LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que le 27 janvier 1995, l'officier de l'état civil de la ville d'Orange (Vaucluse) a enregistré une reconnaissance conjointe de l'enfant Sabrina X..., née à Oran (Algérie) le 14 janvier 1995 par Mme Kheira X..., née le 31 janvier 1967 à Oran, d'une part, et Joseph Y..., né le 1er janvier 1911, d'autre part ; que, courant 2004, au cours d'une enquête pénale pour des faits d'abus de faiblesse et d'escroquerie reprochés à Mme X... au préjudice de Joseph Y..., une expertise biologique mettait en évidence le fait que Joseph Y... ne pouvait pas être le père de l'enfant Sabrina et que Mme X... n'était pas la mère de celle-ci ; que par actes des 25 octobre et 3 novembre 2005, le procureur de la République a fait assigner Mme X... ainsi que Joseph Y... et son tuteur en annulation de la reconnaissance conjointe souscrite le 27 janvier 1995 ; qu'à la suite du décès de Joseph Y... survenu le 16 juin 2006, l'instance a été reprise par M. Z..., petit-fils et seul héritier du défunt ; qu'un administrateur ad'hoc a été désigné et est intervenu volontairement pour représenter l'enfant Sabrina à l'instance d'appel ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt attaqué (Nîmes, 17 septembre 2008) d'avoir reçu le procureur de la République en son action tendant à l'annulation de la reconnaissance effectuée à Orange le 27 janvier 1995 par Joseph Y... et elle-même de l'enfant Sabrina, née le 14 janvier 1995 à Oran alors, selon le moyen, que l'action en contestation de reconnaissance est ouverte au ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes rendent invraisemblable la filiation déclarée ; que dès lors, en se bornant, pour juger recevable l'action du ministère public en nullité de la reconnaissance conjointe litigieuse, à relever l'âge avancé du déclarant et le faible délai séparant la date de naissance de l'enfant et la reconnaissance, la cour d'appel n'a pas relevé d'indices rendant invraisemblable la filiation conjointement déclarée par Mme X... et M. Y... et ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 339, alinéa 2, ancien du code civil ;
Mais attendu qu'il résulte de l'ancien article 339, alinéa 2, du code civil que l'action en contestation de reconnaissance est également ouverte au ministère public lorsque la reconnaissance est effectuée en fraude des règles régissant l'adoption ; que le moyen est inopérant ;
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, en ce qu'il concerne la reconnaissance de Joseph Y... :
Attendu que Mme X... reproche à l'arrêt attaqué d'avoir reçu le procureur de la République en son action tendant à l'annulation de la reconnaissance effectuée à Orange le 27 janvier 1995 par Joseph Y... de l'enfant Sabrina alors, selon le moyen, que quand il existe une possession d'état conforme à la reconnaissance et qui a duré dix ans au moins depuis celle-ci, aucune contestation n'est plus recevable, si ce n'est de la part de l'autre parent, de l'enfant lui-même ou de ceux qui se prétendent les parents véritables ; que la possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté entre un individu et la famille à laquelle il est dit appartenir, cette possession devant être continue ; que dès lors, en se bornant à relever l'absence de communauté de vie entre Mme X... et M. Y..., pourtant inopérante, l'absence de preuve de l'existence d'une relation filiale entre ce dernier et l'enfant, quand les écritures de Mme X... et de l'administrateur ad hoc démontraient le contraire, l'absence de signe de grossesse et l " impossibilité physique pour Mme X... d'être mère, faits pourtant inopérants, des propos de l'enfant et de voisins pourtant non probants et en affirmant que l'absence de lien de filiation entre l'enfant et ses parents prétendus avait été établie de manière certaine le 6 octobre 2004, pour en déduire l'absence de possession d'état conforme au titre et ayant duré dix ans au moins, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 339, alinéa 3, ancien du code civil, ensemble l'article 311-1 ancien du code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté par motifs propres et adoptés qu'il résultait de l'enquête diligentée qu'il n'avait existé aucune communauté de vie entre Mme X... et Joseph Y... et que les fonds que ce dernier lui remettait étaient le produit des abus de faiblesse dont elle s'était rendue coupable ce qui excluait qu'il pût être considéré que Joseph Y... aurait entendu élever l'enfant, qu'aucune preuve de l'existence d'une relation filiale entre ce dernier et Sabrina n'était rapportée, que les membres de la famille de Mme X... et les voisins de Joseph Y... avaient indiqué que l'enfant disait que ce dernier n'était pas son père et que la présence de Sabrina au domicile de Joseph Y... n'avait jamais été constatée par le voisinage, la cour d'appel a pu déduire de ces éléments souverainement appréciés qu'il n'y avait pas eu, à compter de la reconnaissance et pendant les dix années suivantes, une possession d'état d'enfant naturel conforme au titre vis à vis de Joseph Y... et que l'action du ministère public était recevable ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, en ce qu'il concerne la reconnaissance de Mme X... :
