LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu selon l'arrêt attaqué (Pau, 8 octobre 2009) que selon bail verbal du 1er janvier 1997, Mme Jeanne X..., usufruitière, a, avec l'accord de ses filles Marguerite X..., Michèle X..., épouse Y... et Marine X..., nues-propriétaires indivises, donné à bail à ferme à M. Michel Z... diverses parcelles de terre d'une contenance totale de 8 hectares 90 ares 21 centiares, qui ont été mises à disposition du GAEC de l'Orangerie ; que, par acte du 27 mai 2004, Mme Jeanne X... et ses filles ont fait délivrer congé à M. Michel Z..., M. Didier Z..., son fils, et en tant que de besoin au GAEC de l'Orangerie, aux fins de reprise par Mme Marguerite X... à compter du 31 décembre 2005 ; que les bailleresses ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux pour faire déclarer valable ce congé et ordonner l'expulsion des preneurs ; que M. Didier Z... s'est prévalu d'un bail consenti sur les mêmes terres le 10 janvier 2000 par Mme Jeanne X... ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant retenu que les nues-propriétaires n'avaient pas donné leur accord au bail consenti par leur mère, usufruitière, le 10 janvier 2000, que les pièces produites par les consorts Z... ne suffisaient pas à autoriser le preneur à croire en la qualité de propriétaire de Mme Jeanne X... et n'établissaient pas que les nues propriétaires avaient, à la date de l'assignation, connaissance depuis plus de 5 ans de l'existence du bail, la cour d'appel a exactement décidé que ce bail était nul en application de l'article 595, alinéa 4, du code civil ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article 595, alinéa 4, du code civil, ensemble l'article 1382 du même code ;
Attendu que l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ; qu'à défaut d'accord, l'usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte ;
Attendu que pour rejeter la demande, formée par les consorts Z... et le GAEC de l'Orangerie, en indemnisation du préjudice résultant de l'annulation du bail du 10 janvier 2000, l'arrêt retient qu'il appartenait au preneur de vérifier l'étendue des pouvoirs du signataire du bail et qu'il n'est rapporté la preuve ni d'une faute commise par Mme Jeanne X..., qui était veuve et âgée à l'époque de 75 ans, ni que ladite faute aurait généré le préjudice dont il est demandé réparation ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'usufruitière avait seule l'obligation de s'assurer du concours des nues-propriétaires pour consentir le bail, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le troisième moyen :
Vu le règlement CE 1782/ 2003 du 29 septembre 2003, ensemble le règlement CE 795/ 2004 de la commission du 21 avril 2004 et l'article D 615-63 du code rural ;
Attendu que pour inclure dans l'indemnité allouée à Mme Marguerite X... au titre du manque à gagner une certaine somme correspondant à la perte des droits à payement unique (DPU), l'arrêt retient qu'en se maintenant sur les lieux MM. Z... et le GAEC de l'Orangerie ont empêché Mme Marguerite X... pendant les années 2006, 2007 et 2008 de semer du maïs sur les parcelles et de percevoir les DPU ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher si une clause contractuelle prévoyait le transfert à Mme Margerite X..., bénéficiaire de la reprise, des DPU dont étaient titulaires les consorts Z... et le GAEC de l'Orangerie au titre de la période de référence 2000/ 2002, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté les consorts Z... et le GAEC de l'Orangerie de leur demande de dommages-intérêts dirigée contre Mme Jeanne X... et condamné les consorts Z... et le GAEC de l'Orangerie à payer à Mme Marguerite X... la somme de 24 170 euros à titre de dommages-intérêts pour le manque à gagner subi du fait du maintien dans les lieux, l'arrêt rendu le 8 octobre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par de la SCP Peignot et Garreau, avocat aux Conseils, pour MM. Z... et le GAEC de l'Orangerie
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, dit que le bail à ferme consenti le 10 janvier 2000 par Madame Jeanne X... à Monsieur Didier Z... était nul et d'avoir validé en conséquence le congé délivré le 27 mai 2004 avec fin de reprise pour l'un des indivisaires pour le 31 décembre 2005 ;
