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01/12/2011 | FRANCE | N°10-26064

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 01 décembre 2011, 10-26064


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 septembre 2010), que, par acte du 29 juillet 2003, M. X... a cédé à la société Libella, les actions qu'il détenait dans la société les compagnons de Phébus qui contrôlait la société éditions Phébus ; que la convention prévoyait de conserver M. X... en qualité de salarié de la société éditions Phébus ; que M. X... a été licencié pour faute grave, le 14 avril 2006, par cette société, aux droits de laquelle se trouve la société L

ibella (la société) ;
Attendu que la société reproche à l'arrêt de dire que le licenci...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 septembre 2010), que, par acte du 29 juillet 2003, M. X... a cédé à la société Libella, les actions qu'il détenait dans la société les compagnons de Phébus qui contrôlait la société éditions Phébus ; que la convention prévoyait de conserver M. X... en qualité de salarié de la société éditions Phébus ; que M. X... a été licencié pour faute grave, le 14 avril 2006, par cette société, aux droits de laquelle se trouve la société Libella (la société) ;
Attendu que la société reproche à l'arrêt de dire que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse et de la condamner au paiement de diverses sommes, alors, selon le moyen, que si, quand elle est prévue par une convention ou par un accord collectif, la consultation d'un organisme spécifique chargé de donner un avis sur la mesure envisagée constitue une garantie de fond dont l'inobservation prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, il ne saurait en aller de même quand celle-ci est prévue par un acte de droit des sociétés conclu entre des parties soumises à des relations de droit commercial, et non entre des partenaires sociaux dont les relations seraient soumises au droit du travail ; que, dès lors, en l'espèce, en ayant considéré comme une garantie de fond qui s'inférerait d'une stipulation «conventionnelle» au sens du droit social, et dont, par conséquent, la méconnaissance priverait le licenciement de cause réelle et sérieuse, la procédure de saisine et de consultation du Comité Editorial prévue et instituée par la convention du 29 juillet 2003, laquelle était pourtant un contrat de droit commercial qui avait été conclu entre les cédants et le cessionnaire d'actions d'une société anonyme, et non un instrument de droit collectif du travail qui aurait été négocié et conclu entre des partenaires sociaux (ou, plus directement encore, entre un employeur et ses salariés), la cour d'appel a violé, par mauvaise interprétation, les articles L. 1232-1 et L. 1235-3 du code du travail ;
Mais attendu, que, lorsqu'une convention de cession d'actions à laquelle intervient l'employeur, prévoit que le cédant deviendra salarié de la société dont les titres sont cédés et que son licenciement, avant sa notification, devra être soumis à un vote de consultation du comité éditorial, le salarié est en droit de se prévaloir de cette clause dont le non respect rend son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Et attendu que la cour d'appel qui a constaté que la société éditions Phébus n'avait pas consulté, avant la notification du licenciement, le comité éditorial prévu dans la convention de cession conclu en présence de l'employeur, en a exactement déduit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Libella aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Libella à payer la somme de 2 500 euros à M. X... ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par Me Spinosi, avocat aux Conseils pour la société Libella.
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement de M. Jean-Pierre X... ne reposait ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse et d'avoir condamné son employeur, la société EDITIONS PHEBUS, aux droits de laquelle est venue la société LIBELLA, au paiement d'un rappel de salaires sur la mise à pied conservatoire, outre les congés payés afférents, d'une indemnité conventionnelle de licenciement, d'une indemnité compensatrice conventionnelle de préavis, outre les congés payés afférents, d'une indemnité contractuelle complémentaire, d'une somme indemnitaire sur le fondement de l'article L. 1235-3 du Code du Travail et de dommagesintérêts complémentaires pour préjudice moral, d'avoir ordonné la remise par la société LIBELLA des bulletins de paie conformes à cet arrêt ainsi que le remboursement aux organismes intéressés de la totalité des indemnités de chômage versées à M. X... dans la limite de six mois et d'avoir condamné l'employeur aux dépens ainsi qu'aux frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;
Aux motifs que « M. Jean-Pierre X..., au soutien de la contestation de son licenciement, indique que :
L'intimée a violé l'article 3.2.8.5.7 de la convention de cession, relatif à la procédure de rupture, qui prévoit que la notification de sa décision, la saisine du Comité éditorial pour « un vote de consultation ».
