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26/10/2011 | FRANCE | N°10-24251

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 26 octobre 2011, 10-24251


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juin 2010), que la société d'exploitation des établissements Jean Kalil rond-point du meuble, établie outre-mer, a importé des marchandises dans un département d'outre-mer et a acquitté une taxe d'octroi de mer et un droit additionnel à l'octroi de mer institués au profit des communes et des régions en vue de favoriser le développement économique et social des départements d'outre-mer et ce, par dérogation au principe communautaire de l'interdiction, à

l'intérieur du territoire douanier communautaire, d'une taxe équivalente...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juin 2010), que la société d'exploitation des établissements Jean Kalil rond-point du meuble, établie outre-mer, a importé des marchandises dans un département d'outre-mer et a acquitté une taxe d'octroi de mer et un droit additionnel à l'octroi de mer institués au profit des communes et des régions en vue de favoriser le développement économique et social des départements d'outre-mer et ce, par dérogation au principe communautaire de l'interdiction, à l'intérieur du territoire douanier communautaire, d'une taxe équivalente à un droit de douane ou à la prohibition des taxes intérieures discriminatoires fondées sur l'article 95 du Traité de Rome ; qu'elle a contesté la validité de ces taxes et demandé la restitution des sommes versées à ce titre ; qu'elle a été déboutée de sa demande par un arrêt confirmatif devenu irrévocable à la suite d'un arrêt de rejet rendu par la Cour de cassation le 5 novembre 2002 ; qu'elle a recherché la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice en soutenant que la Cour de cassation aurait commis un déni de justice en ne posant pas à la Cour de justice des communautés européennes la question préjudicielle qui s'imposait eu égard à la nature du litige ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche, ci-après annexé :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande ;
Attendu qu'ayant relevé qu'il résultait des dispositions de la loi du 17 juillet 1992 que le droit additionnel à l'octroi de mer institué par son article 3 avait une assiette identique à celle de l'octroi de mer, qu'il était soumis aux mêmes règles de recouvrement et ne se distinguait de la taxe dénommée octroi de mer que par son bénéficiaire, de sorte que ce droit additionnel n'était qu'une modalité d'une taxe de même nature relevant de la décision du Conseil du 22 décembre 1989, la cour d'appel a pu en déduire qu'en admettant la validité de la taxe d'octroi de mer au regard des dispositions du traité, la CJCE avait admis implicitement la validité du droit additionnel à l'octroi de mer et que la Cour de cassation n'était pas tenue, sur cette question, d'opérer un renvoi préjudiciel de sorte que, en l'absence de violation manifeste de l'article 234 du Traité, la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée ; que le grief ne peut être accueilli ;
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche, ci-après annexé :
Attendu qu'il est encore fait le même grief à l'arrêt ;
Attendu qu'en retenant, par motifs adoptés, que la CJCE avait, d'une part, constaté la validité de la taxe d'octroi de mer, d'autre part, implicitement admis la compétence du Conseil pour fixer, hors la limite du délai de deux ans visé au 2e alinéa du paragraphe 2 de l'article 227 du Traité, les dérogations au principe de l'interdiction de la perception de taxes intérieures discriminatoires, édicté par l'article 95 du Traité, et, par motifs propres, que la décision n° 89/688 du 22 décembre 1989 avait été prorogée pour dix ans par une décision prise le 10 février 2004 par le Conseil qui, implicitement mais nécessairement, avait ratifié la validité de la taxe et du droit additionnel litigieux, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le grief n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société d'exploitation des Etablissements Jean Kalil rond-point du meuble aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, avocat aux Conseils pour la société d'exploitation des Etablissements Jean Kalil
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la société d'exploitation des Etablissements Jean Kalil Rond Point du Meuble, de toutes ses demandes ;
