convaincre, le débranchement de l'ensemble du câblage électrique et des chemins de câble d'alimentation (devis page 60) ainsi que du réseau filaire de communication reliant les pasteurisateurs comme les variateurs de fréquence (devis page 50), la dépose des tableaux de commande, la neutralisation du système de pilotage numérique, l'enlèvement des tuyauteries reliées aux collecteurs de fluide de l'usine et aux exutoires spécialement crées à cet effet (devis page 59) ; que par ailleurs, si certains éléments sont fixés au sol par boulonnage ou reliés entre eux par vissage, d'autres ont fait l'objet de soudures (devis pages 15, 21, 25, 29 et 32), la prestation de la SA BOCCARD incluant d'ailleurs la fourniture de gaz de soudure (devis page 60) et la prise en charge des responsabilités concernant l'emploi du soudage (devis page 66) ; qu'il s'agit dès lors, contrairement a ce qui est soutenu, d'opérations techniquement complexes ; que la mise en place des matériels livrés ne peut, par suite, être réduite à une simple activité d'installation de composants juxtaposés aisément détachables mais doit être regardée comme constituant une opération d'intégration d'éléments constitutifs interconnectés entre eux et indissociables qui a eu pour conséquence la création d'un ensemble nouveau ; qu'il ne peut être considéré, dans ces conditions, que les biens revendiqués se retrouvaient en nature dans le patrimoine de la débitrice au jour de l'ouverture de la procédure de sauvegarde ; que la décision déférée doit être, en conséquence, confirmée en ce qu'elle a débouté la SA BOCCARD de sa requête en revendication » ;
1/ ALORS QUE d'une part peuvent être revendiqués, à condition qu'ils se retrouvent en nature, les biens mobiliers incorporés dans un autre bien lorsque la séparation de ces biens peut être effectuée sans qu'ils en subissent un dommage; que l'incorporation du bien revendiqué dans un autre bien ne fait obstacle à la revendication qu'au cas où le démontage causerait nécessairement un dommage aux biens concernés ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande en revendication de la société BOCCARD, la Cour d'appel a retenu que le démontage des éléments livrés imposerait des « opérations techniquement complexes » (arrêt, p. 6, antépénultième alinéa) ; qu'en se fondant sur cette seule circonstance au surplus subjective, qui n'établissait pas que le démontage était de nature à causer un dommage aux biens litigieux, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 624-16 du Code de commerce ;
2/ ALORS QUE d'autre part, peuvent être revendiqués, à condition qu'ils se retrouvent en nature, les biens mobiliers incorporés dans un autre bien lorsque la séparation de ces biens peut être effectuée sans qu'ils en subissent un dommage ; que l'intégration du bien livré dans un ensemble fonctionnel constitutif d'un bien nouveau ne fait obstacle à l'action en revendication que lorsque ses éléments sont indissociables, ce qui doit être précisément constaté par les juges du fond ; qu'en l'espèce, pour rejeter l'action en revendication formée par la société BOCCARD, la Cour d'appel a retenu que la mise en place des matériels livrés avait emporté «intégration d'éléments constitutifs interconnectés entre eux et indissociables qui a eu pour conséquence la création d'un bien nouveau » (arrêt, p. 6, pénultième alinéa) ; qu'en statuant ainsi, sans relever en quoi les éléments livrés étaient indissociables, alors que la seule création d'un bien nouveau n'était pas de nature à établir l'indissociabilité de ces éléments, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 624-16 du Code de commerce ;