LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société MAAF assurances, partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 27 septembre 2010, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre M. Nicolas X... du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 593 du code de procédure pénale, 1382 du code civil, L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale, 28, 29 de la loi du 5 juillet 1985, du principe de l'exacte réparation du préjudice, violation de la loi, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a évalué le préjudice de Mme Y... comme suit après application du partage de responsabilité et du droit préférentiel de la victime :
- frais divers 480,00 euros
- perte de gains professionnels actuels 397,68 euros
- déficit fonctionnel temporaire 12 000,00 euros
- souffrances endurées 12 000,00 euros
- préjudice esthétique permanent 800,00 euros
- perte de gains professionnels futurs 418 295,96 euros
- déficit fonctionnel permanent 169 376,00 euros
Total : 613 210,64 euros
"aux motifs que,
I - préjudices subis par la victime :
l'arrêt du 13 septembre 2007 a fixé le montant des préjudices suivants :
- frais divers
- perte de gains professionnels actuels
- déficit fonctionnel temporaire
- souffrances endurées
- préjudice esthétique
il convient donc d'examiner les demandes de la partie civile relatives à la perte de gains professionnels futurs, à l'incidence professionnelle et au déficit fonctionnel permanent ;
A - perte de gains professionnels futurs :
avant l'accident, Mme Y... travaillait comme distributrice de journaux et comme serveuse dans un restaurant ; ces activités lui procuraient un revenu annuel de 19 336,87 euros (126 841,57 francs), soit 1 611,40 euros par mois ;
la victime demande que ses pertes de gains futurs soient calculées en tenant compte de l'augmentation du SMIC ; que la M.A.A.F s'oppose à cette réévaluation et observe que la cour de Pau, dans son arrêt du 13 septembre 2007, a fixé le montant des pertes de gains professionnels actuels sur la base de revenus mensuels de 1 611,40 euros ;
que la partie civile ne produit aucune pièce (contrat, convention collective) démontrant que ses rémunérations professionnelles auraient augmenté si elle avait continué d'exercer les activités qui étaient les siennes avant l'accident ;
qu'il convient donc de s'en tenir, pour l'évaluation des pertes de gains futurs, à des rémunérations de 1 611,40 euros par mois ;
1) manque à gagner jusqu'au 1er octobre 2010 :
la consolidation des blessures est intervenue le 30 septembre 2003 ;
à ce jour, Mme Y... peut donc se prévaloir d'une perte de salaire d'une durée de sept années, soit :
1 611,40 euros x 12 x 7 =135 357,60 euros
2) pour l'avenir :
il y a lieu de capitaliser le montant des pertes futures, soit 1 611,40 euros x 12 x 21,795 (euro de rente viager pour une femme de 47 ans) = 421 445,55 euros ;
le montant total des pertes de gains professionnels futurs s'élève donc à : 135 357,60 euros + 421 445,55 euros = 556 803,15 euros ;
B - incidence professionnelle :
(…)
C – déficit fonctionnel permanent :
du fait des séquelles de ses blessures, la victime demeure affectée de douleurs lombaires, d'un syndrome frontal, avec céphalées, troubles du sommeil, du caractère et de la mémoire, d'une photophobie et d'une hémianopsie latérale ;
les experts qui l'ont examinée ont retenu une incapacité permanente partielle de 67% ;
compte tenu de l'âge de l'intéressée (40 ans lors de la consolidation), il convient de fixer le montant du préjudice résultant du déficit fonctionnel permanent à la somme de 211 720 euros ;
II - imputation de la rente accident du travail versée par la C.P.A.M. :
une remarque préliminaire s'impose : la caisse primaire d'assurance maladie n'intervient pas aux débats ; elle l'a fait savoir à plusieurs reprises ; elle ne présente donc aucune demande et la cour n'a pas à évaluer les sommes que doit lui verser le responsable de l'accident ;
les prestations servies par la caisse ne doivent être prises en compte que pour déterminer la part de préjudice non indemnisée dont la victime peut réclamer réparation ;
la cour de Pau a procédé à l'imputation des prestations de la sécurité sociale afférentes aux frais médicaux et hospitaliers, aux indemnités journalières, aux frais de transport et aux frais futurs, les chiffres avancés par la caisse primaire d'assurance maladie n'ayant fait l'objet d'aucune discussion de la part des parties ;
en ce qui concerne la rente accident du travail, la M.A.A.F. soutient qu'il convient de réévaluer les versements de la sécurité sociale ;
or la caisse primaire d'assurance maladie, à qui l'assurance a adressé un courrier lui demandant de produire un décompte actualisé de sa créance, a fourni à la cour un relevé de ses débours reprenant les chiffres dont elle avait déjà fait état, à savoir des arrérages échus pour la période du 1er octobre 2003 au 12 mai 2005 d'un montant de 13 566,34 euros et un capital représentatif de 124 979,85 euros ;
il convient de s'en tenir à ces chiffres et il apparaît que la rente accident du travail, indemnise, et en partie seulement, les pertes de gains professionnels futurs, puisque son montant total (124 979,85 euros + 13 566,34 euros = 138 546,19 euros) est inférieur à celui des pertes de rémunération de la victime (556 803,15 euros) ;
