LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., engagé en 1997 par la société France Distribution Système, est devenu salarié de la société Cemga Logistics à compter du 14 janvier 2005 ; que, par lettre du 21 juillet 2008, celle-ci lui a notifié son licenciement pour faute lourde " pour blocage du site de Villey-Saint-Etienne avec abus caractérisé du droit de grève et atteinte à la liberté du travail ainsi qu'à la libre circulation des individus et des biens " ; que M. X... a saisi la juridiction prud'homale pour solliciter l'annulation de son licenciement et le paiement de diverses indemnités ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que la société Cemga Logistics fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié le salaire afférent à la mise à pied conservatoire alors, selon le moyen, que l'employeur peut décider, dans l'attente de l'issue de la procédure de licenciement qu'il a engagée, de mettre à pied à titre conservatoire le salarié pour une durée limitée, ou suspendre la mise à pied conservatoire décidée initialement pour une durée non limitée ; que le caractère justifié ou non de la mise à pied conservatoire ainsi décidée dépend exclusivement de la question de savoir si elle est suivie ou non d'un licenciement reposant sur une faute grave ou lourde établie ; qu'en jugeant que la mise à pied conservatoire décidée par la société Cemga Logistics n'aurait pas été « indispensable » au seul motif que l'employeur avait décidé, durant la procédure de licenciement, d'en suspendre l'effet, bien qu'elle ait reconnu par ailleurs que le licenciement reposait sur une faute lourde du salarié, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article L. 1332-3 du code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, en relevant que la suspension des mises à pied des salariés grévistes était motivée par la volonté de la direction d'obtenir la démission d'un meneur syndicaliste, a fait ressortir que la mise à pied conservatoire n'était pas nécessaire ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :
Vu l'article L. 2511-1 du code du travail ;
Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute lourde, l'arrêt retient que le constat du 30 juin 2008 mentionne l'attitude du salarié, placé devant le camion immatriculé ... dont la remorque était pleine de produits à décharger et interdisant à ce véhicule l'accès au site de Villey-Saint-Etienne ; que le blocage d'un camion caractérise de la part du salarié une entrave à la libre circulation des véhicules ;
Qu'en statuant par ce seul motif, sans qu'il résulte de ses constatations que le blocage d'un camion entravait le travail des salariés ne participant pas au mouvement de grève ou entraînait une désorganisation de l'entreprise, faute d'autre accès aux locaux de l'entreprise, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
Rejette le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société Gemga Logistics à payer à M. X... la somme de 715, 51 euros au titre de la mise à pied conservatoire, l'arrêt rendu le 15 septembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société Gemga Logistics aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 2 500 euros à M. X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mai deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Monod et Colin, avocat aux Conseils pour M. X... (demandeur au pourvoi principal)
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, en sa partie infirmative, d'avoir dit que le licenciement de M. X... était fondé sur une faute lourde et de l'avoir en conséquence débouté de ses demandes en annulation du licenciement et en indemnisation ;
AUX MOTIFS QUE la grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail sauf Faute lourde imputable au salarié ; qu'il appartient à l'employeur de prouver la faute lourde du salarié ; que la société CEMGA LOGISTICS reproche à M. Christian X... d'avoir bloqué le site de Villey-Saint-Etienne « avec abus caractérisé du droit de grève et atteinte à la liberté du travail ainsi qu'à la libre circulation des individus et des biens » ; que le constat du 30 juin 2008 mentionne l'attitude de M. X..., placé devant le camion immatriculé ... dont la remorque était pleine de produits à décharger et interdisant à ce véhicule l'accès au site de Villey-Saint-Etienne ; que le blocage d'un camion caractérise de la part de M. X... une entrave à la libre circulation des véhicules ; que M. X... a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire à compter du