LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° F 10-12. 741 et H 10-13. 777 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 décembre 2009), que l'expulsion de Mme X..., locataire d'un local commercial appartenant à l'Office public d'aménagement et de construction de Nice et des Alpes-Maritimes, devenu la société Côte d'Azur habitat (le bailleur), a été ordonnée en référé, par une ordonnance qui a été annulée par un arrêt de cour d'appel, devenu irrévocable, en raison des irrégularités ayant affecté la délivrance de l'assignation ; que Mme X... a alors assigné le bailleur, devant un juge de l'exécution, en réparation de divers préjudices liés à l'expulsion ; que le bailleur a appelé en garantie M. Y..., huissier de justice, et la SCP d'huissiers de justice Z... (la SCP), lesquels ont soulevé l'incompétence du juge de l'exécution pour statuer sur cette action ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° H 10-13. 777 :
Attendu que la société Côte d'Azur habitat fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à Mme X... à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ que l'ordonnance constatant la résiliation du bail commercial ayant été annulée, les conditions de ce bail se sont constamment appliquées, de sorte que le bailleur n'était pas tenu de garantir les voies de fait des tiers ; qu'en le condamnant néanmoins à indemniser le preneur des vols d'équipements commis par des tiers entre l'expulsion et la reprise des lieux, la cour d'appel a violé l'article 1725 du code civil ;
2°/ qu'en indemnisant la perte d'exploitation d'un fonds de commerce, le retard occasionné à l'offre de sa cession et le préjudice moral éprouvé par la locataire en tant que conséquences de l'annulation d'un procès-verbal d'expulsion en date du 10 juin 2005, tout en constatant que « le locataire gérant avait mis fin à la location-gérance à compter du 31 décembre 2003 à la suite d'un cambriolage et, à la date de l'expulsion, le fonds de commerce n'était plus exploité », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses constatations, a violé l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu, d'une part, que la société Côte d'Azur habitat, qui connaissait l'adresse personnelle de Mme X..., n'avait pas réagi en prenant connaissance des conditions dans lesquelles l'assignation en référé, la signification de l'ordonnance de référé et celle du commandement de quitter les lieux avaient été délivrées, et, d'autre part, que le préjudice matériel subi par Mme X... n'était constitué que par la disparition, constatée lors de la reprise des lieux, d'équipements inventoriés lors de l'expulsion et de la dégradation des lieux intervenues pendant la période durant laquelle le locataire avait été évincé des lieux, la cour d'appel a retenu, à bon droit, la responsabilité du propriétaire et, sans indemniser une perte d'exploitation, a souverainement apprécié l'existence et l'importance du préjudice subi ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi n° F 10-12. 741 :
Vu l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire ;
Attendu que, pour rejeter l'exception d'incompétence, l'arrêt retient, que le juge de l'exécution est compétent pour connaître des demandes en réparation fondées sur l'exécution dommageable de mesures d'exécution forcée et que les dommages causés à Mme X... par l'expulsion opérée par les huissiers de justice sont la conséquence directe des fautes commises par eux lors de l'assignation en référé et de la signification de l'ordonnance de référé et du commandement de quitter les lieux ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'action engagée par le bailleur à l'encontre de M. Y... et de la SCP était fondée sur l'exécution fautive du mandat qu'il leur avait donné, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé le texte susvisé ;
Et attendu que la cassation de l'arrêt du chef de la compétence entraîne la cassation, par voie de conséquence, de l'arrêt en ce qu'il a condamné M. Y... et la SCP à relever pour moitié le bailleur de sa condamnation à l'égard de Mme X... et à payer une certaine somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Et sur le second moyen du pourvoi n° H 10-13. 777 :
