LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que le 5 décembre 2005, les sociétés Toei Animation et Dynamic Planning (les sociétés Toei et Dynamic) ont fait pratiquer deux saisies-attributions au préjudice de la société Manga distribution (la société Manga) entre les mains de la société Carrefour hypermarchés France, aux droits de laquelle vient la société Carrefour France (la société Carrefour) ; que les procès-verbaux de saisie, signifiés à une personne habilitée, mentionnent que celle-ci a indiqué à l'huissier de justice chargé de l'exécution qu'une réponse lui serait donnée sous 48 heures ; que par lettre du 8 décembre 2005, la société Carrefour a indiqué à l'huissier de justice que le compte de la société Manga ouvert dans ses livres présentait un solde débiteur de 467 552,39 euros ; que les sociétés Toei et Dynamic ont alors fait assigner la société Carrefour en paiement des causes des saisies-attributions ; qu'à titre subsidiaire, elles ont sollicité la condamnation de la société Carrefour à leur payer des dommages-intérêts en soutenant qu'à la date des saisies, cette dernière était débitrice envers la société Manga d'une somme de 470 171,52 euros, montant d'une facture, et que sa déclaration était donc mensongère ou inexacte ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les sociétés Toei et Dynamic font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande tendant à la condamnation de la société Carrefour à payer les causes des saisies-attributions, soit la somme totale de 3 600 000 euros, alors, selon le moyen :
1°/ que les procès-verbaux de saisie-attribution du 5 décembre 2005 comportent la mention manuscrite selon laquelle il avait "été répondu à l'huissier par M. Helder X... : "réponse sous 48 heures" ; qu'en affirmant dès lors que les créancières, par le biais de l'huissier de justice, avaient accordé à la société Carrefour France un délai de 48 heures pour délivrer les informations visées à l'article 44 de la loi du 9 juillet 1991, cependant que les procès-verbaux ne faisaient que reproduire la réponse apportée par un représentant du tiers saisi, la cour d'appel a dénaturé le sens de ces procès-verbaux et a violé le principe de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
2°/ qu'en application de l'article 44 de la loi du 9 juillet 1991 et des articles 59 et 60 du décret du 31 juillet 1992, le tiers saisi est tenu de déclarer immédiatement l'étendue de ses obligations envers le débiteur ; que si, sans motif légitime, il ne fournit pas les renseignements prévus, il peut être condamné, à la demande du créancier, à payer les sommes dues à ce dernier ; qu'en constatant que la société Carrefour France, tiers saisi, n'avait pas répondu dans le délai de 48 heures accordé par l'huissier de justice, le courrier de réponse étant parvenu à celui-ci sept jours après les saisies-attribution, mais en exonérant cependant la société Carrefour France de toute sanction, motif pris de ce qu'en accordant au tiers saisi un délai de 48 heures pour répondre, l'huissier de justice instrumentaire aurait en réalité affranchi la société Carrefour France de tout délai, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un motif légitime et a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
3°/ qu'en ne caractérisant pas l'existence d'un motif légitime ayant empêché la société Carrefour France, tiers saisi, de fournir sa réponse dans le délai de 48 heures qui lui était accordé à titre de faveur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 44 de la loi du 9 juillet 1991 et des articles 59 et 60 du décret du 31 juillet 1992 ;
Mais attendu qu'il résulte des procès-verbaux de saisie que l'huissier de justice chargé de l'exécution a indiqué à la société Carrefour qu'à défaut de réponse immédiate, il lui était fait sommation d'avoir à répondre sous 48 heures ; que la cour d'appel en a déduit, à bon droit et sans encourir le grief de dénaturation, que les créancières avaient laissé à la société Carrefour un délai de 48 heures pour répondre et a pu retenir que le retard dans la réponse au-delà de 48 heures avait un motif légitime dès lors qu'un délai avait été accepté au lieu d'une réponse sur-le-champ ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches réunies :
Vu les articles 44 de la loi du 9 juillet 1991 et 60, alinéa 2, du décret du 31 juillet 1992 ;
Attendu que, pour débouter les sociétés Toei et Dynamic de leur demande en paiement de dommages-intérêts, l'arrêt retient que la société Carrefour établit à l'aide d'une consultation d'une société d'audit que la facture de 470 171,52 euros était payable à 60 jours selon les accords avec la société Manga et a pu être enregistrée plus tardivement en raison aussi de désaccords avec cette dernière et que les sociétés Toei et Dynamic n'établissent donc pas que la déclaration de la société Carrefour ait été inexacte ou mensongère ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la société Carrefour avait reçu la facture antérieurement aux saisies, qu'elle en était débitrice et qu'elle avait reconnu, au cours d'une instance en référé ultérieure, ayant pour objet le paiement d'une somme incluant le montant de cette facture, rester débitrice envers la société Manga d'une somme de 31 449,31 euros, et alors que l'existence d'un terme ou d'un litige ne dispensait pas la société Carrefour de son obligation de déclarer aux créancières l'étendue de ses obligations à l'égard de la débitrice ainsi que les modalités qui pourraient les affecter, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes en paiement de dommages-intérêts formées par les sociétés Toei Animation et Dynamic Planning, l'arrêt rendu le 4 mars 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes respectives des parties ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour les sociétés Toei Animation Co Ltd et Dynamic Planning Inc.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté les sociétés Toei Animation et Dynamic Planning de leur demande tendant à la condamnation de la société Carrefour France à payer les causes de la saisie-attribution, soit la somme totale de 3.600.000 € ;
