LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Joseph X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de CHAMBÉRY, chambre correctionnelle, en date du 26 août 2010, qui, pour fraude fiscale et omission de passation d'écritures en comptabilité, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, a ordonné la publication et l'affichage de la décision et a prononcé sur les demandes de l'administration des impôts, partie civile ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles L. 1741 et L.1743 du code général des impôts, L. 227 du livre des procédures fiscales, 121-1 et 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaque a déclaré M. X... coupable d'avoir soustrait la SARL Le Chaudois à l'établissement et au paiement partiel de la TVA exigible pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005, d'avoir également soustrait cette société, sur cette même période, à l'établissement partiel de l'impôt sur les sociétés et d'avoir omis de passer ou de faire passer des écritures dans les livres comptables et l'avoir condamné, de ces chefs, en sa qualité de gérant de fait ;
"aux motifs qu'il résulte de la plainte de l'administration fiscale et des pièces qui sont jointes qu'il est établi que les vérifications entreprises ont mis à jour des manquements graves affectant la gestion de la SARL Le Chaudois, en l'occurrence une violation répétée des obligations comptables et fiscales constitutive du délit de fraude fiscale ; que la comptabilité du chiffre d'affaires n'était pas vérifiable, les recettes journalières n'étaient pas justifiées, les inventaires des stocks n'étaient pas dressés et une différence importante apparaissait entre le taux de bénéfice résultant de la comptabilité présentée et celui du taux reconstitué par les services fiscaux ; que la comptabilité était donc irrégulière, et la société avait souscrit des déclarations annuelles de taxes sur le chiffre d'affaires et des déclarations d'impôt sur les sociétés minorées en dissimulant des recettes imposables au titre des années 2004 et 2005 ; que M. Y... ne conteste pas qu'en sa qualité de gérant de droit de la SARL Le Chaudois il avait souscrit des déclarations d'impôt minorées et qu'il était donc responsable de ces manquements ; qu'il n'a pas contesté le montant des droits éludés tel que calculé par l'administration fiscale ; que M. X... a déclaré qu'il avait géré la société de 2004 à 2007, ses fils possédant au total 50 % de ses parts ; qu'il précisait que M. Y... tenait les fonctions de cuisinier, alors que pour sa part, il s'occupait de la gestion, de l'achat de la marchandise et du paiement des fournisseurs ; qu'il admettait que, pendant les années 2004 et 2005, il avait été négligent dans la tenue de la comptabilité, en omettant de passer les écritures dans les documents comptables obligatoires et d'enregistrer les dépenses et les recettes du restaurant ; que ces déclarations circonstanciées venaient corroborer celles de M. Y... et de sa compagne, qui affirmaient, de concert, que seul M. X... s'occupait de la comptabilité de la société, ce dernier interdisant à quiconque de s'y immiscer ; que M. Y..., bien que gérant de droit, était cantonné à l'exercice de ses fonctions de chef cuisinier ; que, contrairement aux explications qu'il soutient à l'audience de la chambre des appels correctionnels, il est établi qu'au moment des vérifications M. X... était toujours présent dans l'établissement géré par la société, notamment lors du contrôle inopiné effectué le 21 novembre 2006 par l'administration fiscale ; qu'il ne saurait donc éluder sa qualité de gérant de fait par la seule production d'un contrat de travail et d'une notification de son licenciement datée du 10 février 2005, ces documents étant destinés à dissimuler la réalité des fonctions effectivement exercées au sein de la SARL Le Chaudois ; qu'il est donc établi par la multiplication des actes positifs de gestion accomplis en toute indépendance et à sa seule initiative pour la majorité d'entre eux que M. X... était gérant de fait de la société, et qu'à ce titre il a participé à titre de coauteur à la commission des faits délictueux ; que c'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que les infractions visées aux poursuites étaient caractérisées en leurs éléments constitutifs à l'encontre des deux prévenus, et qu'il en a tiré les conséquences sur l'action civile en les condamnant solidairement au paiement des impôts fraudés et des pénalités afférentes ; que le jugement déféré sera, en conséquence, confirmé sur la culpabilité et sur l'action civile ; qu'il sera réformé sur la peine à deux titres ; qu'il convient de mieux tenir compte du rôle prééminent de M. X... dans la commission des infractions, tel qu'il résulte de la procédure et des débats, en lui infligeant une peine sensiblement plus sévère, et de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé une peine complémentaire de gérer de dix ans qui n'est pas prévue par le texte répressif ainsi que sur la publication, laquelle sera ordonnée sur l'action pénale et accompagnée de l'affichage de l'arrêt trois mois à la mairie du domicile des condamnés ;
"1) alors que seul le gérant de fait qui a effectivement exercé les fonctions de direction et d'administration au lieu et place du gérant de droit peut être déclaré coupable des infractions fiscales de soustraction à la TVA, de soustraction à l'impôt sur les sociétés et d'omission comptable dont le gérant de droit est responsable ; qu'en l'espèce, figure au dossier de la procédure une attestation datée du 9 mai 2005, antérieure aux investigations des services fiscaux, émanant de M. Y..., gérant de droit de la SARL Le Chaudois, certifiant que "M. X... n'avait aucun pouvoir de décision au sein de la société et avait seulement une procuration bancaire" ; que cette attestation, qui démontre l'absence d'activité positive et indépendante d'un salarié non associé, mais démentie à l'audience par son auteur, n'a pas été examinée par les juges d'appel qui se sont bornés à affirmer que M. X... s'occupait seul de la comptabilité de la société et interdisait à quiconque de s'y immiscer, avant de conclure à sa gestion de fait, de sorte qu'en se prononçant ainsi, les juges d'appel ne se sont pas expliqués sur cet élément décisif du dossier et n'ont pas légalement justifié leur décision ;
"2) alors que, selon les dispositions de l'article L. 227 du livre des procédures fiscales, les infractions de fraude fiscale prévues aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts sont des infractions intentionnelles, pour lesquelles la preuve de l'élément moral doit être rapportée par les parties poursuivantes et relevée par les juridictions correctionnelles ; qu'en l'espèce, aucune des énonciations de l'arrêt attaqué n'établit que le prévenu aurait agi avec la volonté de soustraire la société aux paiements des impôts dus et aurait ainsi commis les délits reprochés, si bien qu'en statuant de la sorte, les juges d'appel n'ont pas caractérisé un élément constitutif de l'infraction" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Mais sur le moyen relevé d'office, pris de la violation des articles 61-1 et 61-2 de la Constitution, ensemble l'article 111-3 du code pénal ;
Vu les articles 61-1 et 62 de la Constitution, ensemble l'article 111-3 du code pénal ;
Attendu que, d'une part, une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 précité est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ;
Attendu que, d'autre part, nul ne peut être puni, pour un délit, d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;
Attendu qu'après avoir déclaré M. X... coupable de fraude fiscale, l'arrêt ordonne, notamment, la publication et l'affichage de la décision, par application des dispositions de l'article 1741, alinéa 4, du code général des impôts ;
Mais attendu que ces dispositions ont été déclarées contraires à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel du 10 décembre 2010, prenant effet à la date de sa publication au journal officiel de la République française le 11 décembre 2010 ;
D'où il suit que l'annulation est encourue ;
Par ces motifs :
ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Chambéry, en date du 26 août 2010, en ses seules dispositions ayant ordonné des mesures de publication et d'affichage, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et attendu qu'il ne reste rien à juger ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Chambéry, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Bayet conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;