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28/03/2012 | FRANCE | N°10-27724

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 28 mars 2012, 10-27724


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 20 octobre 2010), que le contrat de travail de Mme X..., engagée le 22 mars 1994 en qualité de vendeuse, a été transféré le 1er février 2006 à la société Au Pain d'antan, cessionnaire du fonds de boulangerie ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale en résiliation judiciaire pour cause de harcèlement moral le 5 avril 2007 ;
Attendu que la société, son administrateur judiciaire et son représentant des créanciers font grief à l'arrêt

de dire le licenciement de la salariée nul et de condamner la société et l'admin...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 20 octobre 2010), que le contrat de travail de Mme X..., engagée le 22 mars 1994 en qualité de vendeuse, a été transféré le 1er février 2006 à la société Au Pain d'antan, cessionnaire du fonds de boulangerie ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale en résiliation judiciaire pour cause de harcèlement moral le 5 avril 2007 ;
Attendu que la société, son administrateur judiciaire et son représentant des créanciers font grief à l'arrêt de dire le licenciement de la salariée nul et de condamner la société et l'administrateur judiciaire à payer les indemnités de rupture ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et préjudice moral alors, selon le moyen :
1°/ qu'en cas de litige portant sur l'existence d'une situation de harcèlement moral, il appartient au salarié d'établir la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant présumer l'existence d'un harcèlement, à charge pour l'employeur de démontrer, au moyen d'éléments objectifs, que ces faits sont étrangers à tout harcèlement ; que, pour établir la matérialité des faits laissant présumer un harcèlement, le salarié ne peut se borner à produire des éléments qui émanent de lui-même ou ne comportent que ses propres allégations, mais doit produire des éléments de preuve objectifs et précis ; qu'en l'espèce, pour admettre l'existence de faits laissant présumer une situation de harcèlement moral, la cour d'appel s'est fondée uniquement sur l'attestation d'une cliente du magasin relatant une seule altercation, entre Mme X... et l'épouse du gérant, prétendument intervenue le 16 septembre 2006, une erreur dans la liste du personnel transmise au service de la médecine du travail, sur lequel ne figurait pas le nom de Mme X..., le journal intime de Mme X... dans lequel celle-ci évoquait son isolement au travail et des certificats médicaux sur lesquels il était indiqué que la salariée «se dit victime d'un harcèlement dans le cadre de son travail» ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé le principe constitutionnel du respect des droits de la défense, l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme et l'article L. 1154-1 du code du travail ;
2°/ qu'en cas de litige portant sur l'existence d'un harcèlement moral, s'il estime que les éléments produits par le salarié établissent des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit examiner de manière effective les éléments produits par l'employeur et rechercher s'ils justifient objectivement les faits qui lui sont reprochés ; qu'en l'espèce, pour dire que la société n'établit pas que les faits allégués par la salariée s'expliquent par des éléments objectifs, la cour d'appel s'est bornée à relever que l'employeur explique l'absence de la salariée sur la liste du personnel inscrite auprès du service de médecine du travail par une erreur, qu'il est "taisant" sur le prétendu cantonnement de la salariée dans des tâches de ménage, qu'il impute l'isolement de la salariée à son tempérament agressif et son refus de dialogue et qu'il a répondu aux courriers dans lesquels elle accusait la responsable de magasin d'insultes et de brimades qu'il était convaincu que ces affirmations étaient mensongères ; qu'en statuant ainsi, sans véritablement rechercher si le défaut d'inscription de la salariée auprès de la médecine du travail n'avait pas été immédiatement corrigé dès que cette erreur avait été relevée, de sorte que la salariée avait pu bénéficier des services de la médecine du travail, si, comme la société l'expliquait, le travail de vendeuse en boulangerie de Mme
X...
n'impliquait pas l'exécution de tâches de ménage et si les attestations émanant des autres salariés de l'entreprise, de l'ancien gérant de la boulangerie et de nombreux clients et commerçants voisins n'établissaient pas le comportement agressif et la désinvolture de Mme X... dans son travail, la cour d'appel a violé le principe constitutionnel du respect des droits de la défense, l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article L. 1154-1 du code du travail ;
