La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/12/2011 | FRANCE | N°10-83581

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 06 décembre 2011, 10-83581


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- Le procureur général près la cour d'appel de Papeete,
- M. Léonard
X...
,
- M. Yannick Y...,

contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 22 avril 2010, qui, dans la procédure suivie contre M. Léonard
X...
, M. Yannick Y..., M. Simon Z...et M. Jean A...notamment des chefs d'homicides involontaires, a condamné le premier, à quatre ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et 5 000 000 CFP d'amende, l

e deuxième, à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et 5 000 000 francs CFP d'a...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- Le procureur général près la cour d'appel de Papeete,
- M. Léonard
X...
,
- M. Yannick Y...,

contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 22 avril 2010, qui, dans la procédure suivie contre M. Léonard
X...
, M. Yannick Y..., M. Simon Z...et M. Jean A...notamment des chefs d'homicides involontaires, a condamné le premier, à quatre ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et 5 000 000 CFP d'amende, le deuxième, à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et 5 000 000 francs CFP d'amende, a relaxé les deux derniers, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, dans la nuit du 1er au 2 septembre 2003, le navire Tahiti Nui IV, qui appartenait au service territorial dénommé Groupe d'interventions de la Polynésie française (GIP) créé en 1998 et placé sous l'autorité directe du président du gouvernement, a fait naufrage alors qu'il effectuait un transport d'environ 200 tonnes de matériel de chantier appartenant à la société JB Le Cail et compagnie ; que sur les dix membres de l'équipage et les onze passagers qui étaient à bord, trois hommes ont été retrouvés sans vie, et quatre autres ont été portés disparus ; qu'à l'issue de l'information à laquelle il a été procédé, M.
X...
, " chef " du GIP, M. Y..., " responsable " de la sécurité de la flottille administrative, M. Z..., inspecteur des affaires maritimes et M. A..., agent de la société de classification Det Norske Veritas, ont été renvoyés devant la juridiction correctionnelle notamment des chefs d'homicides involontaires ; que le tribunal ayant déclaré la prévention établie dans son ensemble, les prévenus et le ministère public ont relevé appel de la décision ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour MM.
X...
et Y..., pris de la violation des articles 121-1, 121-3 et 221-6 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré MM.
X...
et Y...coupables d'homicide involontaire ;

" aux motifs que M.
X...
a été nommé chef du service dénommé GIP par arrêté 936 CM du 10 juillet 1998 ; que bien que placé sous l'autorité du président du gouvernement, il était chargé, notamment, de définir, diriger et coordonner l'action des agents affectés au GIP, d'assurer la gestion financière et administrative du GIP et de préparer le budget annuel du service, de préparer la programmation des investissements lourds, d'assurer la programmation des déplacements et les réparations des navires et des matériels ; que, pour l'exercice de ces missions, M.
X...
avait reçu délégation de signature du président du gouvernement par un premier arrêté 884 PR du 22 septembre 1998 puis par plusieurs autres, dont celui 1170 PR du 22 mai 2001 en vigueur pour la période ayant précédé la prévention ; que M.
X...
a toujours été considéré comme le « patron » du GIP, déclarant que son rôle précis était de « manager » l'ensemble du GIP dont fait partie la flottille et estimant que s'il n'avait pas de délégation de pouvoirs expresse écrite, il en était cependant bien ainsi dans les faits, ayant pouvoir décisionnel notamment pour tout ce qui concernait la réparation et l'entretien des navires ; que ce domaine était confié à M. Y..., nommé responsable de la flottille, l'instruction ayant confirmé que toute décision d'entretien entraînant une modification du programme d'utilisation d'un navire était soumise par celui-ci à M.
X...
; qu'à l'audience, M.
X...
a confirmé qu'en tant que chef de service du GIP, il était bien responsable des décisions prises quant à l'utilisation du Tahiti IV et s'est estimé responsable des sept décès provoqués par le naufrage, précisant que l'état réel du navire avait été mal apprécié, bien qu'il ait été considéré comme l'un des meilleurs bateaux de la flottille ; que dans ces conditions, l'absence de précision écrite relative à l'étendue des pouvoirs de M.
X...
ne saurait combattre la réalité de la situation qui était que la direction du GIP lui avait été confiée et qu'il en assumait les responsabilités ; que M. Y..., nommé verbalement à la tête de la flottille, s'est toujours considéré comme responsable de celle-ci et plus particulièrement de la sécurité des navires ; qu'il a, lui aussi, déclaré à l'audience être responsable des sept décès et n'avoir pas su apprécier l'état réel du bateau ;

" et aux motifs encore que tant M.
X...
que M. Y...étaient inscrits à l'ENIM et avaient commandé des navires de la flottille, que M.
X...
avait lui-même dirigée jusqu'à sa nomination à la tête du GIP ; que, dès lors, les délégations de pouvoirs, pour incomplètes ou inexistantes par écrit qu'elles aient pu être, n'en étaient pas moins données à des personnes ayant la qualification requise pour assumer leurs fonctions définies clairement et sans ambiguïté, exercées depuis cinq ans lors du sinistre et qui admettent leur responsabilité dans un drame qui a bouleversé la Polynésie française ;