Vu l'article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation sur le moyen unique du pourvoi n° F 10-12. 741 entraîne l'annulation par voie de conséquence du chef de l'arrêt attaqué par ce second moyen ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence relative à l'appel en garantie formé par la société Côte d'Azur habitat à l'encontre de M. Y... et la SCP Z... et condamné ceux-ci à la relever pour moitié de sa condamnation, soit à hauteur de 25 000 euros et à la relever pour moitié de sa condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile soit à hauteur de 2 000 euros, l'arrêt rendu le 11 décembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Côte d'Azur habitat aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Côte d'Azur habitat à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ; rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Baraduc et Duhamel, avocat aux Conseils, pour la SCP Z... et de M. Y..., demandeurs au pourvoi n° F 10-12. 741
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Maître Y... et la SCP Z... ;
AUX MOTIFS QUE conformément à l'article L. 213-6 alinéa 3 du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution est compétent pour connaître des demandes de réparation fondées sur l'exécution dommageable de mesures d'exécution forcée ; qu'en l'espèce les dommages causés à Mademoiselle X... par l'expulsion opérée par Maître Y..., huissier de justice associé, et la SCP Z... sont la conséquence directe des fautes commises lors de l'assignation en référé du 16 décembre 2004 délivrée à l'adresse du local commercial loué par Mademoiselle X... sans avoir effectué aucune diligence pour rechercher l'adresse de Mademoiselle X... et lui délivrer l'acte à sa personne, l'acte de signification de l'ordonnance de référé et du commandement de quitter les lieux témoignant de la même absence de diligences ;
ALORS QUE le juge de l'exécution est sans pouvoir pour connaître d'une action en responsabilité d'un huissier, formée par son client lui imputant une faute commise à l'occasion du mandat qu'il lui a donné ; qu'en l'espèce, le bailleur, Côte d'Azur Habitat, a agi en garantie contre son propre huissier Maître Y... et la SCP Z... ; que la cour d'appel, statuant sur appel d'une décision du juge de l'exécution, a retenu une faute de l'huissier à l'égard de son mandant pour n'avoir pas effectué les recherches nécessaires à une signification à partie de divers actes destinés à un locataire, après s'être déclarée compétente ; qu'en retenant sa compétence et en condamnant Maître Y... et la SCP Z... à garantir Côte d'Azur Habitat, dont l'action ne tendait qu'à voir reconnaître la responsabilité de l'huissier mandaté par le bailleur pour une faute commise dans l'exercice de ce mandat, la cour d'appel a excédé les pouvoirs conférés au juge de l'exécution par l'article L. 213-6 du Code de l'organisation judiciaire, qu'elle a ainsi violé.
Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la société Cote d'Azur habitat office public de l'habitat de Nice et des Alpes-Maritimes, demanderesse au pourvoi n° H 10-13. 777
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné Côte d'Azur Habitat à verser à Mademoiselle Virginia X... la somme de 50. 000 € à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QU'en exécution d'une ordonnance d'expulsion en date du 16 février 2005, Côte d'Azur Habitat a fait signifier le 6 avril 2005 à sa locataire commerciale, Mlle X..., un commandement de quitter les lieux et a fait procéder à l'expulsion le 10 juin 2005 ; qu'à la suite de l'annulation de l'ordonnance d'expulsion par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 27 février 2007, la locataire a repris possession du local ; que Mlle X... ne peut, dans le cadre de la présente procédure, demander réparation de faits postérieurs à cette reprise des lieux et non directement liés à l'acte d'expulsion exécuté en vertu de l'ordonnance de référé annulée ; que si Mlle X... a mis son fonds de commerce en location gérance pour un an à compter de novembre 2002, le locataire gérant avait mis fin à la location gérance à compter du 1er novembre 2003 à la suite d'un cambriolage et, à la date de l'expulsion, le fonds de commerce n'était plus exploité ; qu'après avoir dressé inventaire du