3°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en affirmant que la société n'a jamais sanctionné les manquements professionnels reprochés à la salariée dans les courriers échangés avec cette dernière, cependant que les deux parties faisaient état, dans leurs conclusions, d'un avertissement en date du 6 mars 2007, versé aux débats, par lequel l'employeur avait sanctionné le refus de la salariée d'appliquer les consignes données, son attitude à l'égard des clients et ses collègues de travail et la détérioration du matériel de travail, la cour d'appel a méconnu les limites du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 1154-1 du code du travail ;
Mais attendu que sous le couvert non fondé de violation des textes qu'il invoque, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de fait et de preuve dont il ressort que les éléments apportés par la salariée et laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral étaient établis et que l'employeur ne démontrait pas qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour la société Au Pain d'antan, M. Y..., ès qualités, et la SCP Pierre Bayle-Pascal Chanel-Geoffroy, ès qualités
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit nul le licenciement de Madame X... et d'AVOIR condamné la société AU PAIN D'ANTAN et Maître Y... pris en qualité de mandataire judiciaire à payer à Madame X... diverses sommes à titre d'indemnité de préavis, de congés payés y afférents, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
AUX MOTIFS QU' « il résulte de l'application des dispositions de l'article L.1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne peut subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de nature à, notamment, porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ; qu'il appartient au salarié d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; à charge ensuite à l'employeur de rapporter que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral mais s'expliquent par des éléments objectifs ; qu'en l'espèce, à l'appui de sa demande, Françoise X... verse aux débats des attestations de clients mentionnant son caractère affable, qui ne sont d'aucune utilité pour l'établissement des faits de harcèlement moral dont elle laisse présumer l'existence ; qu'en revanche, elle verse l'attestation de Sylvie Z... qui relate les faits dont elle a été témoin le 16 septembre 2006 : elle a entendu Madame A... (l'épouse de l'employeur) « invectiver méchamment, en rabaissant la personne, Madame X..., d'un ton que je ne prends même pas pour invectiver mon chien » ; qu'il a été cidessus rappelé que la SARL « AU PAIN D'ANTAN » a repris la boulangerie dans laquelle avait été embauchée Françoise X... à compter du 1er février 2006. Pourtant, par courrier du 18 octobre 2006, le service médical interentreprise de la région de CHALONS EN CHAMPAGNE (SMIRC), interpellé par Françoise X... recevait le même jour le dossier d'adhésion de la SARL « AU PAIN D'ANTAN ». Toutefois, le nom de Françoise X... ne figurait pas sur la liste des salariés, l'employeur se contentant d'expliquer qu'il s'agissait d'une simple erreur ; que Françoise X... verse également aux débats un journal qui, s'il constitue une preuve que la salariée s'est faite à elle-même, comme l'a relevé le Conseil de Prud'hommes, est pourtant de nature à établir, ce que ne conteste pas véritablement l'employeur qu'au-delà de l'inexistence du dialogue entre l'employeur, ses autres salariés et Françoise X..., qu'évoque la salariée quotidiennement sous le libellé « toujours en quarantaine » alors que l'employeur, attestations de salariés et de commerçants de la rue et clients de la rue à l'appui impute l'agressivité à sa salariée, Françoise X... évoque avoir été cantonnée au ménage, puis à son retour de maladie en août 2007, interdite et sans formation relative à l'utilisation de la nouvelle caisse enregistreuse installée pendant son absence ; que taisant sur ces faits, l'employeur, au décours des multiples courriers échangés avec sa salariée, formule à l'encontre de celle-ci au contraire, de multiples griefs (non respect des consignes, bris de matériels) qu'il n'a pourtant pas sanctionnés ; que de plus, Françoise X... verse aux débats des certificats d'arrêts de travail et certificats médicaux prescrits pour « stress au travail+++ », réaction à une situation éprouvante, déclarée « inapte temporaire » par le médecin du travail ; que le certificat médical adressé au médecin du travail le 28 août 2006 mentionne que la salariée « se dit victime d'un harcèlement dans le cadre de son travail. Elle relève, notamment, une restriction qui lui serait imposée quant à l'accès aux toilettes. Cette situation n'est pas sans répercussion psychique » ; qu'ainsi par les pièces qu'elle verse aux débats, Françoise X... établit des éléments de fait de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que sur les faits de harcèlement dont l'a avisée sa salariée, l'employeur a souligne que c'était elle qui s'était progressivement isolée, notant son tempérament agressif et son refus du dialogue ; que sur les insultes et brimades imputées à la responsable du magasin, Madame B..., l'employeur répond, dans son courrier du 27 octobre 2006 qu'il est convaincu qu'il s'agit d'affirmations mensongères alors qu'il lui incombe de protéger un salarié des faits de harcèlement qu'il dénonce ; qu'à défaut pour l'employeur d'établir que les agissements reprochés s'expliquent par des éléments objectifs il y a lieu de dire que le harcèlement moral de Françoise C... se trouve établi » ;