" 1°) alors que le délégataire de pouvoirs ne peut être légalement reconnu coupable d'une infraction non intentionnelle en qualité d'auteur indirect qu'à la condition que le transfert de pouvoirs soit effectif ; qu'en se fondant, pour retenir la responsabilité pénale de M.
X...
à la suite du naufrage mortel du Tahiti Nui IV en dépit de l'inexistence d'une délégation écrite de pouvoirs consentie par le président du gouvernement sous l'autorité duquel le GIP était placé, sur la circonstance qu'il avait été notamment chargé de la réparation des navires par l'arrêté qui l'avait nommé chef du GIP, que le président du gouvernement lui avait consenti des délégations de signature pour l'exercice de ses missions et qu'il avait toujours été considéré comme étant le patron du GIP tout en relevant, pour réduire la durée de la peine d'emprisonnement prononcée par les premiers juges, qu'il convenait de tenir compte de la « dépendance très directe dans laquelle M.
X...
était à l'égard du chef de gouvernement sous l'autorité duquel il était placé », ce qui était de nature à exclure qu'il ait effectivement disposé des pouvoirs nécessaires à l'accomplissement des missions qui lui avaient été confiées, la cour d'appel s'est contredite ;

" 2°) alors qu'en se fondant, pour retenir également la responsabilité pénale de M. Y...à la suite du naufrage mortel du Tahiti Nui IV, sur la circonstance qu'il avait été nommé chef de la flottille et s'était vu confier la réparation et l'entretien des navires, tout en constatant qu'il soumettait à M.
X...
toute décision d'entretien entraînant une modification du programme d'utilisation du navire, ce qui était de nature à exclure qu'il ait disposé de pouvoirs effectifs en matière d'entretien et de réparation des navires, la cour d'appel s'est de nouveau contredite ;

" 3°) alors que le fait de se déclarer responsable d'un décès n'implique pas que l'on doive se voir légalement déclarer coupable de celui-ci ; que, dès lors, en se fondant encore, pour retenir la responsabilité pénale de MM.
X...
et Y..., sur la circonstance qu'ils avaient tous deux déclaré à l'audience se sentir responsables des sept décès, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant, privant ainsi sa décision de base légale " ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour MM.
X...
et Y..., pris de la violation des articles 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3 et 221-6 du code pénal, 388, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré MM.
X...
et Y...coupables d'homicide involontaire ;

" aux motifs que l'analyse des causes du naufrage met en évidence les points suivants :
- une absence de calcul de la stabilité habituelle lors des chargements des bateaux du GIP et en particulier pour le chargement du 31 août 2003, spécialement important et aux limites, qu'elles soient inférieures ou supérieures, des critères de stabilité du navire ;
- l'absence de plan clair du circuit d'assèchement pourtant modifié depuis la mise en service du navire ;
- une absence de rapport de mer et de signalement de l'accident du 11 mai 2001 alors qu'il intervenait quelques mois après un important carénage qui était censé avoir remis en état les ballastes avant ;
- deux reports du passage en cale sèche du navire, le premier en avril 2003 et le second, en août 2003 alors que les observations faites tant par M. A...que par M. Z...en février 2002 puis en mars 2003 faisaient apparaître qu'il était prévu en début d'année 2003, puis le 11 avril 2003, reports qui résultent de décisions prises par M. Y...en n'insistant pas sur l'urgence de ce passage à sec en avril 2003 et par M.
X...
en août 2003 ;
- une exploitation intensive du navire, tout spécialement depuis le début de l'année 2003 et encore davantage depuis juillet 2003 avec des demandes répétées de vérification de l'étanchéité des ballasts, de soudure ou de remplacement de tuyauterie du circuit d'assèchement sans qu'il ait pu être justifié que des travaux correctifs aient été réalisés dans ces domaines depuis le 6 juillet 2003 ; que le rapport des enquêteurs du BEA mer, le rapport de M. C..., le rapport de M. D...comme celui de M. E...concluent tous que l'origine du naufrage est une perte de stabilité du navire liée à un envahissement de certains ballasts par la mer, soit par une entrée d'eau extérieure, soit par une brusque rupture d'une étanchéité interne, soit par un problème de panne, d'insuffisance ou de mauvaise manipulation du circuit d'assèchement ; que quelle que soit la cause exacte qui a conduit directement au naufrage et à la mort de sept marins et passagers, elle trouve sa source dans l'un ou plusieurs des éléments ci-dessus rappelés, qui sont tous imputables à MM.
X...
et Y...;

" 1°) alors que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention ; qu'en imputant à faute à MM.
X...
et Y...l'absence de plan clair du circuit d'assèchement, sans qu'il résulte de ses constatations qu'ils aient accepté d'être jugés sur ce fait qui n'était pas visé à la prévention, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine et méconnu ainsi le principe ci-dessus rappelé ;