AUX MOTIFS QU' il est constant que le tiers-saisi ne peut être condamné au paiement des causes de la saisie que s'il s'est abstenu de toute déclaration ou s'il a fait une déclaration tardive, sans motif légitime ; que la société Toei Animation et la société Dynamic Planning ont fait signifier à la société Carrefour France deux procès-verbaux de saisie-attribution, pour chacune d'elle, qui mentionnent qu'un juriste de la société Carrefour France a indiqué que la réponse sur les obligations envers les sociétés Manga Distribution et Déclic Images, débiteurs saisis, serait donnée « sous 48 heures » ; que par lettre du 8 décembre 2005, la société Carrefour France, par la responsable du centre de règlement Fournisseurs, a fait savoir que le compte de la société Manga Distribution présentait en ses comptes, sauf erreur ou omission et sous réserve des opérations en cours, un solde débiteur de 467.552,39 euros et que la société Déclic Images ne se retrouvait pas dans la base de la société Carrefour ; que les créancières, par le biais de l'huissier de justice instrumentaire qui devait interpeller sur-le-champ le tiers-saisi, ont laissé à la société Carrefour France un délai de 48 heures pour répondre, conscientes que la réponse ne pouvait être donnée sur-le-champ comme le prévoit l'article 59 du décret du 31 juillet 1992 ; que le retard dans la réponse, donnée non pas 48 heures après mais 72 heures même parvenue à l'huissier de justice le septième jour après les saisies-attributions, avait un motif légitime dès lors qu'un délai a été accepté au lieu d'une réponse sur-le-champ, et ne saurait être considéré comme une absence de réponse, ni comme la marque de l'ignorance volontaire de ses obligations ou de la négligence à les remplir ; que les intimées ne peuvent utilement soutenir que cette lenteur n'avait pour but que de les amener à ne pas dénoncer la saisie-attribution dans le délai ou à le faire sans connaître la réponse du tiers-saisi, alors qu'une absence de dénonciation dans le délai de huit jours imparti, entraînant la caducité de la saisie-attribution, ne pouvait aboutir pour les sociétés saisissantes, à coup sûr, qu'à délivrer rétroactivement le tiers-saisi de son obligation ; qu'en conséquence, la société Carrefour France ne peut être tenue au paiement des causes de la saisie ;
ALORS, D'UNE PART, QUE les procès-verbaux de saisie-attribution du 5 décembre 2005 comportent la mention manuscrite selon laquelle il avait « été répondu à l'huissier par Monsieur Helder X... : "réponse sous 48 heures" » ; qu'en affirmant dès lors que les créancières, par le biais de l'huissier de justice, avaient accordé à la société Carrefour France un délai de 48 heures pour délivrer les informations visées à l'article 44 de la loi du 9 juillet 1991 (arrêt attaqué, p. 5 § 5 et 6), cependant que les procès-verbaux ne faisaient que reproduire la réponse apportée par un représentant du tiers saisi, la cour d'appel a dénaturé le sens de ces procès-verbaux et a violé le principe de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU' en application de l'article 44 de la loi du 9 juillet 1991 et des articles 59 et 60 du décret du 31 juillet 1992, le tiers saisi est tenu de déclarer immédiatement l'étendue de ses obligations envers le débiteur ; que si, sans motif légitime, il ne fournit pas les renseignements prévus, il peut être condamné, à la demande du créancier, à payer les sommes dues à ce dernier ; qu'en constatant que la société Carrefour France, tiers saisi, n'avait pas répondu dans le délai de 48 heures accordé par l'huissier, le courrier de réponse étant parvenu à celui-ci sept jours après les saisies-attribution, mais en exonérant cependant la société Carrefour France de toute sanction, motif pris de ce qu'en accordant au tiers saisi un délai de 48 heures pour répondre, l'huissier instrumentaire aurait en réalité affranchi la société Carrefour France de tout délai, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un motif légitime et a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
ALORS, ENFIN, QU' en ne caractérisant pas l'existence d'un motif légitime ayant empêché la société Carrefour France, tiers saisi, de fournir sa réponse dans le délai de 48 heures qui lui était accordé à titre de faveur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 44 de la loi du 9 juillet 1991 et des articles 59 et 60 du décret du 31 juillet 1992.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les sociétés Toei Animation Co Ltd et Dynamic Planning Inc. de leur demande en paiement de dommages et intérêts à l'encontre de la société Carrefour France ;
