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23/02/2011 | FRANCE | N°10-14760

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 23 février 2011, 10-14760


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique pris en ses trois branches :

Attendu que Mme X..., de nationalité marocaine et M. Y..., de nationalité franco-marocaine, mariés à Agadir (Maroc) le 16 septembre 2002, résident en France ; que Mme X... ayant saisi, le 6 octobre 2004, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris d'une demande de contribution aux charges du mariage, M. Y... a déposé, le 28 janvier 2005, devant le tribunal de grande instance d'Agadir une requête en divorce qui a été pr

ononcé par jugement du 31 mai 2005 et retranscrit sur les registres de ...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique pris en ses trois branches :

Attendu que Mme X..., de nationalité marocaine et M. Y..., de nationalité franco-marocaine, mariés à Agadir (Maroc) le 16 septembre 2002, résident en France ; que Mme X... ayant saisi, le 6 octobre 2004, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris d'une demande de contribution aux charges du mariage, M. Y... a déposé, le 28 janvier 2005, devant le tribunal de grande instance d'Agadir une requête en divorce qui a été prononcé par jugement du 31 mai 2005 et retranscrit sur les registres de l'état civil français le 6 juin 2008 ;
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué (Rennes, 1er décembre 2009) de l'avoir déboutée de sa demande d'annulation de cette transcription, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge français ne peut tenir compte que de la nationalité française des époux qui ont une double nationalité pour déterminer si la loi étrangère se reconnaît compétente pour régir le divorce ; qu'en se fondant, pour juger valide le jugement du tribunal d'Agadir ayant prononcé le divorce des époux Y...-X..., sur l'article 9, alinéa 1, de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 qui prévoit la compétence de la loi marocaine pour prononcer la dissolution du mariage lorsque les deux époux sont de nationalité marocaine, après avoir pourtant constaté que M. Y... avait acquis la nationalité française et que les époux avaient leur domicile commun en France, ce dont il résultait que, par application de l'alinéa 2 de l'article 9 de cette convention, qui précise que la dissolution du mariage d'époux franco-marocain est prononcée selon la loi de l'Etat sur le territoire duquel ils ont leur dernier domicile commun, seule la loi française était compétente pour prononcer le divorce, la cour d'appel a violé les dispositions de la convention susvisée ;
2°/ que lorsque la règle française de solution des conflits de juridiction n'attribue pas compétence exclusive au juge français, la juridiction étrangère ne peut être reconnue compétente qu'à la condition que ce choix n'ait pas été frauduleux ; que la cour, en se fondant, pour juger que la juridiction d'Agadir était compétente pour prononcer le divorce des époux Y...-X..., sur la circonstance inopérante que M. Y... avait pu choisir valablement le tribunal étranger en application de l'article 11 de la convention franco-marocaine, après avoir pourtant constaté que ce dernier avait saisi la juridiction d'Agadir d'une demande en divorce deux jours avant l'audience du tribunal de grande instance de Paris ayant pour objet de statuer, à la demande de son épouse, sur la question de sa contribution aux charges du mariage puis qu'il avait, après avoir été condamné à la verser, sollicité du juge français la suppression de cette contribution en raison de la décision marocaine prononçant la dissolution du lien matrimonial et en avoir elle-même déduit que cette demande en divorce avait été faite dans le but de faire obstacle à celle formée par son épouse en contribution aux charges du mariage, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que la juridiction marocaine avait été saisie frauduleusement et qu'elle était dès lors incompétente, et a ainsi violé l'article 11 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 ;
3°/ que la décision d'une juridiction étrangère constatant une répudiation unilatérale par le mari sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme et privant l'autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette rupture du lien matrimonial, est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage, et donc à l'ordre public international ; qu'en retenant que le divorce des époux Y...-X... était conforme à l'ordre public international sans répondre au moyen soulevé par Mme X... qui faisait valoir que le divorce prononcé pour raison de discorde par le tribunal d'Agadir devait s'analyser en une répudiation unilatérale en ce qu'il n'était fondé que sur les déclarations de l'époux, qui n'étaient établies par aucune pièce et sur lesquelles l'épouse n'avait pas été contradictoirement entendue, ce qui était de nature à établir que cette décision n'avait donné aucun effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme et partant qu'elle était contraire au principe d'égalité entre les époux, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé, d'une part, que les deux époux ayant la nationalité marocaine, le mari pouvait saisir la juridiction marocaine d'une demande en divorce en application de l'article 11 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981, d'autre part, que le divorce prononcé au Maroc était un divorce pour discorde en application de l'article 97 du code de la famille marocain, les époux vivant séparés depuis trois ans, ainsi que l'avocat de Mme Y... l'avait lui-même indiqué au tribunal, la cour d'appel a pu en déduire que, même si M. Y... s'est opposé à la procédure de contribution aux charges du mariage, le jugement du tribunal d'Agadir n'avait pas été obtenu par fraude, M. Y... ayant pu légitimement souhaiter divorcer devant les juridictions marocaines, de sorte que cette décision qui ne constatait pas une répudiation unilatérale pouvait être transcrite sur les registres d'état civil ; que le moyen inopérant dans sa première branche, n'est pas fondé dans ses deuxième et troisième branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois février deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par de la SCP Potier La Varde et Buk-Lament, avocat aux Conseils, pour Mme X...