1. ALORS QU' en cas de litige portant sur l'existence d'une situation de harcèlement moral, il appartient au salarié d'établir la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant présumer l'existence d'un harcèlement, à charge pour l'employeur de démontrer, au moyen d'éléments objectifs, que ces faits sont étrangers à tout harcèlement ; que, pour établir la matérialité des faits laissant présumer un harcèlement, le salarié ne peut se borner à produire des éléments qui émanent de lui-même ou ne comportent que ses propres allégations, mais doit produire des éléments de preuve objectifs et précis ; qu'en l'espèce, pour admettre l'existence de faits laissant présumer une situation de harcèlement moral, la cour d'appel s'est fondée uniquement sur l'attestation d'une cliente du magasin relatant une seule altercation, entre Madame X... et l'épouse du gérant, prétendument intervenue le 16 septembre 2006, une erreur dans la liste du personnel transmise au service de la médecine du travail, sur lequel ne figurait pas le nom de Madame X..., le journal intime de Madame X... dans lequel celle-ci évoquait son isolement au travail et des certificats médicaux sur lesquels il était indiqué que la salariée « se dit victime d'un harcèlement dans le cadre de son travail » ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé le principe constitutionnel du respect des droits de la défense, l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme et l'article L. 1154-1 du Code du travail ;
2. ALORS QU' en cas de litige portant sur l'existence d'un harcèlement moral, s'il estime que les éléments produits par le salarié établissent des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit examiner de manière effective les éléments produits par l'employeur et rechercher s'ils justifient objectivement les faits qui lui sont reprochés ; qu'en l'espèce, pour dire que la société AU PAIN D'ANTAN n'établit pas que les faits allégués par la salariée s'expliquent par des éléments objectifs, la cour d'appel s'est bornée à relever que l'employeur explique l'absence de la salariée sur la liste du personnel inscrite auprès du service de médecine du travail par une erreur, qu'il est « taisant » sur le prétendu cantonnement de la salariée dans des tâches de ménage, qu'il impute l'isolement de la salariée à son tempérament agressif et son refus de dialogue et qu'il a répondu aux courriers dans lesquels elle accusait la responsable de magasin d'insultes et de brimades qu'il était convaincu que ces affirmations étaient mensongères ; qu'en statuant ainsi, sans véritablement rechercher si le défaut d'inscription de la salariée auprès de la médecine du travail n'avait pas été immédiatement corrigé dès que cette erreur avait été relevée, de sorte que la salariée avait pu bénéficier des services de la médecine du travail, si, comme l'expliquait l'exposante, le travail de vendeuse en boulangerie de Madame
X...
n'impliquait pas l'exécution de tâches de ménage et si les attestations émanant des autres salariés de l'entreprise, de l'ancien gérant de la boulangerie et de nombreux clients et commerçants voisins n'établissaient pas le comportement agressif et la désinvolture de Madame X... dans son travail, la cour d'appel a violé le principe constitutionnel du respect des droits de la défense, l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article L. 1154-1 du Code du travail ;
3. ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en affirmant que la société AU PAIN D'ANTAN n'a jamais sanctionné les manquements professionnels reprochés à la salariée dans les courriers échangés avec cette dernière, cependant que les deux parties faisaient état, dans leurs conclusions, d'un avertissement en date du 6 mars 2007, versé aux débats, par lequel l'employeur avait sanctionné le refus de la salariée d'appliquer les consignes données, son attitude à l'égard des clients et ses collègues de travail et la détérioration du matériel de travail, la cour d'appel a méconnu les limites du litige et violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile, ensemble l'article L. 1154-1 du Code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 10-27724
Date de la décision : 28/03/2012
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Reims, 20 octobre 2010


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 28 mar. 2012, pourvoi n°10-27724


Composition du Tribunal
Président : M. Béraud (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Boutet, SCP Célice, Blancpain et Soltner

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2012:10.27724
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