AUX MOTIFS QUE les intimées soutiennent que la société Carrefour France a répondu de manière inexacte et mensongère, car elle aurait différé ou même omis de comptabiliser une facture de 470.171,52 € qu'elle n'a jamais payée à la société Manga et qui aurait rendu le solde de cette société créditeur de 3.000 € au moment de la saisie ; qu'il incombe aux intimés de rapporter la preuve des inexactitudes de la déclaration de la société Carrefour France, obligation qui ne saurait être remplie par une expertise comme elles le demandent, et la preuve de leur préjudice qu'elles évaluent à 3 millions d'euros et 600.000 € ; qu'au vu des documents produits par les intimées, il apparaît que la société Carrefour France a reçu le 24 octobre 2005 une facture de la société Manga, en date du 18 octobre 2005, d'un montant de 470.171,52 € qu'elle n'avait pas entrée dans sa comptabilité au moment de la saisie-attribution et en était alors débitrice ; que d'ailleurs, la société Manga l'a assignée en référé le 11 avril 2007 pour obtenir le paiement d'une somme de 544.271,93 € lui restant due sur diverses factures, mais que le juge, par ordonnance du 4 juillet 2007, ne lui a ordonné de séquestrer que la somme de 321.449,31 € que la société Carrefour France reconnaissait devoir selon sa comptabilité ; que cependant, cette décision, intervenue plus d'un an et demi après la saisie-attribution, ne peut contredire la déclaration faite par la société Carrefour France en décembre 2005 et faire considérer la société Carrefour France débitrice de la société Manga, sur les seuls dires de celle-ci ; que la société Carrefour établit à l'aide d'une consultation d'une société d'audit, que la facture était payable à soixante jours selon les accords avec la société Manga et a pu être enregistrée plus tardivement en raison aussi de désaccords avec la société Manga sur les quantités livrées et le prix unitaire ; que les intimées par ce seul élément n'établissent pas les manoeuvres et arrangements que la société Carrefour France aurait apportés à sa comptabilité qu'elles détaillent dans leurs conclusions mais qui en restent au stade de suppositions de leur part, ni que la déclaration de la société Carrefour France ait été inexacte et mensongère ; que la demande de dommages et intérêts doit être rejetée ;
ALORS, EN PREMIER LIEU, QU' en affirmant que l'ordonnance de référé du 4 juillet 2007 ne pouvait contredire la déclaration faite par la société Carrefour France le 5 décembre 2005, qui ne faisait pas mention de la facture émise par la société Manga pour un montant de 470.171,52 € (arrêt attaqué, p. 6 § 3), cependant que cette décision de justice faisait à l'inverse état d'une facture n° 114631 émise par la société Manga à l'égard de la société Carrefour pour un montant de 470.171,52 €, dont la date était déterminée comme étant préalable à la saisie-attribution du 5 décembre 2005 et qui n'était pas réglée à cette date (ordonnance du 4 juillet 2007, p. 4 § 1 à 4), la cour d'appel, qui n'a pas analysé le contenu de cette décision de justice et ne s'en est tenue qu'à sa date, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
ALORS, EN DEUXIEME LIEU, QU' en estimant que la société Carrefour France ne s'était rendue coupable d'aucune déclaration mensongère ou inexacte à la date du 5 décembre 2005 en ne mentionnant pas la facture d'un montant de 470.171,52 € émise à son encontre par la société Manga, dans la mesure où la société Carrefour n'aurait pas été débitrice de la société Manga à cette date, tout en relevant que cette facture de la société Manga avait été reçue par la société Carrefour le 24 octobre précédent (arrêt attaqué, p. 6 § 3), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1382 du code civil ;
ALORS, EN TROISIEME LIEU, QUE la qualité de débiteur est acquise dès que la marchandise est livrée ou que la facture est émise, la dette existant indépendamment de la date de son exigibilité et de l'époque effective de son recouvrement ; qu'en estimant que la société Carrefour France avait pu, lors de la saisie-attribution du 5 décembre 2005, ne pas déclarer une facture reçue de la société Manga le 24 octobre précédent, au motif que la facture était payable à soixante jours « selon les accords avec la société Manga »(arrêt attaqué, p. 6 § 3), cependant que l'accord conclu entre la société Manga et la société Carrefour prévoyant un paiement des factures à soixante jours n'était pas opposable aux tiers et qu'en toute hypothèse les modalités de paiement de la facture étaient indifférentes à l'existence de la dette qui devait être déclarée, la cour d'appel a violé l'article 44 de la loi du 9 juillet 1991 ;
ET ALORS, EN DERNIER LIEU, QU' une saisie-attribution peut porter sur une créance conditionnelle ou affectée d'un terme, dès lors que cette créance est certaine et disponible ; qu'en estimant que la créance de la société Manga sur la société Carrefour France avait pu ne pas être déclarée par cette dernière lors de la saisie-attribution litigieuse, au motif que « la société Carrefour établit à l'aide d'une consultation d'une société d'audit, que la facture était payable à 60 jours selon les accords avec la société Manga et a pu être enregistrée plus tardivement en raison aussi de désaccords avec la société Manga sur les quantités livrées et le prix unitaire » (arrêt attaqué, p. 6 § 3), cependant que le caractère certain de la créance en cause n'est pas remis en cause par ces constatations des juges du fond, la cour d'appel a violé les articles 43 et 44 de la loi du 9 juillet 1991.