Madame X... fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir déboutée de sa demande d'annulation de la transcription n° 2008/ EC/ 3317 du jugement de divorce des époux Y.../ X... prononcé par le tribunal d'Agadir le 30 mai 2005 ;
AUX MOTIFS QUE l'article 9 de la convention franco-marocaine, relatif à la loi applicable en matière de dissolution du mariage, dispose que « la dissolution du mariage est prononcée selon la loi de celui des deux états dont les époux ont tous les deux la nationalité à la date de la présentation de la demande. Si à la date de la présentation de la demande, l'un des époux a la nationalité de l'un des deux états et le second celle de l'autre, la dissolution du mariage est prononcée selon la loi de l'état sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun » ; qu'en application de cet article, la loi applicable à la dissolution du mariage des époux Y...-X... est soit la loi marocaine (tous deux sont de nationalité marocaine), soit la loi de leur dernier domicile commun (monsieur Y... a la nationalité française et son épouse la nationalité marocaine) ; que l'article 11 de la convention franco-marocaine qui détermine la juridiction compétente énonce que « la dissolution du mariage peut être prononcée par les juridictions de celui des deux états sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient leur domicile commun. Toutefois, au cas où les époux ont tous deux la nationalité de l'un des deux états, les juridictions de cet état peuvent être également compétentes quel que soit le domicile des époux au moment de l'introduction de l'action judiciaire » ; qu'en application de cet article les deux époux ayant la nationalité marocaine, monsieur Y... était en droit de saisir la juridiction marocaine d'une demande en divorce ; que s'agissant du dernier domicile commun des époux, il est suffisamment établi qu'il était situé en France ; qu'il est constant que monsieur Y... a saisi le tribunal d'Agadir d'une demande en divorce le 28 janvier 2005, soit deux jours avant l'audience du tribunal de grande instance de Paris qui s'est tenue le 30 janvier 2005, saisi par son épouse d'une demande de contribution aux charges du mariage ; que monsieur Y..., se fondant sur le jugement de divorce prononcé par le tribunal d'Agadir, a engagé lui-même une action devant le tribunal de grande instance de Paris pour faire supprimer la contribution aux charges du mariage qui avait été fixée à 350 euros par mois par jugement du 14 février 2005, action qui a été rejetée le 4 juin 2007 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris au motif que la validité de la décision marocaine n'était pas établie faute de transcription sur l'acte de mariage et l'acte de naissance ; qu'il en ressort que monsieur Y... a saisi la juridiction d'Agadir d'une demande en divorce dans le but de faire obstacle à la demande de son épouse en contribution aux charges du mariage ; qu'il n'apparaît pas à la cour que la demande en divorce déposée par monsieur Y... dans ces circonstances revêt un caractère frauduleux, celui-ci ayant a égitimement souhaiter divorcer dès lors qu'il vivait séparé de son épouse et saisir la juridiction marocaines, même s'il vivait en France, comme lui en donnait le droit l'article 11 de la convention franco-marocaine ; que le jugement de divorce prononcé par les juges marocains ne constitue pas une décision de répudiation unilatérale qui heurterait l'ordre public international français ; que le divorce est fondé sur la persistance de la discorde régnant au sein du couple qui empêche le maintien de la vie commune, étant observé que l'avocat de madame Y... a lui-même indiqué au tribunal, ainsi qu'il ressort des énonciations du jugement, que les deux époux vivaient séparément depuis l'année 2002, soit depuis trois années, ce qui apparente ce type de divorce au divorce prononcé en France pour altération définitive du lien conjugal et cessation de la communauté de vie pendant au moins deux ans ; que c'est dès lors à tort, que madame Y... énonce dans ses conclusions que le jugement de divorce marocain a été prononcé sur les seules déclarations de son époux et qu'elle n'a pu s'opposer au prononcé du divorce tiré de l'absence de grief, étant observé qu'il ne s'agissait pas d'une procédure de divorce pour faute ;
1°) ALORS QUE le juge français ne peut tenir compte que de la nationalité française des époux qui ont une double nationalité pour déterminer si la loi étrangère se reconnaît compétente pour régir le divorce ; qu'en se fondant, pour juger valide le jugement du tribunal d'Agadir ayant prononcé le divorce des époux Y.../ X..., sur l'article 9 alinéa 1 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 qui prévoit la compétence de la loi marocaine pour prononcer la dissolution du mariage lorsque les deux époux sont de nationalité marocaine, après avoir pourtant constaté que monsieur Y... avait acquis la nationalité française et que les époux avaient leur domicile commun en France, ce dont il résultait que, par application de l'alinéa 2 de l'article 9 de cette convention, qui précise que la dissolution du mariage d'époux franco-marocain est prononcée selon la loi de l'Etat sur le territoire duquel ils ont leur dernier domicile commun, seule la loi française était compétente pour prononcer le divorce, la cour d'appel a violé les dispositions de la convention sus-visée ;
2°) ALORS QUE lorsque la règle française de solution des conflits de juridiction n'attribue pas compétence exclusive au juge français, la juridiction étrangère ne peut être reconnue compétente qu'à la condition que ce choix n'ait pas été frauduleux ; que la cour, en se fondant, pour juger que la juridiction d'Agadir était compétente pour prononcer le divorce des époux Y.../ X..., sur la circonstance inopérante que monsieur Y... avait pu choisir valablement le tribunal étranger en application de l'article 11 de la convention franco-marocaine, après avoir pourtant constaté que ce dernier avait saisi la juridiction d'Agadir d'une demande en divorce deux jours avant l'audience du tribunal de grande instance de Paris ayant pour objet de statuer, à la demande de son épouse, sur la question de sa contribution aux charges du mariage puis qu'il avait, après avoir été condamné à la verser, sollicité du juge français la suppression de cette contribution en raison de la décision marocaine prononçant la dissolution du lien matrimonial et en avoir elle-même déduit que cette demande en divorce avait été faite dans le but de faire obstacle à celle formée par son épouse en contribution aux charges du mariage, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que la juridiction marocaine avait été saisie frauduleusement et qu'elle était dès lors incompétente, et a ainsi violé l'article 11 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 ;
3°) ALORS QUE la décision d'une juridiction étrangère constatant une répudiation unilatérale par le mari sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme et privant l'autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette rupture du lien matrimonial, est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage, et donc à l'ordre public international ; qu'en retenant que le divorce des époux Y...
X... était conforme à l'ordre public international sans répondre au moyen soulevé par madame X... qui faisait valoir que le divorce prononcé pour raison de discorde par le tribunal d'Agadir devait s'analyser en une répudiation unilatérale en ce qu'il n'était fondé que sur les déclarations de l'époux, qui n'étaient établies par aucune pièce et sur lesquelles l'épouse n'avait pas été contradictoirement entendue, ce qui était de nature à établir que cette décision n'avait donné aucun effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme et partant qu'elle était contraire au principe d'égalité entre les époux, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 10-14760
Date de la décision : 23/02/2011
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