mobilier et du matériel présent dans les lieux le 10 juin 2005, Maître Y..., huissier de justice, précise avoir laissé l'ensemble des biens garnissant les lieux sur place et avoir refermé les lieux après avoir changé un canon de serrure ; que lors du constat de reprise des lieux du 13 mars 2007, Maître A... a constaté que l'une des serrures de la baie vitrée donnant accès au local commercial était cassée et ouverte et que les stores métalliques étaient cassés, laissant ainsi accès à l'intérieur de l'établissement ; que la comparaison des photographies prise lors de l'expulsion et lors de la reprise des lieux fait apparaître une dégradation des lieux dans l'intervalle et la constatation de disparition de certains éléments tels que l'installation pour bière pression renvoyant à la tireuse à bière du procès-verbal de constat du 10 juin 2005, du lave-verres, d'une fresque murale figurant sur les photos annexées au procès-verbal du 10 juin 2005 et d'un four à pizzas, l'installation d'alarme ayant été en outre arrachée ; que le préjudice de Mlle X... ne peut être constitué que par la disparition, constatée lors de la reprise des lieux, des équipements énumérés précédemment et de la dégradation des lieux intervenue pendant la période où les lieux étaient sous la responsabilité de l'OPAM de Nice ; qu'il n'est pas prouvé que le père de Mlle X... a continué à avoir accès aux lieux pendant cette période, le document de Côte d'Azur Habitat faisant état de témoignages anonymes selon lesquels celui-ci à continué de venir sur place et de pénétrer dans le local étant dépourvu de valeur probante ; qu'aucune conséquence ne peut non plus être tirée du seul fait que le père de Mlle X... avait les clés d'un store métallique situé à l'intérieur du local commercial, le procès-verbal ne faisant nullement état que ce volet était fermé et a été ouvert grâce aux clés de M. X... ; que l'expulsion a empêché Mlle X... pendant 19 mois – du 10 juin 2005 au 13 mars 2007 – de mener à bien la vente du fonds de commerce qu'elle avait engagée par mandat de vente, comme cela ressort également de la pancarte apposée sur les lieux, ou d'envisager toute autre modalité de reprise de l'exploitation directement ou en location-gérance ; que cette impossibilité de vendre ou de reprendre l'exploitation venant après une période d'inactivité de près de 18 mois lui a nécessairement causé un préjudice en accentuant la dévalorisation du fonds de commerce par perte de la clientèle et en l'empêchant d'en tirer un revenu ; que la cour évalue le préjudice résultant de la disparition de certains éléments d'équipement et de la dégradation des lieux pendant la période du 10 juin 2005 au 13 mars 2007 et le préjudice découlant de l'impossibilité de vendre ou d'exploiter son fonds de commerce pendant cette période à la somme de 40. 000 € ; que le fait pour Mlle X... d'avoir subi pendant 20 mois une mesure d'exécution effectuée à son insu, alors que l'OPAM de Nice avait connaissance de son adresse personnelle comme l'a relevé la cour d'appel dans son arrêt du 27 février 2007, et qui l'a privée de tout accès au local commercial qu'elle a créé lui a causé un préjudice moral que la cour évalue à 10. 000 € ;
1°) ALORS QUE, l'ordonnance constatant la résiliation du bail commercial ayant été annulée, les conditions de ce bail se sont constamment appliquées, de sorte que le bailleur n'était pas tenu de garantir les voies de fait des tiers ; qu'en le condamnant néanmoins à indemniser le preneur des vols d'équipements commis par des tiers entre l'expulsion et la reprise des lieux, la cour d'appel a violé l'article 1725 du Code civil ;
2°) ALORS QU'en indemnisant la perte d'exploitation d'un fonds de commerce, le retard occasionné à l'offre de sa cession et le préjudice moral éprouvé par la locataire en tant que conséquences de l'annulation d'un procès-verbal d'expulsion en date du 10 juin 2005, tout en constatant (arrêt, p. 8, Motifs, 4ème §) que « le locataire gérant avait mis fin à la location-gérance à compter du 31 décembre 2003 à la suite d'un cambriolage et, à la date de l'expulsion, le fonds de commerce n'était plus exploité », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses constatations, a violé l'article 1147 du Code civil.
