LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., victime d'une contamination par le virus VIH dont l'origine post-transfusionnelle a été admise par le Fonds d'indemnisation de transfusés et hémophiles, aux droits duquel se trouve l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), a demandé l'indemnisation de son préjudice économique à compter de l'année1994 ; que Mme X... a contesté devant la cour d'appel de Paris l'offre d'indemnisation notifiée par l'ONIAM pour les années 1995 à 2007 et a sollicité la réévaluation de son indemnisation ;
Attendu que le pourvoi incident n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses première, deuxième et quatrième branches :
Vu l'article L. 3122-5 du code de la santé publique ;
Attendu, selon ce texte, que l'offre d'indemnisation présentée par l'ONIAM indique l'évaluation retenue par lui pour chaque chef de préjudice ainsi que le montant des indemnités qui reviennent à la victime compte tenu, d'une part, des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, d'autre part, des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice ;
Attendu que pour allouer une certaine somme à Mme X..., l'arrêt retient que seules doivent être imputées sur l'indemnité réparant l'atteinte à l'intégrité physique d'une victime les prestations versées par les tiers payeurs qui ouvrent droit au profit de ceux-ci un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ; que les allocations telles que les allocations chômage ou l'allocation de solidarité spécifique ne constituent pas des revenus de remplacement à caractère indemnitaires mais sont versées en raison de l'insuffisance des ressources de la personne à la recherche d'un emploi et ne donnent pas lieu à un recours subrogatoire du tiers payeur contre la personne tenue à réparation ; qu'il n'y a donc pas lieu non plus de déduire les rémunérations versées par le CNASEA qui sont de même nature que celles versées par les Assedic ; qu'en conséquence, les allocations sous toutes leurs formes versées par les Assedic ou le CNASEA ne feront pas l'objet de déduction des revenus annuels calculés par l'ONIAM ;
Qu'en statuant ainsi, alors que doivent être imputées par l'ONIAM sur l'indemnité réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime les indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice, indépendamment de l'existence d'un recours subrogatoire des tiers payeurs, et que doivent être précisés la nature et l'objet de chacune des allocations versées à Mme X... afin d'apprécier leur caractère indemnitaire ou non, la cour d‘appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen du pourvoi principal :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 janvier 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes respectives des parties ;
Vu l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette le demande de la SCP Didier et Pinet ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Roger et Sevaux, avocat aux Conseils pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales, demandeur au pourvoi principal
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir alloué à Madame X... la somme de 78.753,88 euros en indemnisation des pertes de revenus par elle subies entre 1995 et 2007 et la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et d'avoir dit que cette somme serait versée par l'ONIAM qui, à compter de l'année 2008, devrait lui allouer une indemnité sur pertes annuelles sur la base de la différence existant éventuellement entre le revenu net imposable revalorisé tel qu'il est calcul depuis 1995 et les salaires effectivement perçus par la victime ;
Aux motifs que seules doivent être imputées sur l'indemnité réparant l'atteinte à l'intégrité physique d'une victime les prestations versées par les tiers payeurs qui ouvrent droit au profit de ceux-ci un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ; que les allocations telles que les allocations chômage ou l'allocation de solidarité spécifique ne constituent pas des revenus de remplacement à caractère indemnitaires mais sont versées en raison de l'insuffisance des ressources de la personne à la recherche d'un emploi et ne donnent pas lieu à un recours subrogatoire du tiers payeur contre la personne tenue à réparation ; qu'il n'y a donc pas lieu non plus de déduire les rémunérations versées par le CNASEA qui sont de même nature que celles versées par les ASSEDIC ; qu'en conséquence, les allocations sous toutes leurs formes versées par les ASSEDIC ou le CNASEA ne feront pas l'objet de déduction des revenus annuels calculés par l'ONIAM ;