III - indemnités à la charge du tiers responsable :
M. X... a été condamné à dédommager 80 % du préjudice de Mme Y... ;
la part non indemnisée du préjudice résultant pour la victime de la perte de ses rémunérations professionnelles futures s'élève à 556 803,15 euros - 138 546,19 euros = 418 256,96 euros M. X... devra verser à la partie civile 80% de cette somme, soit 334 605,56 euros ;
par ailleurs, l'indemnité due pour le déficit fonctionnel permanent s'élève à 80 % de 211 720 euros, soit 169 376 euros ;
en définitive, le montant des réparations mises à la charge du tiers responsable s'établit comme suit :
- frais divers : 480,00 euros
- perte de gains professionnels actuels : 397,68 euros
- déficit fonctionnel temporaire : 12 000,00 euros
- souffrances endurées : 12 000,00 euros
- préjudice esthétique permanent : 800,00 euros
- pertes de gains professionnels futurs : 418 256,96 euros
- déficit fonctionnel permanent : 169 376,00 euros
Total : 613 210,64 euros
le montant total des provisions perçues par Mme Y... s'élève à 616 492,79 euros (en effet, la M.A.A.F. a inclus indûment dans son évaluation les frais d'expertise et l'indemnité pour les frais irrépétibles) ; il existe donc un trop perçu par la partie civile de 3 282,15 euros ;
IV - demandes annexes :
Mme Y..., qui obtient des indemnités d'un montant total supérieur à ce qui lui avait été accordé en première instance, est en droit d'obtenir une somme au titre des frais irrépétibles d'appel ;
il convient de condamner M. X... à lui verser 4 000 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
par ailleurs, les dépens de l'action civile, en ce compris les frais d'expertise, seront mis à la charge de M. X... et de sa compagnie d'assurance ;
"1) alors que la réparation dont est tenu l'auteur d'un fait dommageable doit être égale à la totalité du préjudice subi tel qu'évalué au jour où le juge statue et ne saurait le dépasser ; qu'en calculant la somme revenant à la victime au titre de la réparation du préjudice afférent à sa perte de salaire à compter du septembre 2003 jusqu'au 1er octobre 2010 en imputant la seule somme de 13 566,34 euros correspondant au montant d'une rente servie en application de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale du 1er octobre 2003 au 12 mai 2005, sans prendre en compte les arrérages échus au jour de sa décision, soit entre le 13 mai 2005 et le 1er octobre 2010, ainsi que le préconisait la MAAF dans ses écritures, la cour d'appel a méconnu le principe de l'exacte réparation du préjudice et les textes susvisés ;
"2) alors que, après avoir évalué la part non indemnisée du préjudice résultant pour la victime de la perte de ses rémunérations professionnelles futures à la somme de 418 256,96 euros, la cour d'appel a retenu que M. X... devra verser à la partie civile 80% de cette somme soit 334 605,56 euros ; qu'en mettant néanmoins à la charge du tiers responsable une somme de 418 256,96 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs, la cour d'appel s'est contredite ;
"3) alors que la rente servie sur le fondement de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que le solde de la créance de la caisse non couverte par l'indemnisation des pertes de gains professionnels s'impute en conséquence sur le poste de préjudice personnel extrapatrimonial du déficit fonctionnel permanent ; qu'en condamnant toutefois la MAAF à payer à Mme Y..., au titre de son préjudice fonctionnel permanent, une somme non imputée des créances de la caisse non couvertes par l'indemnité versée au titre des pertes de gains professionnels, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme Y... a été blessée dans un accident de la circulation, constituant un accident de trajet, dans lequel était impliqué un véhicule conduit par M. X..., assuré auprès de la société MAAF assurances ;
Attendu qu'en condamnant l'assuré de la demanderesse à payer à la victime la somme de 418 256, 96 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs, l'arrêt n'encourt pas le grief allégué dès lors que les juges ont retenu que le préjudice de la victime s'élevait de ce chef à 556 803, 15 euros, que celle-ci percevait une rente dont le capital représentatif s'élevait à 138 546, 19 euros en sorte que son préjudice subsistant s'élevait à 418 256, 96 euros, somme inférieure à la somme due par le responsable après limitation de sa responsabilité à hauteur de 80 %, sur laquelle la victime se voit reconnue une préférence sur le tiers payeur ;
D'où il suit que le moyen, qui, en sa première branche, se borne à critiquer des motifs relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond et qui, en sa troisième branche, est inopérant dès lors que le capital représentatif de la rente versée par l'organisme de sécurité sociale est inférieur aux pertes de rémunérations de la victime évaluées par les juges du fond, ne peut être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DÉCLARE IRRECEVABLE la demande au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale, présentée par Mme Y... ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Arnould conseiller rapporteur, M. Palisse conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;