LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à la société Eiffage construction Côte d'Opale (Eiffage) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société CRAMA Nord-Est et les sociétés Seferba et Savio ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 13 juillet 2010), que la société d'habitation à loyer modéré du Pas-de-Calais et du Nord, aux droits de laquelle se trouve la société Habitat 62/59, assurée par police dommages ouvrage auprès de la société ICS, depuis lors en liquidation, a, sous la maîtrise d'oeuvre du cabinet Ausia et du bureau d'études techniques Kern, assuré auprès des Souscripteurs du Lloyd's de Londres (société Lloyd's), fait réaliser par la société Thelu, aux droits de laquelle vient la société Eiffage construction Côte d'Opale (société Eiffage), un groupe d'immeubles ; qu'une mission de contrôle technique a été confiée à la société Bureau Veritas (société Véritas) ; que la société Thelu a sous-traité une partie des travaux à plusieurs entreprises ; que les différents bâtiments ont fait l'objet de réceptions échelonnées d'avril 1984 à novembre 1985 ; que se plaignant de divers désordres incomplètement réparés malgré deux interventions de l'assureur dommages ouvrage, la société Habitat 62/59 a obtenu la désignation d'un expert par ordonnance de référé du 11 mai 1994, puis une extension de la mission de l'expert par une ordonnance sur requête du 2 mai 1995 ; que la demande en rétractation de cette décision formée par la société Thelu a été rejetée par ordonnance du 22 juin 1995 ; que la société Thelu a assigné au fond en garantie ses sous-traitants et leurs assureurs par acte des 5,6,7 et 10 mai 2004 ; que la société Habitat 62/59 a assigné la société Thelu, le cabinet Ausia, les sociétés Veritas et Lloyd's en responsabilité et indemnisation sur le fondement de la garantie décennale ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que la société Eiffage fait grief à l'arrêt de déclarer recevable, faute d'acquisition de la prescription décennale, l'action en réparation de désordres de construction, intentée contre elle par la société Habitat 62/59, alors, selon le moyen :
1°/ que l'acte interruptif de prescription doit être dirigé contre la personne que l'on veut empêcher de prescrire ; qu'en l'espèce, la cour, qui a énoncé que la demande en rétractation, formée par la société Eiffage Construction Côte d'Opale, bénéficiaire de la prescription, et non par la société Habitat 62/59, avait interrompu la prescription décennale, motif pris de ce que le maître d'ouvrage avait gardé, lors de l'instance en rétractation, la qualité de demandeur à la procédure d'extension de la mission de l'expert, a violé les articles 2241 du code civil et 497 du code de procédure civile ;
2°/ que l'interruption de la prescription est non avenue si la demande est définitivement rejetée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé que la demande en rétractation formée par la société Eiffage construction Côte d'Opale avait conservé son effet interruptif de la prescription décennale, même si elle avait été rejetée, car la société Habitat 62/59 aurait conservé, lors de l'instance en rétractation, sa qualité de demanderesse à l'instance en extension de la mission d'expertise, a violé les articles 2243 du code civil et 497 du code de procédure civile ;
3°/ que l'ordonnance étendant la mission de l'expert n'a d'effet interruptif qu'à l'égard des parties à l'instance ayant abouti à l'ordonnance d'extension ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé que la demande en rétractation, formalisée par l'ordonnance du 22 juin 1995 ayant confirmé l'extension de la mission de l'expert, avait interrompu la prescription quand la société Eiffage construction Côte d'Opale n'avait pas été partie aux opérations d'expertise ultérieures, a violé l'article 2241 du code civil ;
4°/ que les juges du fond, lorsqu'ils relèvent l'interruption de la prescription décennale, doivent précisément désigner l'acte avec l'indication de sa date interruptif de prescription ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a énoncé que la demande, sans plus de précision, en rétractation, formalisée par l'ordonnance du 22 juin 1995 ayant confirmé l'extension de la mission de l'expert, avait interrompu la prescription, sans préciser quel acte et à quelle date avait interrompu la prescription, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2241 du code civil ;
