LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 1233-3 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., qui avait été engagée à temps partiel le 1er septembre 2000 en qualité de clerc de notaire 1re catégorie par M. Y... aux droits duquel se trouve M. Z... depuis 2002, a été licenciée le 31 décembre 2007 pour motif économique ;
Attendu que pour condamner l'employeur au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt infirmatif, après avoir relevé que le bénéfice de l'étude avait chuté de 147 423 euros en 2006 à 28 401 euros en 2008 et que les inspections annuelles de la Chambre départementale des notaires avaient donné lieu à des recommandations répétées en 2006 et 2007 de réduire les charges de personnel trop élevées compte tenu de la fragilité de l'office, retient que cette situation est imputable à la légèreté blâmable de l'employeur qui aurait dû prendre des mesures correctives plus tôt, au lieu de procéder à deux embauches ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté les difficultés économiques de l'entreprise, peu important leur origine et que l'erreur du chef d'entreprise dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule la légèreté blâmable, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 septembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour M. Z....
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit le licenciement de Madame X... sans cause réelle et sérieuse et condamné Maître Z... à lui payer à ce titre une indemnité de 28.250 euros ;
AUX MOTIFS QUE le juge devant lequel un licenciement est contesté doit, conformément à l'article L. 1235-1 du code du travail, apprécier la régularité de la procédure suivie de même que le caractère réel et sérieux des motifs énoncés dans la lettre qui en décide ; que c'est en effet cette missive qui fixe les limites du litige ; qu'en tout cas, sera précisé, s'agissant d'un licenciement pour motif économique collectif de moins de dix salariés dans une entreprise en comptant moins de cinquante (…) qu'en application de l'article L. 1233-16 du code du travail, les seules mentions obligatoires du courrier de notification de la mesure sont l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur ainsi que la priorité de réembauche et ses conditions de mise en oeuvre » ; que ce n'est pas pour cela, bien sûr, que le juge ne vérifie pas si le licenciement pour un tel motif économique étant envisagé, le reclassement du salarié a bien été recherché, ainsi que le lui prescrit l'article L. 1233-4 du code du travail (…) ; que la lettre de licenciement reçue par Madame Stéphanie X... est rédigée comme suit : « à la suite de notre entretien du 19 décembre 2007, je vous informe que je suis contraint de vous licencier pour le motif économique suivant : lors du contrôle de l'étude par les inspecteurs, il a été constaté que les charges de personnel étaient trop élevées et rendaient l'étude fragile (ratios de charges de personnel de l'étude de 41% alors que celle de la moyenne des trois départements (…) est de 32%). Il a donc été demandé au titulaire de l'office d'améliorer les ratios de gestion et de productivité. En conséquence de quoi, j'ai décidé la suppression de votre poste, avec redistribution de vos dossiers entre les clercs rédacteurs… » ; que Maître Z... affirme que, dans un contexte de difficultés économiques avérées, il a été contraint d'en arriver à cette décision « afin de sauvegarder la compétitivité de son activité », et de citer ses charges d'emprunt, contracté pour acquérir l'étude, ainsi que le montant de son emprunt sur le revenu, tous les éléments rapportés au bénéfice dégagé par ladite étude pour les années 2006, 2007 et 2008, le tout sur fond de crise du marché immobilier ; que Maître Z... s'est en effet endetté à hauteur de 650.000 euros pour reprendre l'étude de Maître Y... et se retrouve avec des remboursements mensuels à honorer de ce chef de 6.405,07 euros ; que l'examen du plan de remboursement produit montre que si les échéances s'élèvent à un tel montant, c'est aussi parce que le prêt a été souscrit sur dix ans, venant à échéance le 15 mai 2012 ; que Maître