LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 2270-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par acte authentique reçu les 2 et 9 décembre 1988 par M. X..., notaire, MM. Y... et Z... ont constitué la société civile d'exploitation agricole de la Roche (la SCEA), aujourd'hui en liquidation judiciaire, et ont été désignés en qualité de cogérants ; que M. Y... s'est engagé, dans les statuts, à mettre à la disposition de la société diverses terres agricoles dont il était locataire ; que l'acte prévoyait en outre "que dans le cas où M. Y... deviendrait propriétaire des biens dont s'agit, il serait tenu de consentir un bail à la société ou de lui concéder la jouissance jusqu'à sa dissolution" ; qu'à la suite du décès de sa mère, survenu le 9 avril 1991, M. Y... est devenu propriétaire d'une partie des parcelles exploitées par la SCEA ; qu'au mois d'avril 1991, il a notifié à la société son intention de mettre un terme à la mise à disposition de ces terres ; que M. Z... a alors saisi un tribunal paritaire des baux ruraux d'une action tendant au respect par M. Y... de ses engagements statutaires et à l'établissement d'un bail à ferme sur les parcelles litigieuses ; que son action a été jugée irrecevable, par jugement du 23 novembre 1994, au motif qu'il n'était pas habilité à agir seul au nom de la SCEA ; que par arrêt du 26 mars 1996, une cour d'appel a infirmé la décision, déclaré les demandes recevables et jugé que la promesse de bail consentie par M. Y... constituait un bail perpétuel contraire aux dispositions de l'article 1709 du code civil ; que par arrêt du 27 mai 1998 (bull n° 11), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision ; que par ordonnance de référé du 28 juillet 1999, confirmée par un arrêt du 11 février 2000, M. Y... a obtenu l'expulsion de la SCEA de la Roche des parcelles qu'il tenait de sa mère, la SCEA conservant la disposition des terres données à bail rural à M. Y... ; que reprochant à M. X... d'avoir inséré dans les statuts de la société une clause atteinte de nullité, M. Z... l'a assigné devant un tribunal de grande instance qui, par jugement du 25 octobre 2001, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes au motif que seule la SCEA avait qualité à agir en responsabilité contre le notaire ; que par acte du 9 avril 2008, la SCEA, représentée par son mandataire liquidateur, a assigné le notaire en indemnisation du préjudice subi du fait de la privation des terres appartenant à M. Y... ; que par jugement du 3 décembre 2009, le tribunal, après avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription décennale de l'action engagée et fixé le point de départ du délai de prescription au 11 février 2000, a retenu que le notaire avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité puis a sursis à statuer sur l'existence et l'étendue du préjudice dans l'attente de la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par ses soins ;
Attendu que pour déclarer prescrite l'action en responsabilité engagée à l'encontre de M. X..., l'arrêt infirmatif énonce que la décision du 26 mars 1996, constatant la nullité des engagements contractuels souscrits par M. Y..., procédure à laquelle la SCEA de la Roche était partie, est propre à constituer le fait dommageable qui a fait courir le délai de prescription, l'ordonnance de référé du 28 juillet 1999 et l'arrêt confirmatif du 11 février 2000 prononçant l'expulsion de la SCEA n'étant que la conséquence de la précédente décision ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le dommage allégué par la SCEA de la Roche, pris de la perte d'exploitation subie du fait d'une diminution de la superficie des terres exploitées n'avait pu se réaliser qu'au jour de son expulsion définitive, qui marquait le point de départ du délai de prescription décennale, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. X... de sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 5 avril 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... ; le condamne à payer à la société Garnier Guillouet, ès qualités, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour la société Garnier Guillouet, ès qualités
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable la SCEA DE LA ROCHE, représentée par son liquidateur, en son action en responsabilité civile délictuelle dirigée contre Maître Jacques-André X..., notaire ;
AUX MOTIFS QU'en vertu des dispositions de l'article 2270-1, alinéa 1er du Code civil, prises en leur rédaction applicable aux faits de la cause, les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ; qu'il s'infère de ce texte que la prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si elle établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'il convient donc de rechercher la date à laquelle la SCEA DE LA ROCHE a été privée de ses terres ; qu'il n'est pas contesté qu'en 1991, Monsieur Y... a notifié à la SCEA DE LA ROCHE son intention de mettre un terme à la mise à disposition des terres et de reprendre la libre jouissance de son bien ; qu'en outre, et comme il est rappelé en tête du présent arrêt, la Cour d'appel, statuant sur l'appel du jugement rendu par le Tribunal paritaire des baux ruraux de Meaux, a déclaré la demande de Monsieur Z... recevable mais non fondée aux motifs que les engagements contractuels de Monsieur Y... s'analysaient en un bail perpétuel contraire aux dispositions de l'article 1709 du Code civil ; que le pourvoi en cassation n'ayant pas d'effet suspensif, l'arrêt de la Cour d'appel est propre à constituer le fait dommageable qui a fait courir le délai de prescription dès lors que l'ordonnance de référé du 28 juillet 1999 et l'arrêt confirmatif du 11 février 2000 portant expulsion de la SCEA DE LA ROCHE n'étaient que la conséquence de l'arrêt du 26 mars 1996 qui constate la nullité du bail et auquel la SCEA DE LA ROCHE était partie ; qu'en l'occurrence, il convient de retenir, comme point de départ du cours de la prescription décennale, le 26 mars 1996, date de réalisation du dommage et à laquelle la SCEA DE LA ROCHE en a eu connaissance ; que la SCEA DE LA ROCHE ayant fait assigner Monsieur X... par acte du 9 avril 2008, l'action est irrecevable comme étant prescrite ;
ALORS QUE sous l'empire du droit antérieur à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les actions en responsabilité civile délictuelles se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage, laquelle ne saurait être confondue avec la révélation du fait dommageable ; qu'en l'espèce, l'action en responsabilité délictuelle tendait à la réparation du préjudice subi par la SCEA DE LA ROCHE du fait de la privation des terres antérieurement mises à sa disposition par Monsieur Y... ; que ce préjudice ne pouvait se manifester, par hypothèse, avant que la SCEA ne fût effectivement privée des terres en cause ; qu'il s'ensuit, comme l'avait exactement jugé le tribunal et comme le soutenait l'intimée (cf. ses dernière écritures, page 5), que jusqu'à la date de l'expulsion définitive de la SCEA DE LA ROCHE, le préjudice, qui n'existait auparavant qu'en germe, ne s'était pas encore manifesté ; qu'en faisant néanmoins remonter le point de départ de la prescription décennale à la date de l'arrêt du 26 mars 1996 ayant constaté la nullité de la promesse de bail perpétuelle dont étaient assortis les statuts de la SCEA DE LA ROCHE, quand cette décision avait certes révéler le fait générateur de responsabilité, mais nullement le préjudice dont la SCEA DE LA ROCHE entendait obtenir réparation, lequel ne pouvait se manifester tant que celle-ci demeurait en possession des terres litigieuses, peu important à cet égard que la décision d'expulsion ait été la conséquence des décisions antérieurement rendues, la Cour viole l'article 2270-1, ancien, du Code civil, qui est applicable à la cause.