LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Philippe X...,
- M. Jackie Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 9e chambre, en date du 20 mai 2011, qui a condamné le premier, pour recel d'abus de biens sociaux, faux et usage, à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis, 40 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction des droits civiques, le second, pour complicité d'abus de biens sociaux, à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, 40 000 euros d'amende, deux ans d'interdiction des droits civiques ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé pour M. Y..., pris de la violation des articles L. 242-6 3° du code de commerce, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que la cour d'appel a déclaré M. Y... coupable de complicité d'abus de bien social ;
" aux motifs que M. Jean Z... s'est rendu coupable d'abus de biens sociaux en faisant supporter à la SA Teuchos holding les frais de cession de ses actions ; que désigné par MM. X... et Z..., comme ayant conçu le libellé des fausses factures liées à la cession, sus évoquée, des actions de la SA Teuchos Holding et fait signer les chèques en règlement, M. Y..., conteste ces accusations ; qu'il ressort, cependant, de l'enquête et des débats que celui-ci cumulait son emploi de fonctionnaire des services fiscaux avec la fonction de directeur administratif et financier de la SA Teuchos Holding de 2000 à 2001, sans rémunération selon ses dires, malgré un projet de contrat de travail indiquant un salaire annuel de 600 000 francs, un véhicule de fonction et des avantages sociaux ; qu'il convient de rappeler que M. Y... avait fait l'objet d'un refus exprès de mise en disponibilité par son corps d'origine, en septembre 2000, au motif que son service avait réalisé des investigations sur les dirigeants du groupe ; que M. X... a précisé que ce dernier disposait d'un bureau, d'un téléphone, d'un ordinateur et que, présent deux jours par semaine, son rôle ne faisait aucun doute au sein de la SA Teuchos Holding ; que M. Z... a affirmé que M. Y... lui avait apporté le parapheur contenant les chèques relatifs aux fausses factures, ce qui formalise l'élément matériel de la complicité par aide et assistance qui lui est reprochée ; que contrairement aux allégations de M. Y..., le dirigeant n'avait pas de problème de santé à cette époque là et était continûment présent dans l'entreprise ; que M. Rodolphe Z..., fils du dirigeant de la société Teuchos, a déclaré que " M. Y... avait avalisé les factures de M. X... et comme il représentait l'autorité de l'Etat, il avait eu confiance " ; que M. X... a mentionné que la facture de M. A... d'un montant, toutes taxes comprises, de 700 000 francs et découlant directement du paiement de ses trois propres factures, à titre de frais de cession, avait été négociée " après accord avec M. Y... " et M. A... a affirmé à plusieurs reprises " avoir fait intervenir M. Y... pour remettre de l'ordre dans la comptabilité de M. X... " ; que M. X... a soutenu que c'était M. Y... qui avait eu l'idée de scinder la « grosse facture » et qui, avec M. A..., avait décidé à l'avance des honoraires à solliciter dès le 6 juillet 2001 pour la cession de la société Teuchos ; que, dans ces conditions, la connaissance par M. Y... des fausses factures ne fait pas de doute et en les faisant signer par M. Z..., il s'est rendu complice de l'abus de biens sociaux dont M. Z... a été déclaré coupable ;
qu'en tant qu'inspecteur des impôts, celui-ci a nécessairement vu leur caractère factice, ce qu'il ne nie pas, mais ne l'a pas dénoncé " car il s'estimait tenu par le secret professionnel absolu découlant de l'article 6-3 de son contrat de travail ", ce qui est en complète contradiction avec son affirmation de n'avoir jamais été employé par la société Teuchos ; qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments, c'est donc à bon droit que le tribunal a retenu la complicité de M. Y... dans la réalisation des abus de biens sociaux imputés à M. Z... ; que la décision doit, dès lors, être confirmée de ce chef ;
" 1) alors qu'aucune déclaration de culpabilité ne peut être fondée sur des éléments recueillis en garde à vue si celle-ci s'est déroulée sans avocat et sans que le droit de se taire n'ait été notifié au gardé à vue ; qu'il résulte des pièces de la procédure que c'est lors de son audition en garde à vue, sans l'assistance d'un avocat et sans que le droit de se taire lui ait été notifié, que M. Z... a affirmé que M. Y... lui avait apporté le parapheur contenant les chèques relatifs aux fausses factures ; qu'en se fondant sur cette déclaration, irrégulièrement recueillie, pour caractériser un acte de complicité et entrer en voie de condamnation, la cour d'appel a méconnu l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