jour où il a reçu la lettre de convocation à un entretien préalable : que cette mesure qui n'a aucun caractère obligatoire doit être rendue indispensable par la nature des reprochés au salarié (article 1332-3 du code du travail) ; que, de fait, M. X... a pu reprendre son travail à partir du 4 juillet 2008 ; que cette suspension de la mise à pied des grévistes était motivée par la volonté de la direction d'obtenir la démission d'un meneur syndicaliste, M. Y... ; que les raisons de cette suppression de la mise à pied ne permettent pas de considérer que l'employeur a renoncé à utiliser la qualification de faute lourde dans le cadre de la procédure de licenciement engagée ; que les faits reprochés à M. X... établissent sa participation personnelle à une action illicite d'entrave à la circulation d'un véhicule ; que cette action constitue une faute lourde qui autorise le licenciement de ce salarié sans indemnité ; que cependant, l'attitude de la CEMGA LOGISTICS met en évidence l'absence de caractère « indispensable » de la mise à pied prononcée ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la faute lourde imputable à un salarié gréviste suppose que celui-ci ait entravé la liberté du travail et désorganisé l'activité de l'entreprise en étant animé d'une intention de nuire ; qu'en déduisant la faute lourde de M. X... du seul fait qu'à l'occasion d'une action collective de grève, il s'était placé devant un camion dont la remorque était pleine de produits à décharger et avait interdit à ce véhicule l'accès à l'un des sites de l'entreprise, le site de Villey-Saint-Etienne, participant ainsi personnellement à une action illicite d'entrave à la circulation d'un véhicule, la cour d'appel qui n'a pas relevé l'intention de nuire du salarié et qui, en ne précisant ni la durée ni l'ampleur du blocage et en ne recherchant pas si d'autres accès au site étaient possibles, comme l'avaient fait les premiers juges, et si, comme le soutenait M. X..., certains véhicules avaient pu circuler normalement, n'a pas caractérisé la désorganisation de l'entreprise, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2511-1 du code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE, comme la faute grave, la faute lourde suppose que le maintien de salariés dans l'entreprise, même durant la durée du préavis, soit impossible ; qu'en imputant à M. X... une faute lourde tout en constatant qu'il avait pu reprendre son travail à partir du 4 juillet 2008, en raison de la suspension par l'employeur de la mise à pied prononcée contre lui, ce dont il résulte que les faits du 30 juin 2008 invoqués dans la lettre de licenciement n'étaient pas incompatibles avec la présence du salarié dans l'entreprise pendant la durée de son préavis, la cour d'appel a violé l'article L. 2511-1 du code du travail.
Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour la société Cemga Logistics (demanderesse au pourvoi incident)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il avait condamné la Société CEMGA LOGISTICS à payer à Monsieur X... les sommes de 715, 44 € à titre de salaire pour la période de mise à pied conservatoire et celle de 834, 70 € à titre d'indemnité de congés payés ;
AUX MOTIFS QUE « cependant l'attitude de la SAS CEMGA LOGISTICS met en évidence l'absence de caractère " indispensable " de la mise à pied prononcée ; que, dès lors, Monsieur X... est fondé en sa demande de paiement du salaire pendant la mise à pied, soit 715, 51 € ; qu'il convient de confirmer aussi le jugement en ce qu'il a alloué à Monsieur X... la somme de 834, 70 € à titre d'indemnité de congés payés » ;
ALORS QUE l'employeur peut décider, dans l'attente de l'issue de la procédure de licenciement qu'il a engagée, de mettre à pied à titre conservatoire le salarié pour une durée limitée, ou suspendre la mise à pied conservatoire décidée initialement pour une durée non limitée ; que le caractère justifié ou non de la mise à pied conservatoire ainsi décidée dépend exclusivement de la question de savoir si elle est suivie ou non d'un licenciement reposant sur une faute grave ou lourde établie ; qu'en jugeant que la mise à pied conservatoire décidée par la Société CEMGA LOGISTICS n'aurait pas été « indispensable » au seul motif que l'employeur avait décidé, durant la procédure de licenciement, d'en suspendre l'effet, bien qu'elle ait reconnu par ailleurs que le licenciement reposait sur une faute lourde du salarié, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article L. 1332-3 du Code du travail.