Ayant ainsi été privé d'une garantie de fond instituée par cette clause nullement illicite, laquelle a vocation à s'appliquer seulement à «deux individualités» (lui-même ainsi que son épouse), intégrée dans la convention de cession constituant un tout indivisible avec le contrat de travail, son licenciement pour faite grave est nécessairement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le fond, son licenciement pour une prétendue faute grave ne repose sur aucun motif réel et sérieux.
Il peut prétendre ainsi au paiement des salaires sur la période de mise à pied conservatoire, d'une indemnité conventionnelle de licenciement (article 13 de la Convention Collective Nationale de l'Edition), d'une indemnité contractuelle complémentaire (article 3-2-2 de la convention de cession du 29 juillet 2003), et de dommages-intérêts distincts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que pour préjudice moral en réparation de sa brutale éviction à l'âge de 64 ans, à l'origine d' « une violence insupportable » ayant eu des répercussions sur son état de santé.
Pour considérer au contraire que le licenciement pour faite grave de M. Jean-Pierre X... est bien fondé, la SARL LIBELLA venant aux droits de la SARL EDITIONS PHEBUS répond que :
Les griefs retenus dans la lettre de licenciement (critiques de M. Jean-Pierre X... quant au choix de son successeur, refus de participer au salon de FRANCFORT, ses courriers des 28 octobre 2005 et 4 janvier 2006) sont caractérisés, et constituent une faute grave privative des indemnités conventionnelles de rupture ainsi que des salaires au titre de la période de mise à pied conservatoire.
M. Jean-Pierre X... a été licencié dans le respect de la procédure légale seule applicable.
La clause (article 3.2.8.5.7) de la convention de cession est :
- nulle, en ce qu'elle vise à autoriser le licenciement «du fait du prince» en assurant au salarié une protection qui passe par la consultation du Comité éditorial, et comme telle contraire à l'ordre public, tout en constituant une rupture du principe d'égalité puisqu'« aucune raison objective ou pertinente ne peut justifier la différence de traitement que tente indument de s'octroyer le couple X... » ;
- inapplicable dans la mesure où le contrat de travail, que vise la convention de cession du 29 juillet 2003, ne prévoit pas la consultation préalable du Comité éditorial pour ne renvoyer qu'aux règles du code du travail, sachant qu'en tout état de cause la convention précitée est exclue en cas de faute grave et ne peut être qualifiée de pacte d'actionnaires avec la présence d'un salarié actionnaire pour lequel la consultation préalable d'une instance se conçoit, alors même que ce Comité n'existait plus de fait depuis plusieurs mois.
La demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre son montant exorbitant, fait double emploi avec l'indemnité contractuelle et ne repose sur aucun préjudice Les demandes indemnitaires pour préjudice moral et de santé ne sont pas davantage étayées ; la reconnaissance d'une faute grave prive M. Jean-Pierre X... des indemnités de rupture et des salaires correspondant à la mise à pied conservatoire.
L'indemnité contractuelle sollicitée par M. Jean-Pierre X... repose sur une clause nulle comme constituant une rupture «inacceptable» d'égalité, d'autant qu'elle est exclue en cas de faute grave (article 11 du contrat de travail et 3.2.2 de la convention de cession).
L'article 3.3.2 « clause d'unicité et d'indivisibilité» de la convention de cession du 29 juillet 2003 stipule qu'« il est expressément convenu entre les parties aux présentes, comme condition essentielle de leur engagement, que chacune des conventions visées aux présentes constituent un tout indivisible».