AUX MOTIFS QU'en vertu de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire « L'Etat est tenu de réparer les dommages causés par le fonctionnement défectueux du service de la justice » et que « sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice » ; que le déni de justice s'entend, non pas seulement du refus de répondre aux requêtes ou de la négligence de juger les affaires en état de l'être, mais également de tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridique de l'individu ; qu'il convient donc de rechercher si, en rejetant le pourvoi formé contre un arrêt confirmatif prononcé le 13 octobre 2000 qui déboutait la société d'exploitation des Etablissements Jean Kalil Rond Point du Meuble de sa demande de restitution de la taxe d'octroi de mer et de la taxe additionnelle et ce, sans poser la question préjudicielle qui, selon cette société, s'imposait, la Cour de cassation, en son arrêt du 5 novembre 2002, a commis un déni de justice au sens de l'article susvisé ; que préalablement, il y a donc lieu de rechercher si le renvoi préjudiciel devant la Cour de justice des communautés européennes s'imposait ; que l'article 234, alinéa 3, du Traité CE prévoit que « lorsqu'une telle question préjudicielle est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de justice » ; que toutefois, l'obligation de renvoi n'est pas absolue et qu'une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, telle que la Cour de cassation, est dispensée de poser une question d'interprétation de droit communautaire lorsque la Cour de justice des communautés européennes s'est déjà prononcée sur une question matériellement identique à la question soulevée et lorsqu'une jurisprudence de la Cour permet de résoudre le point litigieux, notamment lorsque l'application correcte du droit communautaire peut s'imposer avec une évidence telle qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée ; qu'il suit de là qu'il entrait dans les pouvoirs de la Cour de cassation de porter une appréciation sur la nécessité de saisir la Cour de justice des communautés européennes et qu'elle a effectivement, en son arrêt du 5 novembre 2002, approuvé la cour d'appel qui avait refusé le renvoi préjudiciel en relevant que « la Cour de justice des communautés européennes avait validé la décision du Conseil en sa compétence à édicter la norme critiquée » ; que la question de la légalité de la taxe de l'octroi de mer a été tranchée par la Cour de justice des communautés européennes qui, sur une question préjudicielle posée par le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion et, par son arrêt Chevassus-Marche, en date du 19 février 1998, a dit pour droit que « l'examen de la décision 89/688, en ce qu'elle autorise un système d'exonération de la taxe dénommée ‘octroi de mer' assorti de conditions strictes qu'elle prévoit, n'a fait apparaître aucun élément de nature à affecter sa validité », de sorte qu'en validant la décision du Conseil n°89/688 du 22 décembre 1989, la Cour a admis explicitement la validité de la taxe au regard des dispositions des articles 226 et 227 du Traité et implicitement la compétence du Conseil pour instituer, hors de la limite du délai de deux ans prévu par l'article 227 § 2, alinéa 2, du Traité, des dérogations au principe de l'interdiction de la perception de taxes intérieures discriminatoires ; que sur ce point, il y a lieu de relever que la décision n°89/688 du 22 décembre 1989 a été prorogée pour dix ans par une décision prise le 10 février 2004 par le Conseil qui, implicitement mais nécessairement, a ratifié la validité de la taxe et du droit additionnel litigieux ; que de même, les premiers juges ont justement énoncé que le droit additionnel à l'octroi de mer institué par l'article 13 de la loi du 17 juillet 1992, qui a une assiette identique à celle de l'octroi de mer, qui est soumis aux mêmes règles de recouvrement et qui ne se distingue de l'octroi de mer que par son bénéficiaire, ne constitue qu'une modalité de la taxe elle-même et que, comme elle, il relève des dispositions de la décision du Conseil en date du 22 décembre 1989 ; qu'il suit de ce qui précède que la Cour de cassation n'était tenue de prononcer un renvoi préjudiciel, ni sur la légalité de la taxe et du droit additionnel, ni sur la compétence du Conseil pour instituer des dérogations au principe de l'interdiction de la perception de taxes intérieures discriminatoires ; que par voie de conséquence et sans qu'il y ait lieu, pour les mêmes motifs, d'ordonner le renvoi préjudiciel sollicité, il convient de confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris qui, retenant qu'il n'existait en la cause, ni violation caractérisée du droit communautaire, ni déni de justice, a débouté la société d'exploitation des Etablissements Jean Kalil Rond Point du Meuble de ses demandes (arrêt, p. 4-5),