SECOND MOYEN, SUBSIDIAIRE, DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné Côte d'Azur Habitat à verser à Mademoiselle Virginia X... la somme de 50. 000 € à titre de dommages et intérêts et d'avoir condamné Maître Robert Y... ainsi que la SCP Z... à relever Côte d'Azur Habitat pour la moitié seulement de cette condamnation ;
AUX MOTIFS QUE, conformément à l'article L 213-6 3ème alinéa du Code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution est compétent pour connaître des demandes de réparation fondées sur l'exécution dommageable de mesures d'exécution forcée ; qu'en l'espèce, les dommages causés à Mlle X... par l'expulsion opérée par Me Y..., huissier de justice associé, et la SCP Z... sont la conséquence directe des fautes commises lors de l'assignation en référé du 16 décembre 2004 délivrée à l'adresse du local commercial loué par Mlle X... sans avoir effectué aucune diligence pour rechercher l'adresse de Mlle X... et lui délivrer l'acte à sa personne, l'acte de signification de l'ordonnance de référé et du commandement de quitter les lieux témoignent de la même absence de diligence ; qu'ainsi, Côte d'Azur Habitat est fondée à se retourner contre l'huissier de justice qui a reconnu sa responsabilité dans son courrier du 5 juin 2007 adressé à Côte d'Azur Habitat ; que cependant, comme l'a relevé la cour de céans dans son arrêt du 27 février 2007, Côte d'Azur Habitat connaissait l'adresse personnelle de Mlle X... et savait par la lettre du père de Mlle X... que les locaux avaient été saccagés et que celle-ci demandait une suspension du loyer ; que le local commercial étant exploité par une personne physique et non une personne morale ce que savait pertinemment Côte d'Azur Habitat, cet organisme aurait dû réagir en prenant connaissance des conditions dans lesquelles l'assignation en référé, la signification de l'ordonnance de référé et la signification du commandement de quitter les lieux avaient été délivrés ; qu'ainsi Me Y... et la SCP Z... ne sont responsables que pour moitié du préjudice subi par Mlle X... ; qu'ils seront condamnés à relever pour moitie Côte d'Azur Habitat des condamnations prononcées à son encontre ;
1°) ALORS QUE les huissiers de justice sont légalement responsables des conséquences de la nullité de leurs actes ; qu'ayant constaté que l'huissier avait délivré une assignation en référé pour voir prononcer la résiliation d'un bail commercial sans rechercher l'adresse personnelle de la locataire pourtant disponible au registre du commerce et des sociétés, la cour d'appel a condamné le bailleur à indemniser la locataire des conséquences de l'expulsion qui en était découlée, car il connaissait l'adresse de sa locataire et aurait dû par conséquent réagir à la lecture des actes de l'huissier, et condamné ce dernier à relever le bailleur de cette condamnation pour moitié ; qu'en statuant sur de tels motifs, qui ne sont pas de nature à justifier un partage de responsabilité, la cour d'appel a violé l'article 19 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, ensemble l'article 1382 du Code civil ;
2°) ALORS EN TOUT ÉTAT DE CAUSE QUE, sauf à avoir été trompé par son mandant, l'huissier de justice répond seul des conséquences de son manque de diligences ; qu'ayant constaté que l'huissier avait délivré plusieurs actes au local loué commercialement sans rechercher l'adresse personnelle de la locataire pourtant disponible au registre du commerce et des sociétés et figurant sur les situations de loyers impayés, la cour d'appel a rendu le bailleur responsable pour moitié de la nullité de l'assignation en référé visant à constater la résiliation du bail et des suites de cette annulation pour n'avoir pas réagi à la lecture des actes de l'huissier ; qu'en statuant sur de tels motifs, qui ne sont pas de nature à justifier un partage de responsabilité, la cour d'appel a violé les articles 1991 et 1992 du Code civil.