CONVENTIONS INTERNATIONALES - Accords et conventions divers - Convention franco-marocaine du 10 août 1981 - Compétence internationale - Article 11 - Jugement de divorce rendu au Maroc - Reconnaissance du jugement - Jugement de divorce pour discorde - Absence de fraude et de répudiation unilatérale - Effets - Transcription sur les registres de l'état civil

CONFLIT DE JURIDICTIONS - Effets internationaux des jugements - Reconnaissance ou exequatur - Conditions - Absence de fraude à la loi - Cas

Ayant relevé, d'une part, que les époux ayant la nationalité marocaine, le mari peut saisir la juridiction marocaine d'une demande en divorce en application de l'article 11 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, d'autre part, que le divorce prononcé est un divorce pour discorde de l'article 97 du code de la famille marocain, une cour d'appel peut en déduire, le jugement étranger n'ayant pas été obtenu par fraude et l'époux ayant légitimement pu souhaiter divorcer devant les juridictions marocaines, que la décision étrangère, qui ne constate pas une répudiation unilatérale, peut être transcrite sur les registres de l'état civil


Références :

article 11 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981

article 97 du code de la famille marocain

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 01 décembre 2009


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 23 fév. 2011, pourvoi n°10-14760, Bull. civ. 2011, I, n° 34
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2011, I, n° 34

Composition du Tribunal
Président : M. Pluyette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat général : M. Mellottée
Rapporteur ?: Mme Monéger
Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Potier de la Varde et Buk-Lament

Origine de la décision
Date de l'import : 07/01/2012
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2011:10.14760
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