5°/ que la demande en extension de la mission de l'expert n'interrompt la prescription que pour les nouveaux désordres qui y sont énoncés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé que la demande en rétractation, formalisée par l'ordonnance du 22 juin 1995 ayant confirmé l'extension de la mission de l'expert, avait interrompu la prescription pour tous les désordres, y compris pour les désordres initiaux, a violé l'article 2241 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que, selon l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, l' interruption de la prescription ne pouvait découler que d'une citation en justice, même en référé, d'un commandement ou d'une saisie, signifiées à celui qu'on veut empêcher de prescrire, que la société Habitat 62/59 avait obtenu l'extension de la mission de l'expert précédemment désigné par une ordonnance sur requête et que la demande de rétractation de cette décision formée par la société Thelu, aux droits de laquelle vient la société Eiffage, avait été rejetée par une ordonnance de référé contradictoire, la cour d'appel, qui a exactement retenu qu'en s'opposant à la demande de rétractation de l'ordonnance rendue à sa requête, la société habitat 62/59 avait bien formé une demande en justice contre celui qu'elle voulait empêcher de prescrire, que la rétractation ayant été refusée par l'ordonnance du 22 juin 1995, le délai décennal de l'action avait été interrompu et que l'assignation au fond ayant été délivrée le 3 novembre 2004, moins de dix ans après cette ordonnance, l'action de la société Habitat 62/59 à l'égard de la société Eiffage était recevable, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, ci-après annexé :
Attendu que Mme Bécheret et M. Vautier agissant en qualité de liquidateurs de la société ICS assurances n'ayant pas qualité pour critiquer la déclaration d'irrecevabilité d'une demande formée par la société Habitat 62/59 contre d'autres parties, le moyen est irrecevable ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chaque demandeur la charge des dépens afférents à son pourvoi ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Eiffage construction Côte d'Opale à payer la somme de 2 500 euros à la société Habitat 62/59 et la somme de 2 000 euros au cabinet Ausia, condamne Mme Bécheret et M. Vautier agissant en qualité de liquidateurs de la société ICS assurances à payer la somme de 2 000 euros à la société Bureau Véritas et la somme de 2 000 euros au cabinet Ausia ; rejette les autres demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils pour la société Eiffage construction Côte d'Opale.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable, faute d'acquisition de la prescription décennale, l'action en réparation de désordres de construction, intentée par un maître d'ouvrage (la société HABITAT 62/59)contre une entreprise générale (la société EIFFAGE CONSTRUCTION COTE D'OPALE) ;
AUX MOTIFS QUE la société EIFFAGE CONSTRUCTION COTE D'OPALE soutenait -comme le maître d'oeuvre et le bureau technique- que plus de dix ans s'étaient écoulés entre l'ordonnance de référé désignant l'expert le 11 mai 1994 et l'assignation au fond qui lui avait été délivrée par le maître de l'ouvrage, le 3 novembre 2004, de sorte que l'action de ce dernier était prescrite à son égard ; qu'il avait été démontré que l'ordonnance sur requête du 2 mai 1995 ne pouvait avoir aucun effet interruptif de prescription dès lors qu'il n'existait aucune citation en justice ; que la société THELU (EIFFAGE) avait cependant sollicité, en référé, la rétractation de cette ordonnance sur requête ;
