LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les sociétés Sodilap et Saniser, agents commerciaux des sociétés Lapeyre et GME, respectivement, géraient chacune un dépôt à l'enseigne de la marque de leurs mandants pour la commercialisation de matériaux du bâtiment ; qu'à la suite de l'installation, à proximité, d'une société concurrente appartenant également au groupe Saint-Gobain, les sociétés Sodilap et Saniser ont chargé Jean-Christophe X..., avocat associé décédé depuis, de poursuivre la résiliation amiable ou, à défaut, judiciaire des mandats ; que la juridiction arbitrale, saisie en exécution des clauses compromissoires prévues dans les différents mandats, a prononcé la résiliation du contrat à l'initiative des sociétés Sodilap et Saniser et de leur président-directeur général, M. Y..., au motif que si aucune faute ne pouvait être imputée aux sociétés Lapeyre et GME, l'évolution des relations d'affaires rendait inéluctable la rupture du partenariat et rejeté, en conséquence, les demandes en paiement de dommages-intérêts, tout en condamnant, en équité, les sociétés Lapeyre et GME à payer une indemnité à M. Y... pour compenser, en considération des services rendus, la perte de la rémunération qu'il aurait perçue si le contrat s'était poursuivi ; que les sociétés Sodilap et Saniser ont, alors, engagé une action en responsabilité et en garantie dirigée contre Mme Z..., représentante légale de Louise X..., fille mineure de l'avocat décédé, et l'assureur de responsabilité civile professionnelle, la société Covea risks, reprochant au professionnel du droit de ne pas leur avoir déconseillé une procédure vouée à l'échec ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour débouter les sociétés Sodilap et Saniser de leurs demandes indemnitaires, l'arrêt constate que la décision de M. Y... de poursuivre la résiliation des mandats était antérieure à l'intervention de Jean-Christophe X... et qu'elle était intangible ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que la procédure arbitrale n'avait été engagée qu'une fois l'avocat mandaté à cette fin, alors qu'il ne ressort pas de ses constatations que le professionnel du droit ne serait pas parvenu à convaincre son client que la voie de droit projetée était vouée à l'échec et que les conseils faisant défaut eussent ainsi été vains, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur la neuvième branche du moyen :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour écarter la responsabilité de Jean-Christophe X..., l'arrêt relève également que M. Y... s'est décidé après avoir pris conseil auprès d'un premier avocat et avec l'assistance de sa propre fille, elle-même membre du barreau et administrateur des sociétés Sodilap et Saniser ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la présence, aux côtés du client, d'autres professionnels du droit n'exonère pas l'avocat de son devoir de conseil, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir soulevée par Mme Z..., en qualité de représentante légale de Louise X..., et par la société Covea risks, l'arrêt rendu le 9 novembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne Mme Z..., ès qualités, et la société Covea risks aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, avocat aux Conseils pour les sociétés Sodilap et Saniser.
Les sociétés Sodilap et Saniser font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutées de leur demande de condamnation solidaire de Mme Eve Z..., ès qualités, et de la société Covea Risks à leur payer la somme de 13.832.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS PROPRES ET ADOPTES QUE la société COVEA RISKS et Mme Z... rappellent à propos que c'est M. Y... qui, dès le début, voulait voir résilier son mandat, estimant qu'il n'y avait pas d'autre issue ; que ce principe avait été acquis dès avant l'intervention de Jean-Christophe X... puisqu'avait été négocié entre le précédent conseil et celui des sociétés LAPEYRE et GME une indemnité de départ de 8 millions de francs ; que cette position de M. Y..., intangible, ressort de correspondances des 9 janvier, 4 août et 6 octobre 1998, alors que Jean-Christophe X... n'est intervenu dans le dossier qu'en janvier 1999 ; qu'il apparaît en effet également d'une lettre du 23 novembre 1998, reprise le 8 décembre, que les SARL SODILAP et SANISER demandent à leurs cocontractants "le nom de votre conseil..." pour discuter des suites à donner et " parvenir