Z... dispose parallèlement de revenus fonciers qui s'élevaient, au titre de l'avis d'imposition 2007, à la somme de 106.557 euros ; que ce sont donc autant de rentrées d'argent que des sources de prélèvement non négligeables ; qu'il s'agissait là de deux constantes, à partir desquelles Monsieur Z... se devait de raisonner dans sa gestion au quotidien ; que le bénéfice de l'étude, tel qu'il résulte des pièces comptables et avis d'imposition, s'établit quant à lui à la somme de, pour l'année 2006, 147.423 euros, pour l'année 2007, 145.148 euros, pour l'année 2008, 28.401 euros ; qu'il n'est pas niable que la crise du marché immobilier est passée par là et il n'est pas interdit au juge de tenir compte, pour l'appréciation du bien-fondé du licenciement, d'éléments postérieurs à celui-ci ; qu'il n'empêche que cette crise, sans entrer dans le débat sur le moment exact où elle s'est fait sentir, n'est visiblement pas le déclencheur du licenciement de Madame X... et d'ailleurs la lettre de licenciement rappelée n'y fait pas la moindre allusion ; que le moteur dudit licenciement est écrit noir sur blanc, à savoir « améliorer les ratios de gestion et de productivité » d'une entreprise saine au demeurant, dont le détenteur, au fait de ses capacités de financement (cf supra), est resté sourd aux appels à la prudence qui lui étaient pourtant donné par ses pairs ; que l'étude de Maître Z... a été, en effet, l'objet d'inspections annuelles de la part de la chambre départementale des notaires qui, dès l'année 2006, avait attiré l'attention de son titulaire sur les risques en la matière ; qu'ainsi, dès le 17 octobre 2006, les recommandations faites à l'office sont les suivantes : « malgré les avis donnés l'an passé, la situation des comptes clients, de l'ensemble de la gestion n'a pas changé. Attention en cas de baisse du chiffre d'affaires » ; que ces recommandations s'accompagnaient des appréciations des inspecteurs ci-après : « à l'analyse approfondie des comptes et de la gestion de l'office, cette étude pourrait être qualifiée de fragile. Le titulaire disposant de revenus « annexes » importants n'attache pas une importance trop grande à la rentabilité de son office. Attention à la gestion et notamment les comptes ouverts et à la masse salariale » ; que dès lors le 5 décembre 2007, lorsque les recommandations faites à l'office consistent, ainsi que cela a été indiqué, en « nécessité d'améliorer les ratios de gestion et de productivité », avec des « points négatifs » relevés « charges de personnel trop élevées, fragilité de l'office », ce ne sont que des redites pour Maître Z... ; que le même n'a pas hésité à accroître encore la charge de la masse salariale au cours de l'année 2007, procédant successivement à deux embauches les 1er avril et 15 octobre ; que lorsque l'on reprend ces éléments, l'on n'est pas pour cela dans une appréciation des choix de gestion de l'employeur ainsi qu'ils doivent être effectués par ce dernier, à la suite d'une appréciation sérieuse des avantages et des risques qu'ils impliquent pour l'entreprise ; qu'on est bien au contraire dans l'office du juge qui, pour décider que le licenciement d'un salarié repose ou non sur le motif économique invoqué, se réfère aux décisions qui le sous-tendent, en ce qu'elles sont la résultante de décisions inconsidérées ou sont autant de violations légales ou conventionnelles dudit employeur ; que Maître Z... a, pour le moins, fait preuve d'une légèreté blâmable dans la gestion de son étude et, alors qu'il disposait de l'ensemble des éléments d'appréciation afin de faire autrement, sans qu'il soit besoin de conjoncture extérieure défavorable, qui n'a été que postérieure ; que la menace de nature à compromettre l'avenir de l'office et ses emplois était d'ores et déjà identifiée antérieurement à l'année 2007 et c'est là que les mesures correctives étaient nécessaires ;