" 2) alors que, en se bornant à relever les seules déclarations de M. Z... selon lesquelles M. Y... a apporté un parapheur, en l'absence de tout autre élément objectif de nature à les accréditer, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs insuffisants à établir que le demandeur a bien apporté le parapheur litigieux, a privé sa décision de base légale ;
" 3) alors que le seul fait d'apporter un parapheur contenant des fausses factures ne suffit pas à caractériser l'élément matériel d'un acte de complicité punissable par aide et assistance ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article 121-7 du code pénal ;
" 4) alors que, en se bornant à rappeler que M. Y... cumulait son emploi de fonctionnaire avec des fonctions au sein de la SA Teuchos Holding, qu'il disposait d'un bureau, d'un téléphone, d'un ordinateur et qu'il était présent deux jours par semaine, circonstances inopérantes à établir le moindre acte de complicité d'abus de bien social au sens de l'article 121-7 du code pénal, la cour d'appel a privé sa décision de motifs ;
" 5) alors que, en se bornant à relever la seule affirmation de M. X... selon laquelle c'est M. Y... qui avait eu l'idée de scinder la « grosse facture », sans s'en expliquer davantage, et en l'absence de tout élément objectif de nature à appuyer cette affirmation, lorsqu'il résulte de l'ordonnance de renvoi que ce sont MM. X... et A... qui ont eu l'idée de fractionner le montant de cette facture en trois factures portant des libellés vagues susceptibles d'être payées par la société Teuchos holding, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs insuffisants à établir la connaissance par M. Y... des fausses factures " ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche en ce qu'il invoque le caractère irrégulier de déclarations d'un tiers, reçues en garde à vue, et qui, pour le surplus, se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Mais sur le moyen unique de cassation proposé pour M. X..., pris de la violation de l'article 132-24 du code pénal, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné M. X... à la peine de deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis ainsi qu'à une amende délictuelle de 40 000 euros et à la privation des droits civiques pour une durée de cinq ans, des chefs de recel d'abus de biens sociaux, de faux et d'usage ;
" aux motifs que, compte tenu de la gravité des infractions, de la personnalité de leurs auteurs et notamment de la profession qu'ils exerçaient, le tribunal a, s'agissant des peines d'emprisonnement assorties du sursis, d'amende, et de privation des droits civils, civiques et de famille, fait une juste appréciation des sanctions à prononcer et celles-ci doivent être confirmées ;
" 1) alors qu'en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive prononcées en application de l'article 132-19-1 du code pénal, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; qu'en retenant, pour prononcer une peine ferme d'emprisonnement de deux ans dont un an avec sursis, sans expliquer en quoi, outre la gravité des faits, la personnalité des prévenus rendait les peines prononcées à leur encontre nécessaires et exclusives de toute autre sanction, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
" 2) alors qu'en s'abstenant d'expliquer en quoi toute mesure d'aménagement de la peine était impossible, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des dispositions précitées " ;
Vu l'article 132-24 du code pénal ;
Attendu qu'il résulte de ce texte, qu'en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l'article 132-19-1 dudit code, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que, dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 de ce code ;
Attendu que, pour condamner M. X..., à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans caractériser la nécessité de la peine d'emprisonnement sans sursis conformément aux dispositions de l'article 132-24 du code pénal, ni l'impossibilité d'ordonner une mesure d'aménagement, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle sera limitée aux peines, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure ;
Par ces motifs :
I-Sur le pourvoi de M. Y... :
Le REJETTE ;
II-Sur le pourvoi de M. X... :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 20 mai 2011, en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et, pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Ract-Madoux conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;