Alors, de première part, qu'aux termes de l'article L.3122-5 du Code de la santé publique, l'évaluation retenue par l'Office pour chaque chef de préjudice, doit tenir compte non seulement des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ouvrant droit au profit des tiers payeurs un recours subrogatoire, mais également des indemnités de toute nature ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice, indépendamment de l'existence d'un tel recours ; en affirmant que seules seraient susceptibles de déduction les indemnités ouvrant droit à un recours subrogatoire, la Cour d'appel a méconnu cette disposition ;
Alors, et en toute hypothèse, de deuxième part, qu'en refusant de déduire le montant des indemnités d'allocation chômage versées par les ASSEDIC ou par le CNASEA à Madame X... par cela seul qu'elles ne donnaient pas lieu à un recours subrogatoire du tiers payeur contre la personne tenue à réparation, la Cour d'appel a statué par un motif inopérant et ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article L.3122-5 du Code de la santé publique ;
Alors, de troisième part, que les textes régissant les allocations chômage autres que l'allocation de solidarité spécifique n'en subordonnent pas le versement à l'insuffisance des ressources de la personne à la recherche d'un emploi ; qu'en affirmant le contraire, la Cour d'appel a méconnu les dispositions des articles L.3122-5 du Code de la santé publique, L.5422-1 et suivants du Code du travail, ensemble l'article L.5423-1 du Code du travail ;
Et alors qu'en statuant de la sorte, sans préciser la nature et l'objet des allocations versées à Madame X..., la Cour d'appel qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur sa décision au regard des distinctions posées par ces dispositions, a privé sa décision de base légale au regard des mêmes textes ;
Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils pour Mme X..., demanderesse au pourvoi incident
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR alloué à mademoiselle Corinne X... la somme de 78.753,88 euros en indemnisation des pertes de revenus par elle subies entre 1995 et 2007, et d'AVOIR dit que cette somme sera versée par l'Oniam qui, à compter de l'année 2008, devra allouer des indemnités sur pertes annuelles sur la base de la différence, si elle existe, calculée entre le revenu net imposable revalorisé tel qu'il est calculé depuis 1995 et les salaires effectivement perçus par mademoiselle Corinne X... ;
AUX MOTIFS QUE le 2 janvier 1985, mademoiselle Corinne X..., alors âgée de 17 ans, a été victime d'un grave accident de la circulation et son état de santé a justifié une transfusion de produits sanguins ; que sa séropositivité a été révélée en février et mars 1988 (arrêt, p. 2) ;
ET AUX MOTIFS QUE mademoiselle X... fait valoir que c'est la connaissance de sa séropositivité en 1988 alors qu'elle avait dix neuf ans qui l'a empêchée de faire des études et l'a contrainte à des choix qu'elle n'aurait pas faits si elle avait eu un état de santé inaltéré ; que cependant, il résulte des pièces produites par mademoiselle Corinne X... elle-même (en particulier l'attestation de stage Greta) qu'elle a arrêté sa formation Greta le 2 janvier 1985 soit avant même l'accident dont elle a été victime le 17 janvier suivant ; qu'il s'agissait d'une formation professionnelle financée par le Cnasea et non d'une formation initiale ; qu'eu égard à l'âge auquel la victime a suivi cette formation, il s'en déduit qu'elle avait quitté le cursus scolaire à 16 ans ; qu'entre 1985 et 1988, soit avant la connaissance de sa contamination à VIH, mademoiselle Corinne X... n'a suivi aucune formation et n'a pas travaillé ; que, de 1988 à 1995, elle a exercé des emplois de secrétaire au rythme de périodes entrecoupées de temps sans emploi et de stages de formation professionnelle toujours financés par le Cnasea au centre Formamod de Paris pour l'activité de mécanicienne en 1992 et de patronnier gradeur sur système informatique en 1993, puis à l'Afpa de Marseille en 1994 pour être créateur d'entreprise ; que compte tenu de ces différents éléments, si mademoiselle Corinne X... a suivi des formations professionnelles, pour autant elle avait fait le choix que, par leur variété d'objectifs, elles ne fussent pas diplomantes