LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le second moyen :
Vu les articles 688 et 691 du code civil ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l'homme pour être exercées ; qu'apparentes ou non apparentes, elles ne peuvent s'établir que par titre ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 2 mars 2011), que la SCI Cefralaur (la SCI), propriétaire de locaux mitoyens à ceux des époux X..., et les époux Y..., qui exploitent un commerce dans l'immeuble de la SCI, ont assigné les époux X...pour les voir condamner à faire cesser les écoulements d'eaux usées sur leur propriété ;
Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que la canalisation reliée au tout-à-l'égout communal desservant tant les toilettes du fonds X...qu'un lavabo du fonds de la SCI Y...et qui court le long du mur séparant les deux fonds, côté Bosquer, est ancienne et apparente, que les époux Y...ne font état d'aucune interrogation de leur part lorsqu'ils ont acquis le fonds en juin 2001, alors que cette canalisation, qui était visible, pouvait constituer le signe apparent d'une servitude d'écoulement, et en déduit que le fonds X...a acquis une servitude d'écoulement des eaux usées par usage trentenaire ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, fût-elle apparente, la servitude d'écoulement des eaux usées, dont l'exercice exige le fait de l'homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le premier moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté la SCI et les époux Y...de leurs demandes relatives à la canalisation des eaux usées située sur le fonds de la SCI et condamné la SCI et les époux Y..., d'une part, et les époux X..., d'autre part, à financer à leurs frais partagés, la réparation de cette canalisation, l'arrêt rendu le 2 mars 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne les époux X...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les époux X...à payer à la SCI et aux époux Y...la somme de 2 500 euros ; rejette la demande des époux X...;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux mai deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour les époux Y...et la SCI Cefralaur
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. et Mme Y..., ainsi que la société civile immobilière Cefralaur, de leur demande tendant à la condamnation de M. et Mme X...à récupérer les eaux de pluie de leur immeuble sur l'emprise de leur terrain ;
AUX MOTIFS QUE l'article 681 du code civil dispose que tout propriétaire doit établir des toits de manière à ce que les eaux pluviales s'écoulent sur son terrain ou sur la voie publique et qu'il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin ; que cette disposition légale ne peut être mise en échec que par la preuve de l'acquisition d'une servitude contraire, qui incombe à celui qui s'en prévaut ; que selon les constatations de l'expert, les eaux du toit des époux X...se déversent dans un chêneau « commun avec 2 fonds mais situé sur le fonds de M. Y...… L'évacuation se fait ensuite par une descente de gouttière dans la propriété Y..., puis un caniveau » ; qu'il résulte des nombreuses photos versées aux débats que les toitures respectives des annexes des bâtiments appartenant aux parties sont accolées depuis une période immémoriale, s'agissant de bâtiments anciens ; que tant les constatations de l'expert que les attestations du couvreur et de l'employée des époux X...établissent que la réfection de la toiture menée en 2004 par les époux X...n'a pas eu pour effet de modifier la pente du toit et le sens d'écoulement des eaux de pluie ; qu'il est par ailleurs démontré qu'un dispositif ancien d'écoulement des eaux existait au même endroit ; que bien que soit évoquée, dans un dire du 21 novembre 2006, l'hypothèse d'une modification de l'écoulement des eaux lors de la couverture d'une ancienne cour dans la propriété X..., aucun élément ne la confirme, et une telle recherche n'entrait pas dans la mission de l'expert, qui l'a d'ailleurs rappelé dans sa réponse, en observant en outre qu'un éventuel rejet à l'égout serait illégal ; que les experts précisent qu'aucune solution autre que celle existante ne peut être proposée ; qu'une photo produite par les époux X...et non contestée par les époux Y...montre par ailleurs que ces travaux effectués en 2004 comportaient initialement un dispositif de protection en zinc destiné à prévenir toute infiltration à la jonction des deux toitures, et qu'il a été supprimé lors de l'édification par Cefralaur et les époux Y...du muret surplombant la nouvelle terrasse qu'ils ont fait édifier postérieurement, sur leur propre partie de toiture ; que selon l'expert, c'est cette situation qui est à l'origine des infiltrations, et non, en lui-même, l'écoulement des eaux pluviales ; qu'ainsi, d'une part, la situation des lieux révèle que l'écoulement des eaux du toit du fonds X...se fait, depuis plus de trente ans, sur le fonds Y..., et que les propriétaires du fonds ainsi dominant ont dès lors bel et bien acquis une servitude d'écoulement des eaux de toit, et, d'autre part, que cette servitude n'est pas à l'origine des infiltrations déplorées par les époux Y...; que le jugement sera donc confirmé sur le rejet des demandes des époux Y...et de Cefralaur en ce qui concerne la suppression de cet écoulement ; que la précision sollicitée par les époux X..., selon laquelle la modification du chêneau se fera selon les préconisations de leur couvreur est superfétatoire et que cette demande sera rejetée ;
ALORS, EN PREMIER LIEU, QUE les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que dans leurs conclusions d'appel (signifiées le 28 décembre 2010, p. 4 § 8), M. et Mme Y...et la société civile immobilière Cefralaur faisaient valoir que les photographies produites aux débats établissaient que le système d'évacuation des eaux de pluie avait été modifié en 2004, de sorte qu'aucune prescription trentenaire n'était acquise ; qu'en s'abstenant d'examiner ces documents, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, EN DEUXIEME LIEU, QUE la reconnaissance d'une servitude d'égout des toits acquise par prescription trentenaire suppose que les eaux litigieuses se soient toujours déversées, pendant au moins trente ans, sur le fonds servant ; qu'en retenant l'existence d'une telle servitude au profit du fonds de M. et Mme Y..., tout en constatant qu'à l'occasion de travaux réalisés en 2004, un système de protection en zinc avait été supprimé, qui avait modifié le cours des eaux à la jonction des deux toitures et aggravé la situation du fonds servant (arrêt attaqué, p. 4, alinéa 7), ce dont il s'évinçait qu'aucune prescription trentenaire n'était acquise, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 681 et 2272 du code civil ;