Attendu que Mme X... reproche encore à l'arrêt d'avoir reçu le procureur de la République en son action tendant à l'annulation de sa reconnaissance effectuée à Orange le 27 janvier 1995 de l'enfant Sabrina en reprenant le même grief que pour la reconnaissance de Joseph Y... ;
Mais attendu qu'après avoir analysé les éléments de preuve qui lui étaient soumis et notamment les témoignages des membres de la famille de Mme X... qui disaient savoir que Sabrina n'était pas sa fille mais l'enfant de son frère et avoir constaté que Mme X... ne présentait, en janvier 1995, avant son départ pour l'Algérie, aucun signe de grossesse, la cour d'appel en a déduit que les éléments propres à caractériser l'existence, pendant une durée de dix ans, d'une possession d'état conforme aux reconnaissances litigieuses n'étaient pas réunis ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que Mme X... fait enfin grief à l'arrêt d'avoir reçu le procureur de la République en son action tendant à l'annulation des reconnaissances litigieuses, alors, selon le moyen :
1°/ que tout jugement doit contenir les motifs propres à justifier sa décision ; que l'intérêt de l'enfant commande de ne pas le mêler à des conflits familiaux ; qu'en se bornant, pour écarter le moyen opérant, soulevé par Mme X... dans ses conclusions, pris de l'intérêt de l'enfant Sabrina de conserver sa filiation naturelle actuelle compte tenu des conséquences dramatiques que pourrait avoir l'annulation de la reconnaissance faite par ses père et mère prétendus et de l'absence de solution avancée par le ministère public quant aux suites d'une telle annulation, à retenir qu'il n'était pas conforme à l'intérêt supérieur de cet enfant de se voir maintenu dans un lien de filiation mensonger et procédant, à la base, d'une fraude, la cour d'appel a statué par un motif général et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en toute hypothèse, l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer la nécessité de sanctionner le caractère mensonger d'un lien de filiation, procédant, à la base, d'une fraude ; que dès lors, en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 3-1 de la convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui n'a pas statué par un motif d'ordre général, a souverainement estimé qu'il n'était pas conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant Sabrina de se voir maintenue dans un lien de filiation mensonger ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Patricia X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme Patricia X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize juin deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Peignot et Garreau, avocat aux Conseils pour Mme Patricia X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir, vu l'arrêt avant dire droit de la Cour d'appel de NIMES du 12 décembre 2007, reçu Monsieur le Procureur de la République de CARPENTRAS en son action tendant à l'annulation de la reconnaissance effectuée à ORANGE le 27 janvier 1995 par Monsieur Joseph Y... et Madame Patricia X... de l'enfant Sabrina, née le 14 janvier 1995 à ORAN ;
AUX MOTIFS QUE l'article 339-3 (ancien) du Code civil dispose que la reconnaissance peut être contestée par le Ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes rendent invraisemblable la filiation déclarée ; que ce même article énonce toutefois que lorsqu'il existe une possession d'état conforme à la reconnaissance, et qui a duré dix ans au moins depuis celle-ci, aucune contestation n'est plus recevable si ce n'est de la part de l'autre parent, de l'enfant lui-même ou de ceux qui se prétendent les parents véritables ; qu'en l'espèce, l'acte de reconnaissance conjointe révèle des indices qui rendent invraisemblable la filiation déclarée à savoir d'une part le grand âge du père déclarant et, d'autre part, le trop faible délai séparant les dates de la naissance et de la reconnaissance alors que la première a eu lieu en ALGERIE et la seconde en FRANCE ; que l'action en contestation de la reconnaissance ayant été introduite plus de 10 ans après la date de la reconnaissance, Madame Patricia X... lui oppose toutefois l'écoulement de ce délai et la possession d'état conforme à cet acte dont aurait bénéficié Sabrina pendant cette période ; que cette fin de non recevoir doit être cependant écartée car il ressort des pièces qu'il n'y a pas eu de possession d'état conforme au titre au sens des articles 311-1 et 339-3 anciens du Code civil que ce soit à l'égard de Monsieur Y... ou de Madame X... elle-même ; qu'en effet, l'enquête préliminaire, diligentée courant 1994, révèle qu'il n'existait aucune communauté de vie entre Madame X... et Monsieur Y... et que les fonds que ce dernier lui remettait étaient le produit des abus de faiblesse dont elle s'est rendue coupable ce qui exclut qu'il puisse être considéré que Monsieur Y... aurait entendu élever l'enfant ; qu'aucune preuve de l'existence d'une relation filiale entre ce dernier et Sabrina n'a été rapportée ; que les membres de la famille de Madame Patricia X... et les voisins de Monsieur Y... ont indiqué : qu'elle n'avait présenté aucun signe de grossesse avant son départ pour l'ALGERIE en janvier 1995 (Kaddour C...), qu'elle n'avait plus la possibilité physique d'être mère (Abdelkader D...), que l'enfant disait que Monsieur Y... n'était pas son père (A...