Il s'en déduit que le contrat de travail conclu le même jour entre les parties, expressément visé à l'article 3.2.2 de la convention de cession précitée, constitue avec celle-ci « un tout indivisible » fixant le cadre général de leurs relations professionnelles.
Dans cet ensemble normé, il y a lieu de se reporter à l'article 3.2.8.5.7, alinéa 1er de la convention de cession liant les parties, en vertu duquel : «En application des contrats de travail de M. Jean-Pierre X... et de Mme Jane Z..., ces derniers pourront à tout moment être licenciés et remplacés par simple décision de l'actionnaire, à charge pour ce dernier, avant de notifier sa décision, de réunir par un vote de consultation le Comité Editorial, à qui il aura préalablement fourni par écrit les motivations de sa décision ».
Cette exigence procédurale, pour les raisons venant d'être rappelées :
est opposable dans son principe à l'intimée, peu important que le contrat de travail ne l'ait pas expressément reprise, reste applicable sans restriction particulière, en ce que ne figure spécialement dans les deux derniers paragraphes de l'article susvisé aucune exclusion en cas de licenciement pour faute grave, et sans qu'apparaisse pertinent l'argument tiré de ce que le Comité Editorial (3 membres désignés par l'actionnaire et 3 autres par l'éditeur) ne serait pas ou plus opérationnel, dans la mesure où celui-ci pouvait être réactivé à l'initiative de l'employeur en vue d'une saisine pour consultation même en formation incomplète.
demeure par nature étrangère à toute qualification juridique de la convention de cession en un « pacte d'actionnaires », à laquelle, sur un plan purement théorique, fait référence l'intimée qui oppose le salarié actionnaire, « pour lequel la consultation du conseil de surveillance se conçoit », au salarié non actionnaire qui ne mériterait pas de « statut protecteur particulier », ce qui reste non déterminant en présence d'une volonté des parties clairement exprimée.
repose sur une clause contractuelle – la convention de cession – non atteinte d'une cause de nullité, en ce que :
- d'une part, l'intimée se contente d'affirmer que la stipulation critiquée procédant, selon elle, d'un licenciement du «faut du prince» serait «contraire à l'ordre public», puisqu'il ne s'agit en définitive que de prévoir des garanties supplémentaires en faveur du salarié ;
- d'autre part, eu égard aux fonctions d'éditeur confiées à M. Jean-Pierre X..., il pouvait être institué ce Comité Editorial pour consultation avant toute décision de licenciement, sans que cette précaution n'entraîne objectivement une rupture caractérisée d'égalité entre les salariés de l'entreprise.
La saisine par l'employeur, avant toute décision de rupture du contrat de travail, du Comité Editorial institué contractuellement « pour un vote de consultation » constitue une garantie de fond dont M. Jean-Pierre X... a été manifestement privé.
L'intimée n'ayant pas respecté la garantie de fond qui consistait en une consultation préalable du Comité Editorial aux fins qu'il donne un avis sur la mesure disciplinaire envisagée contre M. Jean-Pierre X..., il s'en déduit que son licenciement pour faute grave est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La décision déférée sera en conséquence infirmée en ce qu'elle a, écartant la faute grave mais retenant une faute sérieuse, débouté M. Jean-Pierre X... de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l'intimée ainsi condamnée à lui payer de ce chef la somme de 78 000 euros avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt, représentant 12 mois de salaires, en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, en considération de l'âge (69 ans) et de son ancienneté dans l'entreprise (28 ans).
Les pièces médicales produites par M. Jean-Pierre X... sont contemporaines de son licenciement notifié en février 2006. Elles révèlent une sensible détérioration de son état de santé non sans un lien avec les conditions dans lesquelles il a été contraint de cesser sa collaboration au sein des EDITIONS PHEBUS dont il était le fondateur, de sorte que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande distincte de dommages-intérêts pour préjudice moral, et l'intimée condamnée de ce chef à lui payer la somme de 22 000 euros, avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.