ALORS QUE, D'UNE PART, est doté d'une cause réelle et sérieuse le licenciement économique résultant d'une suppression d'emploi consécutive à des difficultés économiques ; que la cour d'appel a constaté que le bénéfice de l'étude, tel qu'il résulte des pièces comptables et avis d'imposition, s'établissait à la somme de 147.423 euros pour l'année 2006, de 145.148 euros pour l'année 2007 et à celle de 28.401 euros pour l'année 2008 ; qu'elle a en outre relevé que les inspections conduites par la chambre interdépartementale des notaires avaient révélé la fragilité de l'office, et des charges salariales trop élevées ; qu'il se déduisait des constatations de la cour d'appel que l'office notarial connaissait des difficultés économiques qui avaient été à l'origine de la suppression du poste de Madame X... ; qu'en jugeant néanmoins que le licenciement de la salarié était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1233-3 du code du travail ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, l'appréciation, par les juges, de la réalité des difficultés invoquées à l'appui d'un licenciement pour motif économique, doit porter sur la seule situation de l'entreprise, à l'exclusion de celle, personnelle, du chef d'entreprise ; que la cour d'appel a retenu que Maître Z... disposait parallèlement de revenus fonciers qui s'élevaient, au titre de l'avis d'imposition 2007, à la somme de 106.557 euros et qu'il s'agissait là « d'autant de rentrées d'argent que de sources de prélèvement non négligeables » et de « deux constantes à partir desquelles Monsieur Z... se devait de raisonner dans sa gestion au quotidien » ; que la cour d'appel s'est par là fondée sur la situation financière personnelle de Maître Z..., c'est-à-dire sur des motifs inopérants au regard de l'appréciation des difficultés économiques de l'étude, en violation des articles L. 1233-3 et L. 1235-1 du code du travail ;
ET ALORS QUE l'erreur commise par un chef d'entreprise dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule la légèreté blâmable ; que la cour d'appel a déduit de toute une série de constatations afférentes à la gestion de l'étude et en particulier de la décision qu'avait prise Maître Z... de recruter deux salariés aux mois d'avril et octobre 2007, qu'il « a(vait), pour le moins, fait preuve d'une légèreté blâmable dans la gestion de son étude (…) alors qu'il disposait de l'ensemble des éléments d'appréciation afin de faire autrement » ; que la cour d'appel a en conséquence porté une appréciation sur les choix de gestion de l'employeur, dont elle a déduit une légèreté blâmable et, in fine, l'absence de cause économique réelle et sérieuse au licenciement de Madame X..., en violation de l'article L. 1233-3 du code du travail ;
ET ALORS QUE la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur, dans les limites de la définition légale du motif économique, qui n'inclut pas les causes économiques du motif économique ; que la cour d'appel, bien qu'ayant relevé qu'il était indéniable que la crise du marché immobilier fût « passée par là » et rappelé qu'il n'était « pas interdit au juge de tenir compte, pour l'appréciation du bien-fondé du licenciement, d'éléments postérieurs à celui-ci », a néanmoins retenu que cette crise n'avait visiblement pas été « le déclencheur du licenciement de Madame X... » et que « d'ailleurs la lettre de licenciement rappelée n'y fai(sait) pas la moindre allusion », lorsqu'il suffisait à l'employeur d'invoquer dans la lettre de licenciement les difficultés économiques auxquelles l'étude était confrontée et l'ayant contraint à supprimer le poste de la salariée, sans qu'il soit besoin de remonter aux origines conjoncturelles de ces difficultés ; qu'en se prononçant par de tels motifs, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1233-16 du code du travail ;
ET ALORS ENFIN QUE la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que la cour d'appel ne pouvait tout à la fois relever que les inspecteurs de la chambre interdépartementale des notaires avaient qualifié l'étude de « fragile » en octobre 2006 et décembre 2007 et que son chiffre d'affaires était passé des sommes de 147.423 et 145.148 euros, pour les années 2006 et 2007, à celle de 28.401 euros pour l'année 2008 et retenir que la situation de l'entreprise était « saine » ; qu'en statuant par de tels motifs contradictoires, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.