épouse B...), que certains savaient que Sabrina était l'enfant du frère de Madame X... (E...), que la présence de Sabrina au domicile de Monsieur Y... n'a jamais été constatée de visu par les voisins entendus (F..., G..., Salem Z...) ; que l'absence de lien de filiation entre Sabrina et ses père et mère prétendus a été établie de manière certaine le 6 octobre 2004, soit avant l'écoulement du délai de dix ans revendiqué ; que par ailleurs, les attestations produites par Madame Patricia X... n'ont pas d'autre portée que d'établir qu'elle considérerait l'enfant comme sa fille et qu'elle l'élève correctement ; qu'elles ne contredisent pas les éléments recueillis pendant l'enquête ; qu'il s'ensuit qu'il n'y a pas eu à compter de la date de la reconnaissance et pendant dix années de possession d'état conforme au titre et que l'action s'avère recevable (arrêt, pp. 7-8) ;
1°) ALORS QUE l'action en contestation de reconnaissance est ouverte au ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes rendent invraisemblable la filiation déclarée ; que dès lors, en se bornant, pour juger recevable l'action du ministère public en nullité de la reconnaissance conjointe litigieuse, à relever l'âge avancé du déclarant et le faible délai séparant la date de naissance de l'enfant et sa reconnaissance, la Cour d'appel n'a pas relevé d'indices rendant invraisemblable la filiation conjointement déclarée par Madame X... et Monsieur Y... et ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 339, alinéa 2, ancien du Code civil ;
2°) ALORS QUE, quand il existe une possession d'état conforme à la reconnaissance et qui a duré dix ans au moins depuis celle-ci, aucune contestation n'est plus recevable, si ce n'est de la part de l'autre parent, de l'enfant lui-même ou de ceux qui se prétendent les parents véritables ; que la possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté entre un individu et la famille à laquelle il est dit appartenir, cette possession devant être continue ; que dès lors, en se bornant à relever l'absence de communauté de vie entre Madame X... et Monsieur Y..., pourtant inopérante, l'absence de preuve de l'existence d'une relation filiale entre ce dernier et l'enfant, quand les écritures de Madame X... et de l'administrateur ad hoc démontraient le contraire, l'absence de signe de grossesse et l'impossibilité physique pour Madame X... d'être mère, faits pourtant inopérants, des propos de l'enfant et de voisins, pourtant non probants et en affirmant que l'absence de lien de filiation entre l'enfant et ses parents prétendus avait été établie de manière certaine le 6 octobre 2004, pour en déduire l'absence de possession d'état conforme au 81198 BP/ EP titre et ayant duré dix ans au moins et, partant, la recevabilité de l'action du ministère public, sans caractériser l'absence d'une réunion suffisante de faits qui indiquaient le rapport de filiation litigieux, et, partant, l'absence de possession d'état conforme au titre et ayant duré dix ans au moins, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 339, alinéa 3, ancien du Code civil, ensemble l'article 311-1 ancien du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir, vu l'arrêt avant dire droit de la Cour d'appel de NIMES du 12 décembre 2007, reçu Monsieur le procureur de la République de CARPENTRAS en son action et dit nulle la reconnaissance effectuée à ORANGE le 27 janvier 1995 par Monsieur Joseph Y... et Madame Patricia X... de l'enfant Sabrina, née le 14 janvier 1995 à ORAN ;
AUX MOTIFS QUE l'absence de possession d'état de Sabrina conforme au titre fait obstacle à ce que les effets de la reconnaissance de cette enfant par la mère puissent être maintenus ; que l'argument tiré par Madame X... de l'intérêt de l'enfant au soutien de son subsidiaire ne peut enfin être considéré comme pertinent car il n'est pas conforme à l'intérêt supérieur de celui-ci de se voir maintenu dans un lien de filiation mensonger et qui procède, à la base, d'une fraude (arrêt attaqué, p. 9) ;
1°) ALORS QUE tout jugement doit contenir les motifs propres à justifier sa décision ; que l'intérêt de l'enfant commande de ne pas le mêler à des conflits familiaux ; qu'en se bornant, pour écarter le moyen opérant, soulevé par Madame X... dans ses conclusions, pris de l'intérêt de l'enfant Sabrina de conserver sa filiation naturelle actuelle compte tenu des conséquences dramatiques que pourrait avoir l'annulation de la reconnaissance faite par ses père et mère prétendus et de l'absence de solution avancée par le ministère public quant aux suites d'une telle annulation, à retenir qu'il n'était pas conforme à l'intérêt supérieur de cet enfant de se voir maintenu dans un lien de filiation mensonger et procédant, à la base, d'une fraude, la cour d'appel a statué par un motif général et a ainsi violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE, EN TOUTE HYPOTHESE, l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer la nécessité de sanctionner le caractère mensonger d'un lien de filiation, procédant, à la base, d'une fraude ; que dès lors, en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 3-1 de la Convention de NEW YORK du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, ensemble les articles 339 et 311-1 anciens du Code civil, applicables au litige.