La décision critiquée sera, en revanche, confirmée en ce qu'elle a condamné l'intimée à verser à M. Jean-Pierre X... les autres sommes suivantes :
3 779,92 euros au titre du rappel de salaires correspondant à la période de mise à pied conservatoire du 18 janvier au 17 février 2006, à laquelle il y a lieu d'ajouter 377,99 euros d'incidence congés payés (demande nouvelle en cause d'appel) ;
123 588 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement (article 13 de la Convention Collective Nationale de l'Edition) sur la base du mode de calcul prévu, faute de plus amples éléments donnés par le salarié au soutien de sa demande d'infirmation de ce chef ;
20 598 euros d'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis (article 13, 3 mois pour les cadres) et 2 059,80 euros d'incidence congés payés, en l'absence d'une démonstration du salarié, au soutien de sa demande d'un montant supérieur ;
avec intérêts au taux légal partant du 24 mars 2006, date de réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation.
Concernant l'indemnité contractuelle complémentaire, l'article 11 du contrat de travail prévoit que : « M. X... bénéficie expressément d'une garantie d'emploi… jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 65 ans. Toute rupture intervenue avant l'âge de 65 ans, sauf… faute grave… ouvrira droit pour M. X... au paiement immédiat d'une somme équivalente à deux ans de salaires bruts, à titre de dommages-intérêts et en sus de ses indemnités de rupture… ».
L'article 3.2.2 de la convention de cession reprend (en page 15) à l'identique cette stipulation qui s'analyse en une clause de garantie d'emploi restreignant le droit de l'employeur de licencier M. Jean-Pierre X... avant l'âge de 65 ans, et fixant à l'avance le montant de l'indemnité à la charge de l'intimée qui viendrait à ne pas respecter ladite clause, soit une somme égale à 2 ans de salaires bruts en plus des indemnités de rupture.
M. Jean-Pierre X... ayant été licencié à l'âge de 64 ans, il en résulte que l'intimée n'a pas respecté son obligation contractuelle au titre de la garantie d'emploi.
Cette clause s'analyse en une clause pénale, au sens des dispositions de l'article 1152 du code civil, et compte tenu de son caractère manifestement excessif dans la mesure où M. Jean-Pierre X... a atteint l'âge de 65 ans environ 6 mois après son licenciement, il y a lieu de la ramener à de plus justes proportions, étant observé qu'elle ne constitue en rien une rupture du principe d'égalité entre salariés.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné l'intimée à payer à M. Jean-Pierre X... la somme à ce titre de 48 000 euros majorée des intérêts au taux légal partant du 24 mars 2006 » ;
Alors que, si, quand elle est prévue par une convention ou par un accord collectif, la consultation d'un organisme spécifique chargé de donner un avis sur la mesure envisagée constitue une garantie de fond dont l'inobservation prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, il ne saurait en aller de même quand celle-ci est prévue par un acte de droit des sociétés conclu entre des parties soumises à des relations de droit commercial, et non entre des partenaires sociaux dont les relations seraient soumises au droit du travail ; que, dès lors, en l'espèce, en ayant considéré comme une garantie de fond qui s'inférerait d'une stipulation « conventionnelle » au sens du droit social, et dont, par conséquent, la méconnaissance priverait le licenciement de cause réelle et sérieuse, la procédure de saisine et de consultation du Comité Editorial prévue et instituée par la convention du 29 juillet 2003, laquelle était pourtant un contrat de droit commercial qui avait été conclu entre les cédants et le cessionnaire d'actions d'une société anonyme, et non un instrument de droit collectif du travail qui aurait été négocié et conclu entre des partenaires sociaux (ou, plus directement encore, entre un employeur et ses salariés), la Cour d'appel a violé, par mauvaise interprétation, les articles L. 1232-1 et L. 1235-3 du Code du Travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 10-26064
Date de la décision : 01/12/2011
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 08 septembre 2010


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 01 déc. 2011, pourvoi n°10-26064


Composition du Tribunal
Président : M. Frouin (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Spinosi, SCP Boulloche

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2011:10.26064
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