ALORS, D'UNE PART, QUE lorsqu'une question préjudicielle est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de justice des communautés européennes si la question soulevée n'a pas déjà fait l'objet d'une décision préjudicielle dans une espèce analogue ; que le refus de renvoi préjudiciel de cette juridiction, en présence d'une difficulté sérieuse d'interprétation du droit communautaire, constitue un déni de justice engageant la responsabilité de l'Etat ; qu'en estimant, pour refuser de prononcer un renvoi préjudiciel sur la légalité du droit additionnel à l'octroi de mer, que le droit additionnel à l'octroi de mer institué par l'article 13 de la loi du 17 juillet 1992 ne constituait qu'une modalité de la taxe elle-même et que, comme elle, il relevait des dispositions de la décision du Conseil en date du 22 décembre 1989 (arrêt p.5), bien que la Cour de justice des communautés européennes n'ait jamais eu à se prononcer sur la légalité des perceptions au titre du droit additionnel à l'octroi de mer depuis le 1er janvier 1993, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à écarter l'obligation d'un renvoi préjudiciel et a violé les dispositions de l'article 234 du Traité instituant la Communauté économique européenne, ensemble l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE la société d'exploitation des Etablissements Jean Kalil Rond Point du Meuble faisait valoir, à l'appui de sa demande de renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne, que l'article 227 § 2 du Traité CE prévoyant la possibilité de déroger au bénéfice des départements d'Outre-mer au principe de l'interdiction d'un système de taxes intérieures discriminatoires, ne conférait au Conseil compétence à cet effet que pendant deux ans à compter de l'entrée en vigueur du Traité en 1957, comme l'avait retenu la Cour de justice des communautés européennes aux points n°35 et 42 de son arrêt Chevassus-Marche du 19 février 1998, et que s'il fallait regarder cet arrêt comme validant la décision n°89/688 du 22 décembre 1989, il conviendrait de s'interroger sur ce que la Cour de justice avait voulu exprimer, à travers le même arrêt, lorsqu'elle avait précisé qu' « en l'absence de décisions prises (dans les deux ans) par le Conseil sur proposition de la Commission au titre de l'article 227 § 2, toutes les autres dispositions du Traité, y compris l'article 95 (qui constitue un complément aux dispositions relatives à la suppression des droits de douane et des taxes d'effet équivalent), devenaient applicables de plein droit aux DOM… En effet, il ne saurait être admis que la jouissance par les ressortissantes communautaires, des droits consacrés par les dispositions du Traité visées à l'article 227, paragraphe 2, deuxième alinéa, droits faisant partie de leur patrimoine juridique, soit susceptible d'être altérée, au fil du temps, par des décisions du Conseil », ces précisions étant en contradiction flagrante avec la position consistant à considérer que la Cour de justice avait implicitement validé la compétence institutionnelle du Conseil CEE pour édicter la décision du 22 décembre 1989 (conclusions d'appel p.14 et 15) ; qu'en se bornant à retenir, pour estimer que la Cour de cassation n'était pas tenue de procéder à un renvoi préjudiciel et en déduire l'absence de déni de justice, que la Cour de justice avait admis implicitement la compétence du Conseil pour instituer, hors de la limite du délai de deux ans prévu par l'article 227 § 2, alinéa 2, du Traité, des dérogations au principe de l'interdiction de la perception de taxes intérieures discriminatoires et que la décision n°89/688 du 22 décembre 1989 avait été prorogée pour dix ans par une décision prise le 10 février 2004 par le Conseil, sans expliquer, compte tenu des conclusions dont elle était saisie, les raisons pour lesquelles les points n°35 et 42 de l'arrêt Chevassus-Marche ne posaient aucun problème d'interprétation justifiant le renvoi préjudiciel, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2, 3, 7, 227 § 2, deuxième alinéa, et 234, alinéa 3, du Traité instituant la Communauté économique européenne, ensemble l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire.


Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 01 juin 2010


Publications
Proposition de citation: Cass. Civ. 1re, 26 oct. 2011, pourvoi n°10-24251

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Composition du Tribunal
Président : M. Charruault (président)
Avocat(s) : SCP Ancel, Couturier-Heller et Meier-Bourdeau, SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard

Origine de la décision
Formation : Chambre civile 1
Date de la décision : 26/10/2011
Date de l'import : 15/09/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 10-24251
Numéro NOR : JURITEXT000024730200 ?
Numéro d'affaire : 10-24251
Numéro de décision : 11101003
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.cassation;arret;2011-10-26;10.24251 ?
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