à un accord" ; que la rencontre qui a eu lieu entre M. Y... et M. A..., représentant les sociétés LAPEYRE et GME, le 16 décembre 1998, retranscrite par Melle Y..., fait apparaître à plusieurs reprises la volonté de M. Y... que les négociations passent par les avocats des deux parties ; qu'il ressort de plus des lettres des 27 janvier et 2 mars 1999 que le mandat qui a été donné à Jean-Christophe X... était clair à cet égard, qu'il résulte de la convention d'honoraires du 5 février 1999 et consistait à "voir constater amiablement et à défaut judiciairement la résiliation du contrat du 21 décembre 1992" et à obtenir une indemnité de résiliation supérieure à celle de 8 millions de francs négociée auparavant, la convention précisant qu'un honoraire de résultat ne serait dû que dans cette hypothèse ; que le tribunal arbitral a établi l'acte de mission le 14 juin 1999 et rendu le 12 novembre suivant une sentence aux termes de laquelle il déclarait résolu à l'initiative de M. Y... et des sociétés Sodilap et Saniser le contrat liant celles-ci aux sociétés Lapeyre et GME sans qu'aucune faute ne puisse être imputée à ces dernières ; que dans ces conditions les SARL SODILAP et SANISER ne peuvent reprocher à Jean-Christophe X..., leur second conseil, une démarche qu'elles avaient elles mêmes initiées avant son intervention et, partant, les suites de celle-ci ; que si, en effet, il appartient à l'avocat de prodiguer ses conseils à ses clients nonobstant la connaissance particulière qu'ils peuvent avoir, ou leurs proches, il convient de relever que Jean-Christophe X... a soumis à M. Y... les écritures très argumentées qu'il a prises dans le cours de la procédure arbitrale, procédure expressément prévue par l'article 13 du contrat de mandat, écritures commentées par celui-ci, de sorte qu'il ne saurait être soutenu qu'il a manqué à son devoir ; qu'il en est particulièrement ainsi de la lettre de mission donnée aux arbitres qui (page 13) donne la liste des questions à résoudre et des demandes formulées dont "prononcer la résiliation du contrat aux torts et griefs des sociétés Lapeyre et GME" (point 3) et "dire que les sociétés Lapeyre et GME ont engagé leur responsabilité contractuelle à l'égard des SARL SODILAP et SANISER..." (point 4) fondement précisément revendiqué aujourd'hui comme étant le plus pertinent ; qu'il n'est d'ailleurs pas contesté que Jean-Christophe X... a fondé les demandes indemnitaires sur la loi du 25 juin 1991 dont il lui est fait reproche, désormais, de ne pas l'avoir appliquée ; que Me X... ne peut se voir reproché d'avoir adopté seul une stratégie à l'origine de l'échec de la procédure, alors qu'en l'absence patente d'une faute contractuelle pouvant être mise à la charge des sociétés LAPEYRE et GME, dont la responsabilité dans la création et l'implantation de la société concurrente n'a pas été établie, elles ne pouvaient voir le contrat résilié à leurs torts, ni faire l'objet d'une condamnation au paiement de dommages et intérêts, quel que fût le fondement juridique retenu, alors que la résiliation du contrat, qui avait été demandée au tribunal arbitral par les deux parties, était inéluctable, du fait de l'évolution des relations entre les sociétés et leurs dirigeants ; que dans ces conditions, pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, approuvés ici, la décision querellée sera confirmée en ce qu'elle a débouté les SARL SODILAP et SANISER de leurs demandes indemnitaires formées contre la jeune Louise X... représentée par sa mère et contre la société COVEA RISKS ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE les documents produits aux débats démontrent que tout au long de la procédure, Me X... a agi en concertation étroite avec Mme Y... qui cumulait les qualités d'avocat, d'administratrice des deux sociétés SODILAP et SANISER et de fille de M. Y... et qu'il ressort de ces échanges comme de la convention d'honoraires que l'échec de la procédure avait été envisagé par l'avocat et ses clients ;
1°) ALORS QUE l'avocat qui succède à l'un de ses confrères avant que l'action envisagée par son client n'ait été introduite est tenu de l'informer des risques inhérents à cette action ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait constaté que Me X... avait succédé à un précédent conseil des sociétés Sodilap et Saniser en janvier 1999 et que la saisine du tribunal arbitral avait été régularisée le 14 juin 1999, ce dont il résultait que, saisi avant que l'action ne soit engagée, l'avocat devait informer ses clientes des risques inhérents à celle-ci, a néanmoins jugé que ces dernières ne pouvaient reprocher à leur second conseil une démarche initiée avant son intervention et, partant, les suites de celle-ci, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a ainsi violé l'article 1147 du code civil ;