que, dans son ordonnance de référé du 22 juin 1995, le président du tribunal de grande instance de Dunkerque précisait que le maître d'ouvrage s'était opposé à la demande de rétractation, ce dernier ayant ainsi sollicité -au cours de la procédure et de manière contradictoire à l'égard de la société THELU- la confirmation de l'ordonnance rendue en ce qu'elle avait étendu la mission de l'expert, notamment à la composition des murs extérieurs des différentes constructions ; que, ce faisant, le maître de l'ouvrage avait bien formé une demande en justice contre celui qu'il voulait empêcher de prescrire, cette demande, formalisée par l'ordonnance du 22 juin 1995, interrompant ainsi la prescription à son égard, de sorte que l'assignation au fond du 3 novembre 2004 avait bien été délivrée moins de dix ans après le dernier acte interruptif de prescription ; qu'il devait en outre être observé que la société HABITAT 62/59, demanderesse à la procédure d'extension de la mission de l'expert, gardait cette qualité dans la procédure sur rétractation de l'ordonnance initiale, de sorte que sa demande avait bien été accueillie et qu'il n'était ainsi pas possible de faire application de l'article 2247 du code civil invoqué par la société EIFFAGE pour l'hypothèse d'un rejet de la demande ; que l'action intentée par la société HABITAT 62/59 à l'encontre de la société EIFFAGE devait donc être déclarée recevable ;
1°/ ALORS QUE l'acte interruptif de prescription doit être dirigé contre la personne que l'on veut empêcher de prescrire ; qu'en l'espèce, la cour, qui a énoncé que la demande en rétractation, formée par la société EIFFAGE CONSTRUCTION COTE D'OPALE, bénéficiaire de la prescription, et non par la société HABITAT 62/59, avait interrompu la prescription décennale, motif pris de ce que le maître d'ouvrage avait gardé, lors de l'instance en rétractation, la qualité de demandeur à la procédure d'extension de la mission de l'expert, a violé les articles 2241 du code civil et 497 du code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE l'interruption de la prescription est non avenue si la demande est définitivement rejetée ; qu'en l'espèce, la cour, qui a décidé que la demande en rétractation formée par la société EIFFAGE CONSTRUCTION COTE D'OPALE avait conservé son effet interruptif de la prescription décennale, même si elle avait été rejetée, car la société HABITAT 62/59 aurait conservé, lors de l'instance en rétractation, sa qualité de demanderesse à l'instance en extension de la mission d'expertise, a violé les articles 2243 du code civil et 497 du code de procédure civile ;
3°/ ALORS QUE l'ordonnance étendant la mission de l'expert n'a d'effet interruptif qu'à l'égard des parties à l'instance ayant abouti à l'ordonnance d'extension ; qu'en l'espèce, la cour, qui a décidé que la demande en rétractation, formalisée par l'ordonnance du 22 juin 1995 ayant confirmé l'extension de la mission de l'expert, avait interrompu la prescription quand la société EIFFAGE CONSTRUCTION COTE D'OPALE n'avait pas été partie aux opérations d'expertise ultérieures, a violé l'article 2241 du code civil ;
4°/ ALORS QUE les juges du fond, lorsqu'ils relèvent l'interruption de la prescription décennale, doivent précisément désigner l'acte (avec l'indication de sa date) interruptif de prescription ; qu'en l'espèce, la cour, qui a énoncé que la demande (sans plus de précision) en rétractation, formalisée par l'ordonnance du 22 juin 1995 ayant confirmé l'extension de la mission de l'expert, avait interrompu la prescription, sans préciser quel acte (et à quelle date) avait interrompu la prescription, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2241 du code civil ;
5°/ ALORS QUE la demande en extension de la mission de l'expert n'interrompt la prescription que pour les nouveaux désordres qui y sont énoncés ; qu'en l'espèce, la cour, qui a décidé que la demande en rétractation, formalisée par l'ordonnance du 22 juin 1995 ayant confirmé l'extension de la mission de l'expert, avait interrompu la prescription pour tous les désordres, y compris pour les désordres initiaux, a violé l'article 2241 du code civil.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour Mme Becheret, ès qualités et M. Vautier, ès qualités.
Il est fait grief à l'arrêt d'AVOIR déclaré prescrite l'action introduite par la société HABITAT 62/59 à l'encontre du Cabinet AUSIA, du BUREAU VERITAS et de la Compagnie Lloyd's en sa qualité d'assureur du BET KERN
AUX MOTIFS QU'« Il résulte de l'article 2270, dans sa version applicable au présent litige, que toute personne physique dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 et suivants est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, après 10 ans à compter de la réception des travaux.
Il résulte également de l'article 2244, dans sa version applicable au présent litige, qu'une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription.