ALORS, EN TROISIEME LIEU, QU'il appartient à celui qui se prévaut de la prescription acquisitive de démontrer que ses conditions sont réunies, notamment celle tendant à la durée ; qu'en estimant que « la situation des lieux révèle que l'écoulement des eaux du toit du fonds X...se fait, depuis plus de trente ans, sur le fonds Y..., et que les propriétaires du fonds ainsi dominant ont dès lors bel et bien acquis une servitude d'écoulement des eaux de toit » (arrêt attaqué, p. 4, alinéa 8), au seul motif que M. et Mme Y...et la société civile immobilière Cefralaur ne démontraient pas l'existence d'une modification de l'écoulement des eaux lors des travaux entrepris sur la toiture par M. et Mme Y...en 2004 (arrêt attaqué, p. 4, alinéa 5), la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé les articles 681 et 1315 du code civil ;
ALORS, EN QUATRIEME LIEU, QU'en estimant que M. et Mme Y...et la société civile immobilière Cefralaur n'étaient pas fondés à se plaindre des infiltrations provoquées par les eaux pluviales provenant du fonds des époux X..., au motif qu'ils avaient supprimé, lors de travaux réalisés en 2004, « un dispositif de protection en zinc destiné à prévenir toute infiltration à la jonction des deux toitures » (arrêt attaqué, p. 4, alinéa 7), cependant que c'était aux époux X..., à les supposer bénéficiaire d'une servitude d'écoulement des eaux pluviales, qu'il incombait de mettre en oeuvre tout dispositif de nature à éviter tout dégât causé par l'écoulement des eaux, la cour d'appel a violé l'article 681 du code civil ;
ALORS, EN CINQUIEME LIEU, QUE tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s'écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; qu'il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin ; qu'en estimant que le déversement des eaux pluviales du fonds des époux X...sur le fonds de M. et Mme Y...et de la société civile immobilière Cefralaur était inéluctable, dès lors que les experts ne proposaient aucune autre solution que celle existante (arrêt attaqué, p. 4, alinéa 6), la cour d'appel s'est déterminée par une motivation inopérante et n'a donc pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 681 du code civil ;
ET ALORS, EN DERNIER LIEU, QUE dans sa « note à l'expert judiciaire » du 26 octobre 2006 (p. 2 in fine), M. A..., désigné comme sachant par le juge des référés du tribunal de grande instance de Bernay, indiquait que la modification du réseau d'eaux pluviales de la propriété X...était possible, écrivant qu'« un transit, via la propriété X...vers le caniveau de la rue pourrait être envisagé » ; qu'en affirmant que les experts ne proposaient aucune autre solution que celle existante (arrêt attaqué, p. 4, alinéa 6), la cour d'appel a dénaturé ce document, violant ainsi le principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause, ensemble l'article 1134 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. et Mme Y..., ainsi que la société civile immobilière Cefralaur, de leur demande tendant à ce que M. et Mme X...soit condamnés à effectuer les travaux nécessaires à la récupération de leurs eaux usées sur l'emprise de leur immeuble ;
AUX MOTIFS QUE il résulte des constatations de l'expert qu'une canalisation desservant tant les toilettes situées sur le fonds X...qu'un lavabo dans le fonds Cefralaur Y...court le long du mur séparant les deux fonds, mais du côté Bosquer ; que cette canalisation est reliée au tout à l'égout communal ; qu'elle est apparente ; que les titres respectifs de propriété des parties ne contiennent aucune précision sur cette canalisation, ni d'ailleurs sur les limites exactes de propriété ; que l'objet du litige n'est d'ailleurs pas la propriété de cette canalisation, mais le fait qu'alors qu'elle paraît circuler, au moins en partie, sur le fonds Cefralaur Y..., elle dessert également le fonds X...; qu'il s'agit donc uniquement de déterminer si le fonds X...jouit ou non d'une servitude d'écoulement des eaux usées acquise par prescription trentenaire ; qu'il sera tout d'abord observé que les époux Y...ne font état d'aucune interrogation de leur part lorsqu'ils ont acquis le fonds en juin 2001, alors que cette canalisation, qui était visible, pouvait cependant constituer le signe apparent d'une servitude d'écoulement ; que, comme pour la servitude d'écoulement du toit, le seul examen des photos démontre que cette canalisation est fort ancienne ; que les époux Y...ne s'en sont par ailleurs plaints que lorsqu'ils ont entrepris de faire des travaux sur le lavabos qui y était raccordé, et l'ont percée accidentellement ; que le témoignage du plombier conduit à intervenir sur cette avarie confirme bien qu'elle serait en effet plus que trentenaire, et qu'un tel cas est fréquent dans les vieilles maisons de la localité ; que les époux Y...ne fournissent par ailleurs aucun élément démontrant que la présence de cette canalisation, qu'ils utilisent eux aussi, les empêcherait d'installer des toilettes accessibles à un handicapé ; que dès lors, complétant la réflexion des premiers juges sur ce point, la cour retiendra qu'il s'agit également d'une servitude acquise par usage trentenaire ;
ALORS QU'une servitude d'égout des eaux usées ne peut s'acquérir par prescription ; qu'en constatant l'absence de titre (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 3), puis en jugeant que le fonds des époux X...bénéficiait néanmoins d'une servitude d'égout des eaux usées « acquise par usage trentenaire » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 5), la cour d'appel a violé les articles 688 et 691 du code civil.