pour acquérir une valeur universitaire ; qu'elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que la contamination l'a empêchée de suivre un cursus d'études supérieures ; que, lors de la dernière formation de créateur d'entreprise, la rémunération mensuelle payée par le Cnasea à mademoiselle Corinne X... était de 4.070,40 francs ; qu'entre le 1er septembre 1994 et le 31 décembre 1994, la rémunération était, en qualité de vendeuse, de 4.792,63 francs ; qu'elle a poursuivi cette même activité jusqu'au 30 juin 1995 avec le même niveau de rémunération ; que ce niveau de salaire correspond à celui que le Cnasea versait à mademoiselle Corinne X... pendant les différentes périodes de formation de mademoiselle Corinne X... qui est ainsi mal fondée à soutenir qu'elle aurait pu choisir une activité plus rémunératrice si elle n'avait pas été contaminée alors même qu'elle avait fait le choix de formations non diplomantes dès son premier stage ayant commencé en octobre 1984 ; qu'en conséquence, la méthode retenue par l'Oniam sera confirmée, rien ne permettant de considérer que mademoiselle Corinne X... aurait pu percevoir un salaire équivalent au salaire moyen voire médian d'une française de son âge ; que sur la base des revenus mensuels nets imposables calculés avec revalorisation annuelle par l'Oniam et des salaires perçus non contestés par les deux parties à déduire, la somme totale des pertes de revenus sur la période de 1995 à 2007 est donc de 78.753,88 € (arrêt, pp. 3-4) ;
1°) ALORS QUE le propre de la responsabilité est de rétablir, aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu ; que l'arrêt retient que mademoiselle X... a fait le choix, entre 1988 et 1995, de suivre des formations non diplomantes pour acquérir une valeur universitaire, et qu'elle n'est donc pas fondée à soutenir que la contamination l'a empêchée de suivre un cursus d'études supérieures ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la connaissance acquise par mademoiselle X... de sa séropositivité dès 1988, à l'âge de 19 ans, ne lui avait pas fait perdre une chance de suivre un cursus d'études supérieures que ses faibles perspectives de survie, en l'état des connaissances scientifiques alors acquises, semblaient exclure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, ensemble l'article L. 3122-1 du code de la santé publique ;
2°) ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ;qu'après avoir constaté que mademoiselle X... avait été victime d'un accident de la circulation le 2 janvier 1985, la cour d'appel a énoncé qu'elle avait « arrêté sa formation de photographie Greta le 2 janvier 1985 soit avant même l'accident dont elle a été victime le 17 janvier suivant », pour en déduire qu'elle ne pouvait prétendre avoir pu choisir une activité plus rémunératrice, notamment celle de photographe, et percevoir un salaire équivalent au salaire moyen voire médian des françaises si elle n'avait pas été contaminée ; en statuant ainsi, la cour d'appel s'est contredite, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE l'arrêt retient que mademoiselle X... a fait le choix, dès son premier stage ayant commencé en octobre 1984, de suivre des formations non diplomantes pour acquérir une valeur universitaire, et qu'elle n'est donc pas fondée à soutenir qu'elle aurait pu percevoir un salaire équivalent au salaire moyen voire médian des françaises si elle n'avait pas été contaminée ; que le bénéfice d'un salaire moyen ou médian n'étant pas subordonné, à titre impératif, à l'obtention d'un diplôme universitaire, la cour d'appel qui s'est fondée sur un motif inopérant, a violé l'article 1382 du code civil, ensemble l'article L. 3122-1 du code de la santé publique ;
4°) ALORS QUE l'arrêt retient que mademoiselle X... a fait le choix de suivre des formations non diplomantes pour acquérir une valeur universitaire, et qu'elle n'est donc pas fondée à soutenir qu'elle aurait pu percevoir un salaire équivalent au salaire moyen voire médian des françaises si elle n'avait pas été contaminée ; qu'en décidant ainsi, sans répondre aux conclusions récapitulatives de l'intéressée, en date du 5 novembre 2009 (p. 6), qui soutenait, bulletins de salaire à l'appui, que son absence de diplôme universitaire n'avait pas fait obstacle à ce qu'elle occupe en 2006 un poste de chargée de production, pour un salaire supérieur au salaire moyen des françaises, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.