2°) ALORS QUE nonobstant les instructions qu'il a reçues de son client, l'avocat doit l'informer des risques inhérents à l'action qu'il souhaite engager et, le cas échéant, la lui déconseiller ; qu'en se fondant, pour juger que Me X... n'avait pas manqué à ses obligations d'information et de conseil à l'égard des sociétés Sodilap et Saniser et débouter ces dernières de leur demande indemnitaire, sur les circonstances inopérantes que dès avant l'intervention de leur nouvel avocat les sociétés Sodilap et Saniser voulait voir leur mandat résilié et que la mission confiée à leur nouveau conseil consistait à obtenir la résiliation de ce mandat et à obtenir une indemnité supérieure à huit millions de francs, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
3°) ALORS QUE c'est avant d'engager une action en justice que l'avocat, tenu d'un devoir d'information et de conseil à l'égard de son client, doit l'informer des risques qu'elle comporte ; qu'en se bornant à relever, pour dire qu'il ne saurait être soutenu que Me X... a manqué à son devoir, que les écritures très argumentées prises par cet avocat dans le cadre de la procédure arbitrale avait été soumises à M. Y..., dirigeant de ses clientes, qui les a commentées, sans rechercher, comme elle y était invitée, si préalablement à l'introduction de la procédure arbitrale l'avocat avait averti ses clientes des risques liés à celle-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
4°) ALORS QU'en se bornant encore à relever que les demandes soumises au tribunal par la lettre de mission comprenaient le prononcé de la résiliation du contrat et la mise en cause de la responsabilité contractuelle des sociétés Lapeyre et GME, fondement revendiqué comme le plus pertinent, sans rechercher, comme elle y était invitée, si dès avant la saisine du tribunal arbitral Me X... avait informé ses clientes des risques liés à la demande de résiliation du contrat d'agence commerciale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
5°) ALORS QUE l'avocat doit, en toutes hypothèses, s'acquitter de son obligation d'information et de conseil à l'égard de son client ; qu'en se bornant à relever qu'en l'absence patente d'une faute contractuelle des sociétés Lapeyre et GME, elles ne pouvaient voir le contrat résilié à leurs torts ni faire l'objet d'une condamnation pécuniaire, sans constater qu'en exécution de ses obligations Me X... avait informé ses clientes de cette analyse et des risques qui en découlaient pour elles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
6°) ALORS QU'en se fondant, pour écarter tout manquement de Me X... à son obligation de conseil, sur la circonstance inopérante que l'évolution de la situation entre les sociétés rendait inéluctable la résiliation du contrat les liant, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
7°) ALORS QU'en se bornant à relever que l'échec de la procédure avait été envisagé par l'avocat et ses clientes, sans constater que le premier avait informé les secondes du risque de perte de leur mandat lié à cet échec, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
8°) ALORS QUE dans leurs conclusions d'appel (p. 7 et s., spécialement, p. 9 § 4 et 5), les sociétés Sodilap et Saniser faisaient valoir que l'échec de leur demande indemnitaire résultait entièrement du choix par leur avocat de la loi du 25 juin 1991 comme fondement de l'action ; qu'en relevant qu'il était reproché à l'avocat par ses clientes de ne pas avoir appliqué la loi du 25 juin 1991, la cour d'appel, qui a dénaturé les conclusions des sociétés Sodilap et Saniser, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
9°) ALORS QUE les compétences personnelles d'un client ne dispensent pas l'avocat de son obligation de conseil ; que la cour d'appel, en relevant, pour écarter la demande indemnitaire des sociétés Sodilap et Saniser, que Me X... avait agi en étroite concertation avec Mme Y..., fille du dirigeant des sociétés Sodilap et Saniser, qui était avocate et administratrice de ces sociétés, a violé l'article 1147 du code civil.