AUX MOTIFS QUE les consorts Z... ne contestent pas l'existence du bail verbal consenti par Mme Jeanne X... à M. Z..., portant sur des parcelles, communes de CAUSSADE, RIVIERE et VILLEFRANCHE pour une contenance de 8 ha 90 a 22 ca ; que toutefois, à l'occasion de l'action engagée par les consorts X... devant le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux pour faire valider le congé et obtenir l'expulsion des preneurs, MM. Z... et le GAEC de l'ORANGERIE invoquaient l'existence d'un bail consenti le 10 janvier 2000 ; qu'ils produisent une attestation de bail à ferme en date du 10 janvier 2000 aux termes de laquelle Mme Thérèse X... a conclu avec M. Didiver Z..., moyennant paiement d'un fermage de 776 P/ Hectare, un bail à ferme portant sur des parcelles sises sur les communes de CAUSSADE RIVIERE cadastrées ZA n° 10, 20, 21, 22, 23, 24, et VILLEFRANQUE section A n° 2 pour une contenance totale de 8 ha 11 a 10 ca ; cette attestation est revêtue des signatures du bailleur, du preneur, et de l'ancien preneur, donnant son accord ; une lettre du 10 janvier 2000 pour laquelle Monsieur Didier Z... rappelle à Mme Jeanne X... qu'elle lui a consenti une location portant sur diverses parcelles sises commune de CAUSSADE RIVIERE et VILLEFRANCHE d'une superficie totale de 8 ha 90 a 21 ca et informe cette dernière qu'il adhère au GAEC de l'ORANGERIE qui exploitera ces terres pour la durée du bail ; que les consorts Z... soutiennent que Mme X... s'est toujours comportée à leur égard comme la seule propriétaire des terres, objet du bail ; qu'ils produisent au soutien de leur affirmation ;- le relevé d'exploitation du GAEC de l'ORANGERIE, sur lequel seule Mme Jeanne X... apparaît comme propriétaire des parcelles louées-une attestation délivrée par M. B..., technicien agricole à la Coopérative BP91345 5 VIVADOUR qui déclare avoir conseillé Mme X... sur les choix techniques et l'avoir aidée à réaliser le dossier PAC ; que cependant, ces circonstances ne suffisent pas à autoriser le preneur à croire à la qualité de propriétaire apparent de Mme Jeanne X..., usufruitière des parcelles louées ; que Messieurs Z... et le GAEC de l'ORANGERIE n'établissent pas que Mesdames X... aient eu connaissance de l'existence du bail du 10 janvier 2000 depuis plus de cinq ans ; qu'ils ne peuvent opposer la prescription de leur action en nullité du bail conclu sans leur concours ; que le Tribunal Paritaire a exactement retenu que la demande d'annulation du bail du 10 janvier 2000 était recevable et bien fondée et qu'en conséquence l'annulation de cette convention entraînait la survivance du bail antérieur ;
ET, encore, AUX MOTIFS adoptés des premiers juges, QUE M. Z... se contente d'affirmer que Mme Jeanne X... se comportait comme le véritable propriétaire, sans avoir tenté d'en rapporter la preuve ; qu'il n'a produit aux débats aucune pièce sur ce point ; qu'il n'y a pas lieu de considérer que Didier Z... a pu se méprendre sur la véritable capacité de Jeanne X... à consentir seule un bail à ferme sur les parcelles qui appartenaient en réalité à une indivision suite au décès de l'époux et père des coïndivisaires ; qu'en conséquence, le bail à ferme consenti le 10 janvier 2000 par Jeanne X... à Didier Z... est nul ; que cette nullité relative a été soulevée par les demanderesses, nues propriétaires desdites parcelles ; que le délai de prescription de l'action en nullité pour non-respect de l'article 595 alinéa 4 du Code civil court à compter de la connaissance par le nupropriétaire de l'existence du bail ; qu'il apparaît clairement que les nus propriétaires n'ont eu connaissance de l'existence du bail qu'à l'occasion de la présente procédure ; que la demande d'annulation du bail du 10 janvier 2000 est recevable et bien fondée ;
ALORS QUE seul l'usufruitier a l'obligation de s'assurer du concours du nu-propriétaire pour consentir un bail rural ; qu'au demeurant, les juges doivent caractériser les circonstances autorisant le preneur à croire en la qualité de propriétaire ou de mandataire des nus propriétaires de l'usufruitier ; que dès lors en statuant comme elle l'a fait sans rechercher si Mme Jeanne X... n'avait pas seule l'obligation de s'assurer du concours des nus-propriétaires pour consentir le bail, ni s'expliquer sur les circonstances autorisant les preneurs à croire à la qualité des propriétaires, à tout le moins apparente, de Mme X..., la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 595 alinéa 4 du Code civil ;