" 2°) alors qu'en imputant également à faute à MM.
X...
et Y...l'absence de rapport de mer et de signalement de l'accident du 11 mai 2001 sans constater qu'ils avaient accepté d'être jugé sur ce fait, qui n'était pas non plus visé à la prévention, la cour d'appel a, une fois de plus, excédé les limites de sa saisine ;

" 3°) alors que la charge de la preuve de l'infraction incombe au ministère public ; qu'en reprochant à MM.
X...
et Y...de ne pas avoir justifié de la réalisation des travaux qu'impliquaient les demandes répétées de vérification de l'étanchéité des ballasts, de soudure ou de remplacement de tuyauterie du circuit d'assèchement, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et méconnu le principe de la présomption d'innocence ;

" 4°) alors en toute hypothèse que l'article 221-6 du code pénal exige, pour recevoir application, que soit constatée l'existence certaine d'un lien de causalité entre la faute du prévenu et la mort de la victime ; qu'ayant constaté que la cause directe du naufrage du Tahiti Nui IV n'avait pas été déterminée avec exactitude, cinq causes possibles ayant été retenues, la cour d'appel, en affirmant que cet accident « trouvait sa source » dans un ou plusieurs des éléments fautifs qu'elle avait retenus à l'encontre de MM.
X...
et Y...sans justifier cette assertion, et plus précisément sans avoir constaté l'existence d'un lien de causalité certain entre l'un au moins de ces éléments fautifs et chacune des cinq causes qui avaient ainsi été retenues comme ayant pu provoquer le naufrage, a insuffisamment motivé sa décision " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour déclarer M. X... et M. Y...coupables d'homicides involontaires, l'arrêt constate tout d'abord que, selon l'ordonnance de renvoi rendue par le juge d'instruction, ces prévenus ont entretenu de manière défaillante le Tahiti Nui IV, ont sciemment laissé ce navire continuer à naviguer alors qu'il présentait de graves avaries l'exposant à un risque de naufrage, l'ont équipé d'une drome de sauvetage insuffisante, ont omis de vérifier que les exercices de sécurité et d'abandon obligatoires étaient effectués à chaque voyage, et enfin, se sont abstenus, à la date du naufrage, d'alerter les secours aussitôt après avoir appris que le bâtiment était en détresse ;

Attendu que les juges du second degré retiennent ensuite que les causes certaines et déterminantes de l'accident résident dans le fait que le navire, construit en 1981, n'a pas fait l'objet d'un entretien rigoureux et fréquent, en dépit de multiples demandes de mise en cale sèche pour réparations émanant de plusieurs autorités, alors qu'il était soumis à une surexploitation ; qu'ils ajoutent que l'absence de conformité de la drome de sauvetage, de même que l'absence de mise en oeuvre et de contrôle des exercices d'abandon du navire au départ du voyage ont seulement aggravé les conséquences du naufrage ;

Attendu qu'enfin, pour écarter l'argumentation des prévenus qui soutenaient que M. X... ne disposait pas d'une délégation de pouvoirs et que, dans ces conditions, M. Y...ne pouvait être considéré comme son subdélégataire, l'arrêt énonce que M. X..., bien que placé sous l'autorité du président du gouvernement, a été nommé " chef " du GIP, et qu'à ce titre, il était chargé, notamment, de la gestion financière et administrative de cet organisme, de la préparation de son budget annuel, de la programmation des investissements lourds ainsi que des décisions de déplacements et de réparations des navires et du matériel ; que s'agissant de M. Y..., désigné verbalement comme " responsable " de la flottille, les juges du second degré retiennent que celui-ci était, de fait, chargé de la sécurité ; qu'ils en déduisent que les deux prévenus, qui s'occupaient de l'organisation, de l'entretien et du contrôle de la flottille et des missions confiées aux navires, ont délibérément enfreint les dispositions du décret du 30 août 1984 relatif à la sauvegarde de la vie humaine en mer et ainsi commis des fautes aggravées ayant entraîné le décès de sept victimes ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance comme de contradiction et fondés sur son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, la cour d'appel, qui n'a pas excédé sa saisine, a justifié sa décision ;

D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par le procureur général, pris de la violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;

Sur le moyen proposé, en tant qu'il concerne MM.
X...
et Y...:

Attendu que le demandeur critique les condamnations prononcées par l'arrêt attaqué contre MM.
X...
et Y...; que ces prévenus ont été condamnés à des peines entrant dans les prévisions de la loi pour les infractions qu'elles sanctionnent ;

D'où il suit que le grief est sur ce point irrecevable ;

Sur le moyen proposé, en tant qu'il concerne MM. Z...et A...:

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des infractions reprochées à M. Z...et à M. A...n'était pas rapportée à la charge des prévenus, en l'état des éléments soumis à son examen ;

D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 10-83581
Date de la décision : 06/12/2011
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Papeete, 22 avril 2010


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 06 déc. 2011, pourvoi n°10-83581


Composition du Tribunal
Président : M. Louvel (président)
Avocat(s) : Me Balat, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2011:10.83581
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award