En l'espèce, le cabinet A., le bureau VERITAS et la compagnie LLOYD'S en sa qualité d'assureur du B. K., soutiennent que plus de 10 ans se sont écoulés entre l'ordonnance de référé désignant l'expert le 11 mai 1994 et l'assignation au fond qui leur a été délivrée par le maître de l'ouvrage, les 2 et 3 novembre 2004, de sorte que l'action de ce dernier serait prescrite, soutenant au surplus que - contrairement à ce qui est soutenu par le maître de l'ouvrage - l' ordonnance du 2 mai 1995 procédant à une extension de la mission de l'expert n'a aucun effet interruptif à leur égard dès lors qu'elle a été rendue sur requête, sans qu'ils soient appelés à la procédure, et que l'ordonnance ultérieure refusant la rétractation ne leur a jamais été signifiée.
Il est constant que plus de 10 années se sont écoulées entre l'ordonnance du 11 mai 1994 et le 2 novembre 2004.
Les seuls actes invoqués par le maître de l'ouvrage, comme susceptibles d'avoir interrompu la prescription, sont d'une part l'ordonnance rendue sur requête le 2 mai 1995, d'autre part l'ordonnance subséquente du 22 juin 1995 refusant sa rétractation.
L'ordonnance du 2 mai 1995 ne peut avoir aucun effet interruptif de prescription dès lors qu'il n'existe aucune citation en justice, ni aucune interpellation de celui qu'on veut empêcher de prescrire. Cette ordonnance sur requête a fait l'objet d'une demande de rétractation présentée en référé devant le Président du Tribunal de DUNKERQUE à la demande de la seule société T. (EIFFAGE).
L'ordonnance de référé du 22 juin 1995 refusant de rétracter l'ordonnance sur requête est uniquement rendue entre la société T. et le maître de l'ouvrage. Elle n'a pas été signifiée aux maîtres d'oeuvre ni au bureau de contrôle technique. Il ne s'agit pas d'une décision modifiant une mesure d'expertise, puisqu'elle ne fait que débouter la société T. de sa demande de rétractation, la seule décision modifiant l'expertise étant l'ordonnance sur requête du 2 mai 1995, dont il a été exposé qu'elle n'avait aucun caractère interruptif.
Il n'est ainsi justifié d'aucune demande en justice signifiée par le maître de l'ouvrage au cabinet A., au bureau VERITAS ou à la compagnie LLOYD'S entre l'ordonnance de référé initiale du 11 mai 1994 et l'assignation au fond délivrée à ces sociétés les 2 et 3 novembre 1994.
Le jugement déféré sera donc réformé, et l'action introduite par la société HABITAT 62/59 à l'encontre du cabinet A., du bureau VERITAS et de la compagnie LLOYD'S en sa qualité d'assureur du B. K. sera déclarée prescrite.
Il sera alloué au cabinet A., au bureau VERITAS et à la compagnie LLOYD'S en sa qualité d'assureur du B. K. une somme de 2.000 euros chacun au titre de leurs frais irrépétibles ».
ALORS, D'UNE PART, QUE toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d'expertise ordonnée par une précédente décision a un effet interruptif de prescription à l'égard de toutes les parties, y compris à l'égard de celles appelées uniquement à la procédure initiale, et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige ; que dès lors, en affirmant que l'Ordonnance du 2 mai 1995 procédant à une extension de la mission de l'expert n'avait eu aucun effet interruptif à leur égard dès lors qu'elle avait été rendue sur requête, sans qu'ils soient appelés à la procédure, la Cour d'appel a violé l'article 2244 du Code civil dans sa rédaction alors applicable ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE, alors que délai décennal de garantie est interrompu à l'égard des parties aux opérations d'expertise par la requête en extension de mission, le nouveau délai décennal de l'article 1792-4-1 du Code civil commençant à courir à compter de la date de l'Ordonnance faisant droit à la demande d'extension de la mission ; qu'en retenant que seule devait être prise en considération l'Ordonnance initiale ayant désigné l'expert judiciaire au motif que l'Ordonnance rendue sur requête n'avait pas été signifiée, la Cour d'appel a violé l'article 2244 dans sa rédaction alors applicable, ensemble l'article du Code de procédure civile.