ALORS QU'en toute hypothèse, les consorts Z... avaient établi que les filles de Mme Jeanne X... avaient ellesmêmes produit aux débats les documents signés par leur mère contestant l'attestation de bail à ferme en date du 10 janvier 2000, ce dont il résultait qu'elle ne pouvait ignorer l'existence de ce bail depuis sa conclusion ; que dès lors en statuant comme elle l'a fait et en écartant la prescription quinquennale, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 595 alinéa 4 et 1304 du Code civil ;
ALORS, enfin, QUE le nu-propriétaire d'un bien immobilier ne peut poursuivre la nullité d'un bail qui a été consenti sans son accord par l'usufruitier si ce bail a été exécuté ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé les articles 595 alinéa 4 et 1304 du Code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, débouté les consorts Z... et le GAEC de l'ORANGERIE de leur demande de dommages et intérêts à l'encontre de Mme Jeanne X... ;
AUX MOTIFS QUE le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux a rappelé avec pertinence qu'il appartenait au preneur de vérifier l'étendue des pouvoirs du signataire du bail ; qu'il incombe aux consorts Z... et au GAEC de l'ORANGERIE de rapporter la preuve d'une faute commise par Mme Jeanne X... qui était veuve et âgée à l'époque de 75 ans et de démontrer que la faute aurait généré le préjudice dont ils demandent la réparation ; que force est de constater qu'ils échouent dans cette double démonstration ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il appartient au preneur de vérifier l'étendue des pouvoirs du signataire du bail, lorsqu'il a connaissance du fait qu'il n'est pas seul propriétaire ;
ALORS QUE l'usufruitier a seul l'obligation de s'assurer du concours du nu-propriétaire pour consentir le bail ; qu'en outre, le preneur dont le bail a été annulé, comme ayant été consenti par l'usufruitier seul sans le concours du nu-propriétaire, peut rechercher la responsabilité de ce dernier en vue d'une indemnisation ; qu'en l'espèce, c'était bien à Mme Jeanne X..., seule, qu'il appartenait de s'assurer du concours des nus-propriétaires pour consentir le bail du 10 janvier 2000 ; que dès lors en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a procédé d'une violation des articles 1315 et 1382 du Code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné les consorts Z... et le GAEC de l'ORANGERIE à payer à Madame Marguerite X... la somme de 24 170 euros à titre de dommages et intérêts pour le manque à gagner subi du fait du maintien dans les lieux et à ratifier les bulletins de mutation des parcelles et les contrats de cession définitive des droits à paiement unique (D. P. U.) ;
AUX MOTIFS QU'en se maintenant indûment sur les lieux, les consorts Z... et le GAEC de l'ORANGERIE ont empêché Madame Marguerite X... pendant les années 2006, 2007, 2008 de semer du maïs sur les parcelles et percevoir les droits à paiement unique ; que cette dernière justifie par la production d'une attestation délivrée par la société AGRIPERFORMANCE le 1er octobre 2006 de la rentabilité à l'hectare de la production de maïs irrigué et du montant de la marge sur 8 ha d'un montant de 5 136 euros hors taxes par année ; que les pertes des droits à DPU s'élèvent à 365, 40 euros par ha soit 2 963 euros que le manque à gagner indemnisable sera ainsi fixé à la charge des consorts Z... et du GAEC de l'ORANGERIE à la somme de 24 170 euros ;
ET ENCORE AUX MOTIFS QU'il sera fait droit, en tant que de besoin, à la demande des consorts X..., tendant à la condamnation des consorts Z... et du GAEC de l'ORANGERIE à ratifier les contrats de cession définitive des droits à paiement unique ;
ALORS, D'UNE PART, QU'en se déterminant comme elle l'a fait pour évaluer la manque à gagner de Marguerite X... sans même vérifier si cette dernière avait vocation à bénéficier du transfert des DPU affectés aux parcelles mises en valeur par les consorts Z... qui en étaient les détenteurs historiques au titre de la période de référence 2000, 2001 et 2002, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 411-58, L. 411-59 du Code rural, 1382 du Code civil, du Règlement communautaire n° 1782/ 2003 du 29 septembre 2003 et des articles D 615-62 et suivants du Code rural ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en ordonnant le transfert des contrats de cession de DPU sans même s'expliquer sur les raisons l'ayant conduite à statuer de la sorte, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 455 du Code de procédure civile, ensemble du règlement communautaire ci-dessus visé.